Transformation du travail : "Il y a beaucoup d’attentes méthodologiques sur le dialogue social interprofessionnel"

Transformation du travail : "Il y a beaucoup d’attentes méthodologiques sur le dialogue social interprofessionnel"

26.12.2016

Gestion du personnel

Quelle place prend le travail dans le débat public ? Quels sont les sujets émergents incontournables ? Quel doit être le rôle du dialogue social dans les mutations du travail ? Nous avons interrogé Hervé Lanouzière, directeur général de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et Olivier Mériaux, directeur technique et scientifique de l’Anact.

Quel regard portez-vous sur la place du travail dans les programmes des candidats à la présidentielle ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Hervé Lanouzière : A première vue, le travail n’est pas au centre des discussions. Certes, on peut l’entendre car la question de l’emploi prédomine. Il faut toutefois être vigilant car le rapport au travail et le désengagement sont des sujets prégnants. On ne peut espérer qu’une société déprimée au travail devienne dynamique et performante économiquement.

Olivier Mériaux : Malheureusement, dans le débat public français, on s'est toujours plus focalisé sur l'emploi et le marché du travail que sur les questions liées à la qualité du travail et aux liens entre performance économique et organisation du travail. Or, en mettant l'accent sur la création d'emplois à bas coût salarial, le risque est de créer des emplois de faible qualité. Pourtant les pays européens qui ont créé le plus d'emplois sont aussi ceux qui sont bien placés en termes de qualité de l'emploi, comme tendent à le prouver des études internationales (l'OCDE par exemple).

L’émergence du numérique au travail est en revanche une question qui est bien présente dans le débat public. Est-elle correctement appréhendée ?

Hervé Lanouzière : Si on veut réussir la transition numérique, il ne faut pas se poser la seule question des conditions économiques, mais aussi celle de la qualité de l’emploi et du travail qui s'y rattache. La transition numérique doit être pensée comme moyen d'améliorer les conditions de travail. Il n’y a pas de déterminisme du numérique. Une solution technologique peut être conçue comme visant à améliorer le sort du client et la productivité de l’entreprise. Mais si le salarié la vit comme une contrainte, cela va aggraver ses conditions de travail et il sera moins performant. Le risque est alors celui d’un rejet en bloc et durable par les salariés. Tout le monde sera perdant. En revanche, si le numérique est appréhendé comme une source de soutien de l’activité des salariés, et si ces derniers sont impliqués dans la détermination des fonctionnalités des solutions techniques, notamment pour g��rer les aléas, alors le numérique peut réellement améliorer les conditions de travail et la performance. Tout le monde sera gagnant.

Le numérique est-il source de nouveaux risques professionnels ?

Hervé Lanouzière : Le numérique est un catalyseur de tendances lourdes, avec des effets d’optimisation accélérés, donc des possibles phénomènes d’intensification, de densification et de rationalisation à l’extrême du travail dans lequel le salarié perd toute marge de manœuvre.

Olivier Mériaux : .... et la possibilité de faire du corps du travailleur le prolongement de la machine est démultiplié.

Une sorte de taylorisme 2.0 ?

Olivier Mériaux : Oui, parce qu'il y a des systèmes d'organisation qui ne permettent pas au salarié de "se reconstituer". Les technologies de "voice picking" (*) par exemple, telles qu'elles sont déployées dans les entrepôts de vente à distance. Cela étant, il faut être réaliste, on n'arrêtera pas le développement du numérique. En revanche, il faut s'interroger sur les conditions de son déploiement pour en limiter les effets pervers : la conduite des projets de transformation, la manière d'associer très en amont,... Et il ne faut pas sous-estimer aussi le fait qu'il y a des enjeux d'image pour l'employeur. Proposer à ses collaborateurs un environnement de travail à la hauteur de la promesse faite aux clients est un facteur d’attractivité et de fidélisation.

En 2013, les partenaires sociaux ont conclu un l’ANI sur la qualité de vie au travail. Depuis, les conditions de travail sont restées en dehors du champ de la négociation interprofessionnelle. Quels sont les sujets liés au travail dont les partenaires sociaux devraient s’emparer ?

Hervé Lanouzière : Il y a bien des sujets émergents ou ré-émergents à la faveur des transformations à l'oeuvre qui ne sont pas stabilisés. En matière de télétravail par exemple, les partenaires sociaux interprofessionnels pourraient attirer l’attention sur les points forts et les points de vigilance. Les questions de l’évaluation de la charge de travail et de la déconnexion sont aussi des sujets qui montent. Or, la mesure objective de la charge de travail est un leurre. Il faudrait plutôt des dispositifs d’évaluation et de régulation. L’accord Orange sur l’évaluation de la charge de travail est à ce titre un exemple très intéressant.

Il y a un autre sujet dont on parle moins, celui des critères de reconnaissance au travail. Il faudrait des critères plus vertueux, qu’il y ait une reconnaissance de l’effort et pas seulement des résultats. Or les entreprises ne savent pas comment appréhender ce sujet. Il serait intéressant qu’un accord interprofessionnel leur donne des pistes.

Est-ce à dire que la négociation interprofessionnelle doit jouer davantage un rôle d’accompagnement sur ces sujets ?

Hervé Lanouzière : Il y a beaucoup d’attentes méthodologiques à l'égard du dialogue social interprofessionnel afin d’aider les branches et les entreprises à négocier sur les nouveaux thèmes. Les orientations données par les partenaires sociaux seraient une voie d’avenir pour le dialogue social interprofessionnel plutôt que forcément la création de droits nouveaux. La négociation interprofessionnelle a vocation à aider les acteurs sociaux ; elle doit outiller les acteurs locaux qui vont devoir davantage négocier.

Olivier Mériaux : Sur des questions complexes, comme l'usage des outils numériques, les partenaires sociaux devraient être sensibles au fait que le législateur leur laisse la main pour expérimenter des solutions nouvelles plutôt que de réglementer d'emblée. Le niveau interprofessionnel y perd sans doute en capacité normative mais si cela peut éviter que des règles trop "hors sol" soient immédiatement contournées... L'attente de positions opérationnelles est forte du côté des entreprises, car la responsabilité de l'employeur peut toujours être mise en cause, par exemple en cas de dérapage avérée sur la charge de travail des salariés en forfait-jours.

C’est pourtant l’un des reproches qui a été fait à l’ANI sur la QVT ? Ne pas contenir des normes contraignantes, être juste une charte de bonnes pratiques ?

Hervé Lanouzière : L'accord sur la qualité de vie au travail du 19 juin 2013 est pourtant très innovant. Il n’a peut-être pas de portée pratique immédiate mais il clarifie certains points. Il précise ainsi ce qu’il faut entendre par qualité de vie au travail. Ce ne sont pas les seules actions périphériques (babyfoot, cours de yoga, massages,…) mais la manière dont les salariés sont impliqués dans la transformation de l’entreprise. D’ailleurs, il faut souligner que les annexes de l’accord QVT sont très utiles aux RH dans leurs négociations.

Quels sont les autres sujets délaissés par le dialogue social ?

Hervé Lanouzière : Il serait utile que les partenaires sociaux accompagnent les acteurs de l’entreprise sur les usages des données sociales mises à leur disposition dans l'entreprise pour mener à bien des négociations, par exemple pour une bonne compréhension des évolutions et la manière d’utiliser ces données.

En somme, les partenaires sociaux ont créé la base de données économiques et sociales (BDES), ils doivent maintenir faire œuvre de pédagogie sur sa mise en application ?

Hervé Lanouzière : Oui, les acteurs de l’entreprise ne savent pas toujours comment l'utiliser au mieux. L’Anact a d’ailleurs lancé une offre pour apprendre à croiser les données et les interpréter correctement.

Vous  avez intégré récemment le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) au titre des représentants des administrations et organismes chargés d'une mission de service public. Une avancée pour l'Anact ?

Hervé Lanouzière : Cela va nous permettre d'accéder à l’ensemble des réflexions de haut niveau au sein du COE, percevoir comment ils se projettent avec leurs grilles d’analyse propres, mais aussi amener notre point de vue. Il faut en effet intégrer très en amont - c’est l’une des conditions de la réussite de l’emploi - que la pérennité, l’attractivité et la soutenabilité de l’emploi passent aussi par les actions sur les conditions de travail.

(*) Le "voice picking" est un système permettant la préparation de commandes guidée par reconnaissance vocale. 

Florence Mehrez
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