Transposition de la directive ECN+ : (r)évolutions pour l’Autorité de la concurrence ?

Transposition de la directive ECN+ : (r)évolutions pour l’Autorité de la concurrence ?

10.05.2019

Gestion d'entreprise

Renforcement des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence, refonte de l'encadrement des sanctions, etc. Dans sa chronique, Florence Leroux, avocate counsel au sein du cabinet Bird & Bird, revient sur la portée de la transposition de la directive ECN+ en droit français, et en particulier sur l'impact du texte pour les entreprises.

Adoptée en décembre 2018 et s’inscrivant dans la continuité du règlement européen du 16 décembre 2002 ayant mis en place le Réseau européen de concurrence (European Competition Network (ECN)), la directive dite ECN+ vise à « doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur ». L’objectif affiché est d’harmoniser les règles de fonctionnement des autorités nationales de concurrence (ANC), les systèmes nationaux étant à l’heure actuelle très (trop ?) différents.

Vers une transposition rapide en droit français

Bien que le délai de transposition de la directive ait été fixé au 4 février 2021, la France a fait le choix d’une transposition rapide : celle-ci sera effectuée par voie d’ordonnance dans un délai de 9 mois après la publication de la loi Pacte (définitivement adoptée le 11 avril 2019).

Quelque peu éclipsées par les mesures phares de la loi, les deux dispositions relatives aux modalités de transposition de la directive et au renforcement de l’efficacité des procédures mises en œuvre par l’Autorité et des enquêtes conduites par la DGCCRF laissent présager l’étendue des modifications à venir s’agissant des pouvoirs de l’Autorité, tant au stade de l’instruction qu’au stade décisionnel.

Gestion d'entreprise

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Des pouvoirs indéniablement renforcés

Si l’Autorité française de concurrence est une des autorités de concurrence les plus actives en Europe et dispose d’ores et déjà de larges pouvoirs, il est indéniable que la transposition de la directive ECN+ va renforcer ses pouvoirs (qui pourraient d’ailleurs être encore davantage renforcés par le biais de l’ordonnance à venir).

Principe d’opportunité des poursuites

Mesure phare de la transposition de la directive : l’introduction d’un principe d’opportunité des poursuites. La directive ECN+ prévoit en effet que les ANC pourront rejeter certaines saisines en fonction de leurs priorités. Ceci constituera une nouveauté pour l’Autorité, qui jusqu’à présent n’a la possibilité de rejeter une saisine que pour les raisons limitativement énumérées au code de commerce (notamment lorsqu'elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés par des éléments suffisamment probants).

Doit-on pour autant craindre une utilisation excessive de cette faculté par l’Autorité ? Pas nécessairement. Cela sera sans doute fonction des enjeux de chaque saisine. En cas de moyens disproportionnés à mettre en œuvre par rapport aux enjeux, l’Autorité pourrait décider de ne pas poursuivre (ce qui aurait éventuellement pour conséquence de réorienter les dossiers jugés moins importants vers la DGCCRF ou les juridictions de droit commun). Cela sera aussi sans doute fonction de la mise en balance de l’intérêt de poursuite au regard de l’intérêt général.

La possibilité de se saisir d’office 

Autre mesure phare : la possibilité pour l’Autorité de se saisir d’office afin d’imposer des mesures conservatoires. La directive ECN+ prévoit que les ANC pourront imposer des mesures provisoires, en se saisissant d’office, en cas d’urgence et de risque de préjudice grave et irréparable causé à la concurrence. Là encore, ce sera une nouveauté pour l’Autorité qui, jusqu’à présent, devait nécessairement être saisie d'une telle demande par le/la saisissant(e).

Depuis sa création en 2009, l’Autorité a rendu 44 décisions portant sur des demandes de mesures conservatoires mais n’en a octroyé que dans 8 affaires. Cette nouvelle faculté pourrait augurer d’un recours plus fréquent aux mesures conservatoires et pourrait permettre à l’Autorité de répondre aux nouveaux défis auxquels elle est confrontée, surtout en matière d’économie numérique (la dernière décision dans laquelle l’Autorité a octroyé des mesures conservatoires concernait d’ailleurs Google).

Vers une refonte de l’encadrement des sanctions

Plusieurs mesures de la directive ECN+ vont engendrer une refonte de la politique de sanction de l’Autorité et entraîneront certainement une révision du « Communiqué sanctions » de 2011 qui fixe la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, parmi lesquelles :

  • la possibilité d’imposer des mesures comportementales ou structurelles, en cas de constat d’infraction aux règles de concurrence, mais seule la mesure la moins contraignante des deux pourra toutefois être retenue par les ANC. Les mesures structurelles (ex : cession d’actif(s), cession de filiale(s), etc.) seront une nouveauté pour l’Autorité dans ce contexte.
  • un plafond de sanction harmonisé, qui ne pourra être inférieur à 10 % du chiffre d’affaires mondial consolidé de l’entreprise ou de l’association d’entreprises. Lorsque l’infraction d’une association a trait aux activités de ses membres, le plafond ne pourra être inférieur à 10 % de la somme des chiffres d’affaires réalisés au niveau mondial par les entreprises membres de l’association.

Suppression du plafond de 3 millions d'euros

Dans ce contexte, le plafond de 3 millions d’euros actuellement appliqué aux entités qui ne sont pas des entreprises (article L 464-2 du code de commerce) sera donc supprimé. L’objectif est visiblement de sensibiliser davantage les associations. Cette mesure est évidemment critiquable : est-ce logique de prendre en compte le chiffre d’affaires des membres s’ils sont également voués à être sanctionnés individuellement ?

  • une possible disparition de la prise en compte du dommage à l’économie dans la détermination des sanctions pécuniaires : la directive ECN+ prévoit que les ANC devront prendre en considération la gravité et la durée des pratiques dans la détermination du montant des sanctions pécuniaires.

Jusqu’à présent, l’Autorité détermine les sanctions pécuniaires en fonction de quatre critères :

  • (i) la gravité des faits,
  • (ii) l’importance du dommage causé à l’économie,
  • (iii) la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et
  • (iv) l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par les règles de concurrence.

Dans le cadre de l’exposé sommaire portant sur l’amendement introduisant la transposition de la directive ECN+ dans la loi Pacte, le gouvernement a indiqué que « [l]a suppression de la notion d’importance du dommage à l’économie » figure parmi les mesures envisagées. Cette suppression sera-t-elle maintenue dans le cadre de l’ordonnance à venir ? Si cela devait être le cas, une part importante de la discussion sur la détermination du montant de la sanction serait écartée.

Quel impact pour les entreprises ?

Si la transposition de la directive ECN+ en France n’aura pas d’impact direct sur le quotidien des entreprises et de leur département juridique, elle pourra notamment avoir un impact sur les choix stratégiques de l’entreprise dans le cadre d’une saisine (au regard de l’introduction du principe d’opportunité des poursuites).

Toutes ces mesures s’inscrivent dans la continuité du renforcement de l’arsenal dont dispose l’Autorité pour réprimer les pratiques anticoncurrentielles. Dans ce contexte, la conformité est plus que jamais de mise !

Florence Leroux
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