Twitter condamné pour harcèlement moral à l'encontre d'une salariée française

Twitter condamné pour harcèlement moral à l'encontre d'une salariée française

18.05.2025

Gestion du personnel

Après le rachat du réseau social Twitter par Elon Musk en octobre 2022, le climat social s'est dégradé. Une salariée en congé maternité, qui en a fait les frais, a saisi les juges après sa prise d'acte estimant avoir été harcelée.

Ce n'est pas tous les jours qu'Elon Musk s'invite dans le contentieux prud'homal français ! C'est bien pourtant le réseau social Twitter, devenu X, après son rachat par Elon Musk, qui est au coeur de l'affaire jugée le 3 avril dernier par la cour d'appel de Paris. Et c'est peu dire qu'Elon Musk ne s'embarrasse pas du droit du travail français... 

Les juges ont été saisis par une salariée qui était responsable des relations publiques de Twitter depuis 2019. Pendant son congé maternité (suivi de ses congés payés) du 8 juillet au 28 décembre 2022, cette dernière reçoit des mails - collectifs et individuels - la pressant de prendre des décisions très rapidement quant à son avenir dans la société.

Un rachat qui provoque des remous en interne

Elon Musk acquiert Twitter en octobre 2022. Dès le 4 novembre 2022, l'ensemble des salariés reçoivent un mail leur annonçant que si leur emploi n'est pas menacé à la suite du rachat, ils recevront une notification sur leur messagerie professionnelle. En revanche, si leur emploi est affecté par le rachat, ils seront destinataires d'un mail sur leur messagerie personnelle "avec les prochaines étapes". Ce mail collectif annonçait également de manière abrupte : "nos bureaux seront temporairement fermés et l'accès à tous les badges suspendus, si vous êtes dans un bureau ou sur le chemin pour aller dans un bureau, veuillez rentrer chez vous". Il était également intimé aux salariés de ne pas discuter d'informations confidentielles de l'entreprise sur les réseaux sociaux, avec la presse ou ailleurs".

Le 17 novembre 2022, un autre mail intimait aux salariés de cliquer sur un lien avant 17h le lendemain s'ils "sont sûrs de vouloir faire partie du nouveau Twitter (...) Tous ceux qui ne l'auront pas fait [avant cette échéance] recevront trois mois d'indemnités de rupture".

La salariée en congé est donc également destinataire de l'ensemble de ces mails. Elle reçoit également des mails individuels. "Nous comprenons que vous êtes actuellement en congé autorisé, lui est-il notifié. Le 17 novembre (...) il a été demandé aux employés d'indiquer s'ils souhaitaient rester chez Twitter. Si vous êtes en mesure de prendre cette décision  maintenant nous vous demandons de vous connecter à votre messagerie Twitter et de rechercher la ligne d'objet "fork in the road". Cet e-mail contient un lien vers un formulaire Google, vous pouvez enregistrer votre décision. Si vous avez besoin de plus de temps que ce qui est indiqué ci-dessous, nous vous donnerons jusqu'à 15h (...) le mercredi 23 novembre pour prendre votre décision finale. Si vous ne prenez pas de décision avant cette date, nous considérerons qu'il s'agit dune démission (...)". 

En réponse, la salariée promet de répondre avant le 23 novembre avant de constater, le 21 novembre, qu'il n'est plus possible de répondre au formulaire Google. La salariée réaffirme par la suite son souhait de rester à son poste à son retour de congé maternité "dans des conditions d'emploi dignes et respectueuses de [sa] personne". La salariée fait également état de plusieurs courriels datant de février 2023 enjoignant aux salariés d'effectuer des rapports mensuels et des mises à jour dans des délais très brefs.

Une salariée en congés pressée de répondre à ses mails

A son retour de congé, le 28 décembre 2022, elle présente sa candidature comme suppléante pour le collège unique au second tour des élections du CSE. Le 12 janvier 2023, dans un contexte de travail difficile, la salariée fait un malaise sur son lieu de travail dont elle déplore la déclaration tardive par l'employeur.

Le 14 avril 2023, la salariée prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur. Elle saisit la justice aux fins d'en obtenir la requalification en licenciement.

Au soutien de sa prise d'acte :

  • "une organisation du travail non conforme à la loi et attentatoire à [ses] droits" ;
  • le non-respect de la visite de reprise à l'issue du congé maternité ;
  • l'absence de versement de sa rémunération variable pour l'année 2022 ;
  • l'absence d'objectif fixé pour l'année à venir ;
  • le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité avec le développement de risques psychosociaux ; 
  • la suppression "brutale et unilatérale" du télétravail;
  • l'absence de réponse de la DRH et de la direction à ses demandes ;
  • la suppression de tous ses avantages en nature ; 
  • la restrictions d'accès sur les outils de travail ; 
  • la  mise en demeure de signer de nouvelles politiques de confidentialité. 
Un harcèlement moral incontestable et autres manquements de la part de l'employeur

En conclusion, les juges estiment que la salariée "présente des éléments, d'une part, montrant des pressions successives et tangibles sur elle par des courriels la concernant personnellement et lui imposant une décision rapide à transmettre pendant son congé de maternité en vue de son maintien ou non dans l'entreprise, une exigence forte au vu d'une présence effective au minimum 40 heures par semaine, d'autre part, en décrivant un malaise de l'intéressée sur son lieu de travail, enfin, en faisant état d'une suspension de son contrat de travail pour syndromes anxieux éléments qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre".

La cour d'appel retient également "les informations alarmistes et courriels comminatoires qui lui ont été transmis au cours de son congé de maternité les 4, 10, 16, 17 novembre, ainsi que le 10 décembre 2022 à 3h46 puis à son retour dans l'entreprise dans des conditions anxiogènes (rumeurs, départs et fermeture de bureaux, supervision pressante du dirigeant, fin du télétravail notamment) alors qu'elle avait annoncé sa candidature au second tour des élections professionnelles".

Les juges du fond rappellent à Twitter France qu'il revient à l'employeur de prouver que les faits allégués ne sont pas constitutifs de harcèlement moral (article L.1154-1 du code du travail). Or, Twitter conteste ces accusations et "affirme avoir agi dans le cadre de ses obligations et par anticipation d'un projet éventuel de réorganisation de l'entreprise". La société se prévaut par ailleurs "du caractère général des courriels adressés à l'ensemble des salariés du groupe, de son désir de transparence pour tous, de la prise en considération du congé maternité [de la salariée] (...) de l'option prise volontairement par la salariée de rester dans l'entreprise et de son retour à son poste sans modification de son temps de travail, ni de sa rémunération".

Des arguments qui ne convainquent pas la cour d'appel. "Il est constant que les courriels reçus par la salariée, qu'ils aient été généraux ou la concernant individuellement, ne contenaient pas les précisions spécifiques aux législations locales applicables, que l'employeur ne peut se retrancher derrière l'option prise très rapidement par la salariée pour justifier ses envois successifs, que le délai supplémentaire laissé [à la salariée] n'a pas permis de la dispenser de se positionner sur la poursuite de son contrat de travail pendant son congé de maternité et que l'employeur n'a pas respecté cette période particulière prévue par les dispositions de l'article L.1225-4 du code du travail". 

Par ailleurs, les juges du fond considèrent que Twitter "ne pouvait pas s'exonérer de sa responsabilité" en invoquant la mise en place d'un programme d'assistance aux salariés "Modern Health". Twitter ne pouvait pas plus "minimiser le dommage subi par la salariée, du fait qu'elle n'ait pas demandé à en bénéficier".

Enfin, "si le contrat de travail [de la salariée] stipule expressément une obligation de confidentialité à sa charge, rien ne justifie le courriel du 10 décembre 2022 adressé à la salariée, lui promettant « la réponse qu'elle mérite » en cas d'envoi « d'informations détaillées aux médias » dans l'intention de nuire à Twitter et la sollicitant à nouveau pour confirmer son engagement de confidentialité". 

Twitter France est donc condamné pour licenciement nul. 

La cour d'appel la condamne à verser à la salariée : 

  • 29 207,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
  • 2 920,70 euros au titre des congés payés ; 
  • 58 414,08 euros au titre de la nullité du licenciement ;
  •  7 000 euros au titre du harcèlement ; 
  • 5 000 euros au titre des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité en l'absence de toute visite médicale de reprise ; 
  • 15 000 euros de dommages intérêts pour perte de chance d'acquérir des actions gratuites ; 
  • 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
"Il y avait des violations du droit tellement flagrantes"

Julien Damanio du cabinet Greenwich Avocats qui a défendu la salariée est satisfait de cette décision qui prend acte de plusieurs manquements de la part de Twitter : harcèlement, non-respect de l'obligation de sécurité, faits commis pendant la période de protection liée à la maternité. "Il y avait des violations du droit tellement flagrantes". Il est également intéressant de souligner selon lui qu'une "communication générale" (les mails envoyés à tout le personnel) peuvent constituer un élément "impactant les situations individuelles" dont le juge tient compte pour caractériser le harcèlement moral.

L'avocat tient également à souligner que dans le climat d'inquiétude généré par Twitter lors du rachat, à aucun moment la société "n'a caractérisé l'existence de difficultés économiques".

Pour l'heure, Twitter n'a pas fait part de son souhait de faire un pourvoi en cassation.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Florence Mehrez
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