Un nouveau cadre européen de concurrence pour les services de plateformes numériques

16.11.2022

Gestion d'entreprise

Le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, ou DMA), qui impose des obligations aux grandes plateformes en ligne désignées comme « contrôleurs d'accès », a été publié au Journal officiel de l'UE du 12 octobre 2022. Dans cette chronique, Elvire Fernandez, juriste, et Virginie Rebeyrotte, avocat chez Fidal, reviennent sur les principaux apports du texte.

Le règlement (UE) 2022/1925 du 14 septembre 2022 sur les marchés numériques (Digital Markets Act, ou DMA) sera applicable à partir du 2 mai 2023 dans tous les États membres de l’Union européenne (Règl. (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil, 14 sept. 2022 : JOUE n° L 265, 12 oct.).

Ce règlement fait partie du paquet législatif relatif aux services numériques, annoncé par la Commission européenne en décembre 2020, qui comprend également un règlement sur les services numériques en tant que tels (Digital Services Act, ou DSA), imposant des règles pour le contrôle des contenus illicites et la transparence en ligne (Règl. (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil, 19 oct. 2022 : JOUE n° L 277, 27 oct.).

L’objectif du DMA est de garantir des conditions de concurrence équitables pour toutes les plateformes en ligne, afin que le marché numérique soit contestable et compétitif et qu’in fine, les consommateurs bénéficient d’un plus grand choix de services et de la meilleure qualité.

Le DMA fixe ainsi un nouveau cadre de régulation du marché numérique européen a priori et vient compléter, sans les modifier, le corpus des règles de concurrence « classiques » : contrôle des concentrations, des aides d’État [et bientôt des subventions étrangères (Doc. COM (2021) 223 final, 5 mai 2021)], sanction des ententes et des abus de position dominante.

Remarque : l’article 1er, § 6 du DMA précise bien que « Le présent règlement est sans préjudice de l’application des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (…) ».

Les activités et entreprises concernées par le DMA

Le DMA s’applique aux plateformes en ligne qui répondent à une série de trois critères portant respectivement sur :

  • la nature du service rendu ;
  • le pouvoir qu’elles représentent sur le marché ;
  • et l’implantation géographique des utilisateurs.

Concernant la nature des services rendus, le DMA s’applique uniquement aux « services de plateforme essentiels » (core platform services), qui sont identifiés de façon exhaustive dans le règlement : il s’agit des services d’intermédiation, des moteurs de recherche, des réseaux sociaux, des plateformes de partage de vidéos, des messageries en ligne, des systèmes d’exploitation, des navigateurs internet, des assistants virtuels, des services d’informatique en nuage (cloud) et des services de publicité en ligne (art. 2, 2).

Concernant le pouvoir de marché de la plateforme, seules les plateformes dites « contrôleurs d’accès » (gatekeepers) entre une entreprise utilisatrice et un utilisateur final sont visées par le DMA. Trois conditions sont prévues par le texte (art. 3, § 1 et 2) :

  • un poids important sur le marché intérieur, la plateforme devant fournir le même service de plateforme essentiel dans au moins trois États membres et, soit au cours de chacun des trois derniers exercices avoir réalisé un chiffre d’affaires annuel dans l’Union supérieur ou égal à 7,5 milliards d’euros, soit avoir une capitalisation boursière moyenne ou de juste valeur marchande d’au moins 75 milliards d’euros au cours du dernier exercice ;
  • le service de plateforme essentiel fourni constitue un point d’accès majeur permettant aux entreprises utilisatrices d’atteindre leurs utilisateurs finaux, cette condition étant satisfaite quand, au cours du dernier exercice, il a compté au moins 45 millions d’utilisateurs finaux actifs par mois dans l’Union et au moins 10 000 entreprises utilisatrices actives par an établies dans l’Union ;
  • la plateforme jouit d’une position solide et durable ; cela sera le cas lorsque la plateforme a atteint les deux seuils ci-dessus au cours de chacun des trois derniers exercices.

Quant au critère géographique, seules sont concernées les plateformes qui servent de points d’accès majeurs à des entreprises utilisatrices établies dans l’Union européenne ou à des utilisateurs finaux établis ou situés dans l’Union (art. 1er, § 2).

Lorsque l’entreprise fournissant des services de plateforme essentiels atteint l’ensemble des seuils mentionnés ci-dessus, elle doit « sans tarder » et sinon dans les deux mois qui suivent le dépassement de ces seuils, en informer la Commission par le biais d’une notification qui inclut les différentes informations concernant le pouvoir de marché de la plateforme, telles que le chiffre d’affaires et le nombre d’utilisateurs (art. 3, § 2 et 3). Lorsque l’entreprise concernée a dûment notifié l’ensemble des informations pertinentes, et si l’entreprise a effectivement atteint tous les seuils, la Commission la désigne, sans retard indu et au plus tard 45 jours ouvrables à la complétude du dossier, comme étant un contrôleur d’accès (art. 3, § 4).

Le principe est donc que la désignation de contrôleur d’accès se fait à l’initiative de l’entreprise concernée, par le biais d’une notification. Toutefois, le DMA prévoit que la Commission peut mener une enquête de marché afin d’examiner si une entreprise fournissant des services de plateformes essentiels doit être désignée comme contrôleur d’accès (art. 17), notamment lorsque cette entreprise satisfait à chacune des exigences visées à l’article 3, § 1 mais n’atteint pas les seuils (art. 3, § 8). La Commission pourra désigner cette entreprise comme contrôleur d’accès en tenant compte de plusieurs critères (sa taille, les effets de réseau, les effets d’échelle dont bénéficie l’entreprise, etc.).

L’article 4 prévoit également la possibilité pour la Commission, sur demande ou de sa propre initiative, de modifier ou d’abroger à tout moment une décision de désignation si les conditions de la désignation ont changé. Par ailleurs, la Commission réexaminera au moins tous les trois ans la liste des contrôleurs d’accès et des services de plateforme essentiels.

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Les obligations et interdictions imposées aux entreprises désignées comme « contrôleurs d’accès »

La désignation de certaines entreprises en tant que « contrôleurs d’accès » emporte plusieurs interdictions et obligations précisées au Chapitre III du DMA.

Concernant les interdictions, le contrôleur d’accès ne pourra plus, notamment :

  • traiter les données personnelles des utilisateurs à des fins de publicité en ligne, à moins qu’ils n’aient donné leur consentement (art. 5, § 2, a) ;
  • classer ses propres services de manière plus favorable que ceux d’un tiers (art. 6, § 5) ;
  • limiter la possibilité des utilisateurs de recourir à des systèmes de paiement tiers (art. 5, § 7) ;
  • exiger des utilisateurs qu’ils s’abonnent ou s’enregistrent à tout autre service du contrôleur d’accès comme condition d’utilisation, d’accès, d’inscription ou d’enregistrement pour un service de plateforme essentiel (art. 5, § 8).

Quant aux obligations, le contrôleur d’accès devra, notamment :

  • autoriser et permettre la désinstallation facile par les utilisateurs des applications de son système d’exploitation (art. 6, § 3) ;
  • autoriser et permettre l’installation et l’utilisation effective d’applications de tiers utilisant ou interopérant avec son système (art. 6, § 4) ;
  • fournir des services de communications interpersonnelles non fondées sur la numérotation qui soient interopérables avec ceux de tout autre fournisseur (art. 7) ;
  • permettre aux utilisateurs de se désabonner facilement des services de plateforme essentiels (art. 6, § 13).

Par ailleurs, il est prévu que les contrôleurs d’accès désignent un ou plusieurs responsables de la conformité au règlement (art. 28).

Les pouvoirs de la Commission européenne

Le DMA octroie à la Commission un arsenal de pouvoirs afin que les dispositions du règlement soient respectées (pouvoirs d’enquête, de coercition et de contrôle).

Lorsque la Commission constate qu’une entreprise désignée comme « contrôleur d’accès » enfreint ses obligations, elle pourra lui infliger une amende pouvant atteindre jusqu’à concurrence de 10 % du chiffre d'affaires total mondial réalisé au cours de l’exercice précédent ; cette amende pouvant aller jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires mondial en cas de récidive (art. 30).

La commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, s’est félicitée du consensus rapide entre les États pour l’adoption du DMA en mars 2022. Selon elle, « ce règlement, ainsi qu’une application rigoureuse du droit de la concurrence offrira des conditions plus équitables aux consommateurs et aux entreprises en ce qui concerne de nombreux services numériques dans toute l’UE » (Communiqué de presse n° IP/22/1978 de la Commission, 25 mars 2022). Un rapport annuel sur la mise en œuvre du règlement et sur les progrès accomplis est prévu (art. 35). Il sera ainsi l’occasion de constater les premières mesures prises par la Commission.

 

Virginie Rebeyrotte Co-auteur : Elvire Fernandez, Juriste, Fidal
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