"Un salarié a besoin avant tout d’un salaire correct, d’être reconnu pour son métier et d’avoir des perspectives d’évolution professionnelle"

"Un salarié a besoin avant tout d’un salaire correct, d’être reconnu pour son métier et d’avoir des perspectives d’évolution professionnelle"

17.07.2025

Gestion du personnel

Bertrand Martinot, économiste et consultant RH, et Franck Morel, avocat, tous deux experts associés à l'Institut Montaigne viennent de publier un ouvrage "Le travail est la solution" (*) qui dessine des pistes de réforme pour permettre aux salariés de travailler plus dans de bonnes conditions de travail et salariales. Interview.

Vous dressez un constat connu, celui selon lequel les salariés souffrent de trois motifs d'insatisfaction : le manque de revalorisation salariale, de reconnaissance et de perspectives d’évolution professionnelle avec, en outre, un travail de plus en plus pathogène. Que proposez-vous pour remédier - enfin - à cette situation ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Franck Morel : Au travers de ces trois sources d’insatisfaction, c’est un sentiment d’impasse qui s’exprime et qui trouve sa source dans un certain nombre de mécanismes qui entravent les possibilités qu’auraient les entreprises d’y répondre pleinement. Il existe des leviers liés aux politiques publiques et des leviers liés au management dans les entreprises. Au sein des politiques publiques, on constate actuellement une surtaxation du travail et des mécanismes qui, ajoutés les uns aux autres, créent des phénomènes de trappes à bas salaire : les charges fiscales et sociales sur le travail, le coût marginal d’une augmentation avec l’impact des allégements de charges sociales sur les bas salaires, les effets de la prime d’activité qui crée un phénomène d’enfermement dans les bas salaires ainsi que le Smic. Tout cela additionné fait "mauvais système" et aboutit à empêcher de donner pleinement des perspectives professionnelles et entrave la possibilité d'organiser des évolutions salariales.

Le manque de reconnaissance, quant à lui, renvoie plus largement aux pratiques d’entreprises.

Quelles sont justement les marges de progression du management français récemment pointé du doigt par l'Igas ? 

Bertrand Martinot : Le management est sujet sur lequel nous sommes mal à l’aise en France car nous avons tendance à tout attendre de l’Etat. Or, s’il y a bien quelque chose qu’on ne peut pas modifier par décret, ce sont bien les pratiques managériales. Une partie du caractère pathogène du travail, que nous soulignons dans notre ouvrage, relève en partie d'un management toxique.

Quant aux managers intermédiaires, ils n'ont souvent pas les ressources nécessaires - managériales, financières, et organisationnelles. Certaines entreprises additionnent une qualité déficiente des relations du travail - qui ne se résument ni aux questions juridiques ni aux conditions de travail – et des managers qui subissent des injonctions contradictoires. Nous déplorons aussi de trop nombreux process RH vécus par les salariés et les managers comme une perte de temp - dans le meilleur des cas - et comme un "alibi".

A contre-rebours des pratiques RH, vous critiquez le développement des soft skills

Bertrand Martinot : On observe une dérive, la tendance à la "psychologisation" dans le management. On juge les salariés pour ce qu'ils sont et non pas pour ce qu’ils font. Plutôt que d’avoir un cadre très professionnel où on évalue les salariés sur des critères objectifs, certaines entreprises valorisent le comportement du salarié. Il y a un certain discours managérial, souvent éloigné du terrain, qui ne se rend pas compte que le cœur battant des RH ce sont des capacités techniques à faire, à produire, à innover, à résoudre des problèmes que ce soit dans l’industrie ou dans les services.

De la même manière, ce qu’on attend d’un manager c'est qu'il fasse preuve d’autorité - à ne pas confondre avec l’autoritarisme - qu'il prenne ses responsabilités, qu'il soit exemplaire et non pas qu'il soit "bienveillant" en acceptant toutes les demandes de son équipe.

Selon vous, un bon management est un management qui justifie ses décisions. Prenons l'exemple du télétravail qui agite nombre d'entreprises qui souhaitent le réduire. Que pensez-vous des débats actuels ?

Franck Morel : Des entreprises veulent revenir sur certaines pratiques qu’elles jugent - à tort ou à raison - abusives car posant des problèmes d’efficacité, de productivité, de cohésion des équipes. Aujourd'hui, nous sommes dans une phase de développement du télétravail où l'on ne peut pas revenir à la situation pré-Covid mais où les acteurs sont à la recherche d’un équilibre entre le fait que dans un certain nombre de situations le télétravail est une forme d’organisation du travail qui peut être intéressante par sa fluidité, sa souplesse mais peut aussi peut poser des problèmes d'organisation liés à un contrôle beaucoup plus distendu et à un lien au collectif qui n’est pas le même que lorsqu'on est en présentiel. 

Bertrand Martinot : Si vous imposez aux salariés de moins télétravailler ou d'être là le jeudi par exemple, alors que leurs équipe n’est pas là ou que même en présentiel vous organisez des visio-conférences avec les autres salariés qui sont dans le même bâtiment, ces derniers peuvent valablement se poser des questions. En revanche, si les salariés comprennent que ces interactions sont nécessaires pour la cohésion de l’équipe, qu’une dynamique se crée et qu’ils comprennent que ça se passerait moins bien si chacun était isolé en télétravail, alors la décision apparaîtra justifiée. La question du télétravail n’est pas si différente de l’ensemble des questions managériales qui parfois aboutissent à des situations incomprises voire parfois absurdes.

Vous rouvrez la question de la durée du travail, comme l'a fait d'ailleurs très récemment François Bayrou. Que proposez-vous ?

Bertrand Martinot : Nous ne proposons pas d’obliger à travailler plus, mais de faire en sorte que tout notre système réglementaire et d’incitations financières arrêtent de pénaliser l’augmentation du temps de travail mais au contraire la favorise. Il faut retirer un certain nombre de verrous et réorienter une partie des allégements de charges de manière à ce qu’augmenter le temps de travail ne pèse pas sur l’employeur. Les allègements de charge seraient plus faibles pour les entreprises qui restent à 35 heures.

Franck Morel : Si on considère qu’il existe un objectif politique d’intérêt général dans notre pays dans le fait de travailler collectivement plus pour produire plus de richesses, contribuer à financer notre modèle social et améliorer le pouvoir d’achat - ce qui est notre cas - il faut alors rendre l'augmentation du temps de travail désirable, souhaitable et profitable. Quel est l’utilité par exemple aujourd’hui du contingent d’heures supplémentaires ?  Ce n'est plus qu’un signal contre-productif. Il existe déjà des normes pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Autre exemple : un quart des salariés sont à temps partiel contraint et, à côté de cela, nous disposons dans notre droit du travail de trois plafonds d’heures complémentaires.

Vous êtes d'ailleurs assez critiques sur la semaine de/en quatre jours

Franck Morel : La difficulté c’est de présenter cela comme la nouvelle panacée qui doit s’appliquer partout et pour tous.

Bertrand Martinot : Attention à ce que cela n'aboutisse pas, comme les 35 heures, à une intensification du travail. Si localement il existe des partenaires sociaux et une entreprise dont le modèle économique s’y prête, qui fait des marges très importantes et qui peut en utiliser une partie pour baisser le temps de travail et un salaire inchangé, alors qu’ils le fassent.

Le compte épargne-temps universel n'était pas non plus à votre goût

Franck Morel : Le compte épargne-temps universel [le Cetu] consistait à bâtir un dispositif dans lequel on demandait aux entreprises de contribuer à sa gestion tout en envoyant aux salariés un signal selon lequel ils pouvaient l'utiliser pour réduire leur temps de travail alors qu'on a besoin de travailler plus collectivement ! Si l’objectif est de favoriser la fluidité entre temps de formation et temps de repos, entre temps de repos et congé ou argent, on peut le faire sans le Cetu. Permettons par exemple de monétiser une semaine de congés payés par accord individuel entre employeur et salarié. Il n’y a pas besoin de Cetu pour cela. Nous le proposons et le proposions déjà en 2016 dans notre précédent ouvrage commun. L’idée avance !

Vous souhaitez également permettre aux branches professionnelles de pouvoir influer davantage sur le pouvoir d'achat des salariés

Franck Morel : Il faut poursuivre l’élargissement du champ de la négociation collective d’entreprise en particulier, mais aussi de branche. Nous proposons d'ailleurs de confier à la négociation de branche le soin de fixer totalement les minima salariaux comme c'est le cas dans cinq pays d'Europe. Actuellement, les pieds de grille salariales sont mangés par les évolutions du Smic et ferment la possibilité pour les branches d'organiser des parcours professionnels en début de carrière.

Cela ne nous semble pas illégitime que des branches où existent des tensions de recrutement, des conditions de travail plus difficiles, où l'on cherche à attirer des talents, où l'on a un problème au milieu de la grille de classifications, puissent décider de minima différents d’un secteur d’activité à l’autre. Nous proposons même aux branches de prendre en considération les différences territoriales du coût de la vie, c’est-à-dire de permettre de rajouter dans les minima un étage qui serait une indemnité de résidence sur le modèle de ce qui existe dans la fonction publique.

Vous estimez aussi que la RSE ne doit pas être la priorité des entreprises, surtout en considération de votre constat de départ sur l'insatisfaction des salariés

Bertrand Martinot : Si la RSE consiste pour l'entreprise à jouer un rôle social, voire sociétal pour accompagner les politiques publiques, faire des partenariats public/privé, développer des fondations, c'est très bien. En revanche, si la RSE consiste à développer une culture d’entreprise qui vise à compenser le fait que les conditions de travail sont mauvaises et les rémunérations faibles, ce discours est alors toxique.

Franck Morel : Les entreprises doivent veiller à éviter trois écueils en matière de RSE : l’instrumentalisation, le communautarisme et les contradictions. Si on est en revanche dans un engagement sincère qui vise à donner du sens en adéquation avec l’activité de l’entreprise évidemment alors que c’est quelque chose qu’il faut encourager.

Bertrand Martinot : Un salarié a besoin avant tout d’un salaire correct, d’être reconnu pour son métier, que son métier ait un sens, d’avoir des perspectives d’évolution professionnelle, c’est ça que doit produire une entreprise. 

 

(*) "Le travail est la solution : réconcilier les Français avec le travail", Bertrand Martinot et Franck Morel, Editions Hermann, juin 2025.

Florence Mehrez
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