Une direction juridique éthique ou rien ?

23.11.2022

Gestion d'entreprise

Attirer ou conserver des talents au sein de la direction juridique, cela passe désormais par la mise en avant d'une démarche éthique. Quelques mesures concrètes ont été évoquées à l'occasion du Congrès annuel Rendez-vous des Transformations du Droit, organisés par Village de la Justice et Open Law, le Droit Ouvert le 17 novembre dernier.

Avoir une « posture juridique » ne suffit plus. C’est en ces mots qu’Audrey Morin, Group Compliance Director chez Schneider Electric, avertit les nombreux professionnels et étudiants qui assistaient à la table ronde consacrée à l’éthique, lors du Congrès annuel Rendez-vous des Transformations du Droit, organisés par Village de la Justice et Open Law, le Droit Ouvert le 17 novembre dernier. 

« Quel que soit le groupe dans lequel vous souhaitez évoluer, l’éthique des affaires est devenue un critère transverse, qu’il faut pouvoir appréhender ». Pour la juriste, qui a suivi par le passé le Master II Droit et éthique des affaires à l’Université de Cergy-Pontoise (CY Cergy Paris Université), il est essentiel de « comprendre ces notions » pour ne pas voir les choses « sous un prisme purement juridique, qui ne permet pas de répondre à toutes les questions ». Prévention du harcèlement, discriminations… « Si vous n’avez qu’une posture juridique, vous ne pouvez pas accompagner les personnes qui viennent alerter sur ce type de comportement », poursuit-elle. Cette posture doit nécessairement s’accompagner d’une vision « éthique », qui permet une « certaine élasticité du raisonnement et du questionnement », argumente la juriste.

Prôner ses engagements de manière publique

Des valeurs qui sont par ailleurs portées par la jeunesse. Un constat exprimé par Roxana Family, maître de conférences et directrice de la Chaire – Master en droit et éthique des affaires (CY – Université de Cergy Paris). « Les jeunes générations arrivent avec des valeurs et des convictions. Cela se traduit par un certain nombre d’attentes : à l’égard de leur formation et des organisations qui les emploient ». Un avis confirmé par Audrey Morin : « il y a de plus en plus une forte connexion entre ce que nous avons envie de faire dans une entreprise et les valeurs qui y sont attachées. Les RH doivent promouvoir les valeurs de l’entreprise » dans leurs offres de recrutement. C’est ce qui permettra aux candidats de « se projeter », estime-t-elle.

Pour les attirer au sein de la direction juridique, l’entreprise doit donc prôner ses engagements de manière publique, estime Philippe Coen, directeur juridique de The Walt Disney Company. « Aujourd’hui, une entreprise ne peut plus être neutre ou dans l’absence de position, y compris sur des sujets sociétaux, comme l’IVG par exemple ».

Alors concrètement comment créer de l’engagement éthique au sein de la direction juridique ? « La pédagogie n’infuse que si l’on met une dose de concret et d’empathie », considère le directeur juridique, également membre de l’AFJE. Celui-ci met en place « des jeux de rôles », où les juristes, mais aussi les autres collaborateurs de l’entreprise jouent des scènes de corruption, de harcèlement, ou encore de conflit d’intérêts. 

Inviter des grands témoins sur la thématique de la RSE

Chez Schneider, Audrey Morin a mis en place plusieurs types de formation pour assurer une harmonisation des pratiques en interne ». Sur les dispositifs d’alerte, les enquêtes internes… L’objectif est de s’assurer que toutes les personnes en charge de ces questions « aient un bagage commun ». Un travail « continu » qui porte sur le fond, mais aussi sur « les principes clés notamment en termes de posture, de situations interculturelles » et de manière plus large, sur les « soft skills » à avoir sur ces sujets.

« Comprendre comment l’autre réfléchit, c’est une des choses les plus difficiles lorsqu’on est issu d’une formation juridique. L’intelligence émotionnelle, il faut savoir la développer », assure Audrey Morin.

A la Walt Disney Company, la direction juridique a choisi d’inviter des grands témoins sur la thématique de la RSE lors des réunions d’équipe. Notamment, des anciens détenus pour traiter du sujet de la réinsertion, du repentir, raconte Philippe Coen. Plusieurs comités internes ont par ailleurs été mis en place au sein de l’entreprise : sur l'inclusion, la diversité, les risques psycho-sociaux… « On encourage les collaborateurs à intégrer ces comités », qui sont par ailleurs ouverts aux tiers. « Un juriste ou un non-juriste vient avec ce qu’il connaît personnellement. On ne peut pas se contenter de l’interne ». Sont donc également conviés les acteurs de la société civile comme des représentants d’associations.

Des cliniques juridiques sur les droits humains

Pour Roxana Family, la sensibilisation doit être réalisée bien en amont, dès l’université. « Traditionnellement, on a toujours considéré que les facultés de droit n'étaient pas là pour préparer à des métiers mais au droit. Aujourd’hui les choses changent, les mentalités évoluent », notamment grâce aux masters « très professionnalisants ». Mais à chaque niveau ses besoins, rappelle-t-elle. Dès la L3, il faudrait « introduire des modules très operationnels. Des mises en situation qui aident à s’approprier les valeurs et à comprendre la conduite à adopter dans tel ou tel contexte ». Et chaque master devrait « jouer le jeu » par rapport à sa spécialité. « Il faut connaitre la déontologie des organisations internationales quand on va dans un master international », illustre-t-elle. Un exercice auquel croit beaucoup Alexandra Aumont, avocat associée et fondatrice du cabinet GKA Avocats. « Au-delà de l’objet de l’appréhension des règles de déontologie », cela permettrait aussi aux étudiants de « comprendre certains codes sociaux », estime-t-elle.

Enfin, Philippe Coen, fondateur de l’association Respect Zone (association spécialisée dans la lutte contre les cyber-violences, le harcèlement et les discriminations), a créé une clinique juridique des droits humains. En pratique, les entreprises partenaires donnent des dossiers aux étudiants de M1 membres de la clinique. « Il y a insuffisamment de cliniques juridiques en France, en particulier sur les droits humains et sur l’éthique », se désole le directeur juridique. Une situation à laquelle il faudrait remédier, afin de permettre aux « jeunes etudiants en droit de sortir avec un CV augmenté ».

Leslie Brassac

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