Urgence écologique : après la sobriété, le rationnement ?
04.06.2023
Environnement

Alors qu’une étude inquiétante sur les limites planétaires a été publiée le 31 mai 2023, les Assises européennes de la transition énergétique organisées à Bordeaux quelques jours plus tôt se sont interrogées sur la manière de s’y conformer. Parmi les pistes, la question du rationnement.
Longtemps taboue, c’est sans prévenir que la sobriété s’est imposée en 2022 comme une thématique crédible dans les milieux économiques. Peut-il en être de même de concepts comme le rationnement ou la lenteur ? La question est moins saugrenue qu’il n’y paraît si l’on en croit plusieurs débats organisés à Bordeaux lors des Assises européennes de la transition énergétique du 23 au 25 mai 2023. De la même manière que l’on s’est fixé un plafond d’émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser, il semble impératif de « définir collectivement des barrières pour éviter l’effondrement du "système terre" qui a permis le développement humain », insiste Natacha Gondran, professeure des Mines de Saint-Étienne et co-autrice d’un ouvrage sur les limites planétaires.
Ce discours n’est pas catastrophiste. Il correspond entre autres aux conclusions d’un nouvel article de la revue Nature publié mercredi 31 mai. Plus que jamais, les scientifiques sonnent le tocsin. Dans les politiques publiques comme dans les stratégies d’entreprise, il faut prendre en considération des problématiques comme les cycles de l’eau, la biodiversité ou la protection des sols. Faute de quoi c’est tout simplement la vie sur terre qui est menacée. En outre, « comme il y a beaucoup d’incertitudes, on doit définir des frontières en amont de chaque limite », prévient Natacha Gondran.
Si le rationnement n’est pas le seul moyen d’atteindre un objectif, il semble illusoire de s’en passer. Impossible par exemple d’atteindre « zéro artificialisation nette » en laissant les parcs d’activité s’étaler sans un minimum de contraintes. Pour chaque limite, il y a un gâteau à partager. Dans un monde pérenne, les ménages, les collectivités, les acteurs économiques sont invités à ne pas manger la part du voisin. Si l’on veut garantir une certaine équité sociale en particulier, « on pense souvent aux plus vulnérables à protéger, mais on doit aussi envisager de limiter les surconsommations », insiste Mathilde Szuba, docteur en sociologie de l’environnement à à Sciences-Po Lille.
Environnement
La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)
Mieux vaut considérer le rationnement comme un mode de gestion plutôt que comme une punition. Selon le contexte, il peut d’ailleurs être vécu de manière totalement différente. Durant la seconde guerre mondiale, les Britanniques l’ont perçu comme un moyen de résistance et ce n’est peut-être pas un hasard si la thématique a été réinvestie très sérieusement par le gouvernement de Tony Blair au début des années 2000. Que l’on parle de pénurie alimentaire en période de guerre ou de pollution à l’époque de l’anthropocène, « ce n’est pas le rationnement qui crée la privation », rappelle Mathilde Szuba. Au contraire, « il vient mettre de l’ordre dans un marché que l’on juge défaillant ». Trois conditions doivent en revanche être réunies pour proposer un rationnement : qu’il soit juste, justifié, et qu’il existe une confiance dans les autorités qui le mettent en place. Un point qui ne va pas de soi aujourd’hui !
L’autre hic est méthodologique. Comment mesurer une surface artificialisée ou la consommation d’eau acceptable ? Une règle de trois suffit-elle à définir ce à quoi on a le droit ? Quels indicateurs créer pour modéliser et s’approprier la question des limites planétaires ? A l’instar d’Amsterdam ou de Grenoble, plusieurs collectivités tentent de s’approprier un outil, le « Donut », qui permet de visualiser la manière dont on se situe par rapport aux plafonds environnementaux à ne pas dépasser. Et donc de savoir dans quel domaine il est nécessaire de se rationner. « Ce qui est intéressant dans ces démarches est le fait de poser les questions du pourquoi on fait les choses et celle du renoncement », note Natacha Gondran.
Ces réflexions ont évidemment toute leur place en entreprise. Même si leurs conséquences peuvent paraître vertigineuses. À moins de miser sur le « pari réparateur », du nom du scénario ultra-technologique imaginé par l’Ademe pour faire face aux défis environnementaux du vingt-et-unième siècle, certaines pratiques semblent condamnées. Des productions devront être arrêtées ou fortement réduites. Ne pas se poser la question du rationnement semble, dès lors, difficile à justifier. Et la mise à jour de ce travail de l’Agence de la transition écologique, attendue courant juin ne dira pas autre chose. Mais comme le roi de la photo argentique Kodak l’a expérimenté dans un tout autre domaine, fermer les yeux sur des évolutions inéluctables n’a jamais été une bonne stratégie.
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