Vers une "clause de conscience" pour les cadres ?

Vers une "clause de conscience" pour les cadres ?

01.12.2017

Gestion du personnel

Outre la définition de critères définissant les salariés de l’encadrement, la négociation interprofessionnelle, qui s’ouvre le 21 décembre, devrait aborder les droits et garanties attachés à ce statut. Notamment lorsque l’éthique professionnelle est en jeu.

La négociation interprofessionnelle sur l’encadrement, qui s’ouvrira le 21 décembre, débouchera-t-elle sur de nouveaux droits fondamentaux pour les cadres ? Le sujet, abordé en bilatérales, depuis début novembre, recueille l’aval des organisations syndicales. Cette revendication n’est d’ailleurs pas nouvelle. Dès 2015, l’Ugict-CGT pointait les contradictions entre pratiques des entreprises et éthique professionnelle. Un cadre sur deux était confronté à ce type de dilemme, selon un baromètre publié à cette époque. De même, la CFDT, révélait, à travers un document intitulé "Manifeste des droits et garanties attachés à la fonction cadre" que 63% des cadres craignaient d’appliquer une décision avec laquelle ils ne sont pas à l’aise.

Depuis, quelques avancées ont été faites. La loi Sapin II sur la transparence de la vie économique, adoptée en novembre 2016, a introduit pour la première fois dans la législation une définition et un statut inédit pour le lanceur d’alerte. Les salariés, cadres et non cadres, ont désormais la possibilité de dénoncer des manœuvres frauduleuses de leur entreprise, sans risque de licenciement abusif.

Mais de nombreuses situations échappent à ce texte. Notamment lorsque l’éthique professionnelle des cadres est mise à mal. "Les cadres sont coincés, dans un choix binaire, se soumettre ou se démettre, et ne peuvent ni exercer leur éthique professionnelle ni leur responsabilité", confirme Marie-José Kotlicki, secrétaire générale de l'Ugict-CGT, chef de file de cette négociation. Les cas de conscience sont multiples : obligation de loyauté, de mettre en œuvre des décisions jugées contre-productives ou contraires à leur éthique ; devoir de réserve ; injonctions contradictoires…

Droit d’expression critique

Mais si le principe semble acquis, les avis divergent quelque peu sur les limites de ses nouveaux droits. La plupart sont tout d’abord favorables à un droit d’expression effectif. La CFE-CGC revendique, par exemple, un droit d’expression et notamment celui d’exprimer un avis différent ou critique en certaines circonstances. "Trop souvent les prises de parole conduisent à des mises à l’écart voire à des mises au placard", observe Gérard Mardiné, secrétaire national de la CFE-CGC, chef de file de cette négociation. La confédération de l’encadrement propose, en cas de désaccords avec la direction, le recours à des cellules de médiation, interne ou externe.

La CFDT évoque de, son côté, un "devoir d’expression critique". Autrement dit, de disposer d’un droit d’intervention notamment sur l’organisation du travail, les conditions de travail, d’hygiène et de sécurité pour lui-même, ses collaborateurs mais aussi sur certains choix de son entreprise. Soit de nouvelles marges de manœuvre afin qu’il puisse agir sur son environnement de proximité.

L’Ugict-CGT évoque, quant à elle, "un droit de refus et de proposition alternative". Concrètement, il s’agirait pour un cadre de  faire connaître publiquement ses désaccords par rapport aux décisions stratégiques de l’entreprise et de pouvoir proposer de nouvelles orientations. Objectif ? "Remédier à ces blocages et servir d’alerte pour les directions".

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Droit de retrait

Second niveau de garanties : le droit de retrait, dès lors qu’un ordre hiérarchique serait contraire aux pratiques professionnelles admises (par la loi et les règlements, par les normes professionnelles...) et susceptibles de mettre en jeu la responsabilité pénale, disciplinaire ou financière. "Un cadre doit également pouvoir demander une modification et ses délégations ou de ses missions, le cas échéant un changement de poste au sein de l’entreprise en pareille circonstance", insiste Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT et chef de file de la négociation interprofessionnelle.

Droit à démission légitime

Mais la confédération de Belleville veut aussi aller plus loin et réclame une "clause de conscience", en permettant aux cadres de pouvoir démissionner avec des indemnités en cas de désaccord éthique avec l’entreprise. Ce dispositif, en vigueur dans la presse, permet à un journaliste de pouvoir quitter un média, "en raison du changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux". L’idée défendue par la CFDT serait pour un cadre contraint d’appliquer une décision de leur hiérarchie qui heurte leur conscience de démissionner avec des garanties identiques à celle d’un licenciement.

Sur ce modèle, Philippe Pihet, secrétaire confédéral de FO, parle, lui, d’une "clause d’éthique", utilisée pour pouvoir protéger l’intégralité morale d’un cadre en démissionnant de son entreprise. Avec la possibilité d’avoir des indemnités chômage. La CFE-CGC et l’Ugict-CGT y seraient favorables, en dernier recours.

Les organisations syndicales défendront ces droits dans la négociation sur l’encadrement. La balle est désormais dans le camp des organisations patronales.

Anne Bariet
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