Violation des sanctions contre la Russie : le spectre d’un nouveau risque pénal pour les entreprises

16.04.2023

Gestion d'entreprise

Parallèlement à l’adoption du «10ᵉ paquet» de sanctions à l’encontre de la Russie, l’UE s’apprête à pénaliser leur violation par de très lourdes amendes basées sur le chiffre d’affaires mondial consolidé. Les entreprises doivent plus que jamais renforcer leur devoir de vigilance estime Me Dumon-Kappe, avocate associée chez DS Avocats, spécialisée en fiscalité douanière et commerce international.

Les premières mesures restrictives, dites « sanctions », adoptées par l’UE à l’encontre de la Russie depuis le début de l’invasion de l’Ukraine ont symboliquement porté sur l’interdiction d’exporter certains produits de luxe vers ce pays, sur le gel des avoirs des oligarques et autres proches du pouvoir russe et sur l’interdiction de commercer avec des sociétés listées. Les mesures suivantes ont renforcé les premières, en visant tout bien susceptible d’une utilisation militaire ainsi que tout produit permettant de concourir au fonctionnement et au financement de la machine de guerre russe.

Le 6 octobre 2022, l’UE a adopté un « 8e paquet » portant sur la limitation d’un certain nombre de prestations de services (informatiques, juridiques, etc.) (Règl. (UE) 2022/1903 à 2022/1904 du Conseil, 6 oct. 2022 : JOUE n° L 259 I, 6 oct. ; Déc. (PESC) 2022/1907 à 2022/1909 du Conseil, 6 oct. 2022 : JOUE n° L 259 I, 6 oct.). Le 16 décembre 2022, le « 9e paquet » a entériné, notamment, l’interdiction de procéder à de nouveaux investissements dans les secteurs énergétique et minier, s’ajoutant à l’interdiction d’importer du pétrole brut russe et visant ainsi à endiguer le financement de la guerre (Règl. (UE) 2022/2474 à 2022/2476 du Conseil, 16 déc. 2022 : JOUE n° L 322 I, 16 déc. 2022 ; Déc. (PESC) 2022/2477 à 2022/2479 du Conseil, 16 déc. 2022 : JOUE n° L 322 I, 16 déc. 2022). Enfin, le 25 février dernier, un « 10e paquet » a été adopté, listant notamment des entités iraniennes qui auraient fourni des drones à la Russie.

La volonté de l’UE de renforcer et d’harmoniser son arsenal législatif pénal

Parallèlement, fin 2022, l’UE a souhaité criminaliser la violation des mesures restrictives au même titre que le terrorisme, la traite des êtres humains, le trafic de drogues, le trafic d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la criminalité informatique et la criminalité organisée. Il s’agit là d’infractions particulièrement graves et revêtant une dimension transfrontalière (Dec. (UE) 2022/2332 du Conseil, 28 nov 2022 : JOUE n° L 308, 29 nov. 2022).

Dans le même temps, la Commission a proposé une directive visant à harmoniser les sanctions en cas de violation des mesures restrictives (Doc. COM (2022) 684 final, 2 déc. 2022). L’UE souhaite une réponse forte, commune et coordonnée, notamment grâce au Parquet européen.

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Les entreprises vont devoir intégrer la notion de contournement 

La proposition de directive vise à sanctionner les comportements visant à contourner les sanctions. Il pourra s’agir d’une participation active et volontaire, telle que la dissimulation du transfert à un tiers des fonds et des ressources détenus par une personne soumise à des mesures de restrictions, mais il pourra également s’agir d’un défaut de surveillance qui aura rendu possible la commission d’une infraction.

De très lourdes sanctions financières

A ces agissements, outre de lourdes peines d’emprisonnement à l’encontre des personnes physiques, sera appliquée une amende qui pourrait atteindre jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires mondial consolidé de l’entreprise.

L’objectif d’une telle amende est indéniablement d’être dissuasif. Néanmoins, le juge pénal conservera son pouvoir de modulation de l’amende selon les circonstances atténuantes ou aggravantes de l’affaire. En effet, la plupart des schémas de contournements se font avec le concours actif et souvent essentiel, de sociétés non établies dans l’UE. 

Citons le cas de l’Inde dont certaines entreprises ont acheté massivement à tarif réduit du pétrole russe brut pour le raffiner, puis pour l’exporter vers l’UE. Cet accroissement soudain des importations de pétrole raffiné en provenance d’Inde a été identifié par l’UE selon la même méthodologie que dans les enquêtes de contournement de droits additionnels antidumping. 

Or, c’est bien la responsabilité pénale de l’importateur européen qui sera en tout premier lieu mise en cause. C’est donc la connaissance ou la méconnaissance du changement de circuit des flux financiers et physiques qui sera soumise à l’appréciation du juge pénal.

Les entreprises devront renforcer la connaissance de leurs flux

Dans ces circonstances, les entreprises vont devoir plus encore s’interroger sur l’efficacité de leurs procédures de vigilance afin de s’assurer de la fiabilité des différents acteurs de leurs chaînes d’approvisionnement, ainsi que de celle de leurs clients occasionnels ou habituels.

Si nous prenons l’exemple d’un flux d’exportation de composants électroniques vers la Turquie - ce pays étant bien souvent un pays de « transit » des flux vers la Russie - le choix de l’incoterm va se révéler crucial. En optant pour l’incoterm EX Works, le vendeur ne prend pas à sa charge le coût du transport et de l’assurance : les marchandises sont mises à disposition de l’acheteur, dans les locaux du vendeur. L’acheteur a alors toute latitude pour gérer le transport et modifier la destination prévue qui deviendrait alors la Russie. En pareille hypothèse, il pourrait être considéré qu’en optant pour un tel incoterm le vendeur a ainsi participé à, ou a facilité, un contournement des mesures restrictives.

Il savait, ou aurait dû raisonnablement savoir… C’est bien le défaut de surveillance et l’absence d’alerte qui seront ainsi soumis à l’appréciation du juge pénal.

Sophie DUMON-KAPPE
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