« Fissions » autour de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim !

13.04.2017

Environnement

Il est publié ! Après moult rebondissements, un décret du 8 avril 2017 précise les conditions d'abrogation de l'autorisation d'exploiter de la centrale nucléaire de Fessenheim. Ce qui en a contenté certains, et suscité de vives oppositions chez d'autres. En effet, malgré ce texte, la date de la fermeture effective de la centrale est incertaine.

« C’est dit, c’est fait » s’est auto-félicitée la ministre en charge de l’environnement le jour de la publication au Journal Officiel du décret portant abrogation de l’autorisation d’exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim en Alsace.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Un texte très controversé qui aura finalement pu être publié avant la fin du quinquennat. La fermeture de la doyenne des centrales nucléaires françaises, avec 40 ans de mise en service, est donc confirmée mais conditionnée à la mise en service de l’EPR de Flamanville 3, dans la Manche, qui est prévue pour le 11 avril 2020.

Précision : l’EPR, pour European Pressurized Reactor, est un réacteur nucléaire à eau pressurisée de troisième génération ayant une puissance électrique supérieure aux autres réacteurs.

 

Pour rappel, la fermeture de cette centrale était l’engagement n° 41 de François Hollande lors de la campagne à l’élection présidentielle en 2012. Si cette fermeture n’aura pas lieu en 2016 comme promis, elle en prend toutefois le chemin.

 

Une fermeture soumise à conditions…fixées par EDF…

Selon le décret, l’autorisation d’exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim sera abrogée à la date notifiée par EDF pour la mise en service de Flamanville 3, sous réserve du respect des trois conditions suivantes :

- la demande d’autorisation d’exploiter Flamanville 3 doit avoir été reçue avant cette date ;

- la mise en service de Flamanville 3 doit être intervenue avant le 11 avril 2020 ;

- ces dispositions soient nécessaires pour assurer le respect du plafond de 63,2 GW à la date notifiée par EDF pour la mise en service de Flamanville 3.

Précision : pour rappel, l’article 187 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a plafonné à 63,2 gigawatt (GW) la capacité de production d’électricité d’origine nucléaire installée en France (C. énergie, art. L. 311-5-8). Une disposition jugée conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel (Cons. const., déc., 13 août 2015, n° 2015-718 DC : JO, 18 août).

 

Le texte prend ainsi acte de la décision du Conseil d’administration d’EDF prise le 6 avril 2017 qui avait posé deux conditions à la fermeture de Fessenheim : que l’abrogation de l'autorisation d'exploiter la centrale de Fessenheim ne prenne effet qu’à la date de mise en service de l’EPR de Flamanville 3 et que la fermeture de la centrale de Fessenheim soit nécessaire au respect du plafond légal de 63,2 GW, tant à la date de la demande d’abrogation qu’à la date de mise en service de l’EPR de Flamanville 3.

Précision : cette délibération constatait que les conditions préalables prévues par la délibération du conseil d’administration d’EDF du 24 janvier 2017 subordonnant l’abrogation de l’autorisation d’exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim d’une part à l’entrée en vigueur préalable du décret modifiant le décret d’autorisation de création de l’EPR de Flamanville 3, reportant la date limite de mise en service de l’installation, et de l’arrêté ministériel prolongeant la durée d’arrêt de fonctionnement du réacteur n° 2 de Paluel (Seine-Maritime), dans des termes satisfaisants pour EDF, et à la confirmation par la Commission européenne que le bénéfice pour EDF des stipulations du protocole relatives aux modalités d’indemnisation du préjudice n’est pas incompatible avec la réglementation européenne en matière d’aides d’État, sont remplies.

 

Si EDF a reconnu lors de cette réunion que la fermeture irréversible de Fessenheim est « inéluctable », il a toutefois réussi à imposer le rythme de cette fermeture et ses conditions afin de garantir l’équilibre des rendements de l’entreprise et �� de disposer du parc nucléaire nécessaire à l’accomplissement de ses obligations de fourniture vis-à-vis de ses clients ».

Précision : lors de cette réunion, le Conseil d’administration d’EDF a également autorisé le Président d’EDF à signer le protocole d’indemnisation négocié avec l’État et approuvé par la Commission européenne, au plus tard à la date à laquelle cette demande d’abrogation de Fessenheim sera adressée (pour plus d’information sur ce protocole d’indemnisation, voir notre actualité « Fermeture de Fessenheim : le protocole d'indemnisation est validé... »).

 

Selon la ministre en charge de l’écologie, le choix d’EDF de fermer la centrale de Fessenheim se justifie par :

- le fait qu’il s’agit de la plus ancienne centrale de France ;

- le fait que les autorisations de prélèvement direct de l'eau de refroidissement dans le canal du Rhin relèvent d’un régime dérogatoire qui sera échu au 31 décembre 2022 ;

- le coût des investissements de sûreté qui auraient été nécessaires, sur la base des prescriptions de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN),à une prolongation de l’activité.

 

Un délai supplémentaire pour EDF

En réalité, le décret accorde un délai supplémentaire à EDF pour fermer Fessenheim, ce qui est la raison des vives tensions qui ont accompagné la publication de ce texte.

 

Le Conseil d’administration d’EDF n’a en effet pas décidé de fermer Fessenheim dès aujourd’hui mais a choisi de « jouer la montre » en la conditionnant à la mise en service du réacteur EPR de Flamanville ce qui lui permet d’obtenir un délai pour enclencher ou non la fermeture effective de la centrale. Cela repousse la fermeture réelle de Fessenheim à mi-2018 au minimum, soit six mois avant le démarrage de l’EPR de Flamanville 3. Or, rien ne garantit aujourd’hui qu’EDF pourra respecter ces délais de mise en service…

 

Selon le réseau « Sortir du nucléaire », la fermeture immédiate de Fessenheim est possible sur le plan énergétique. Il précise que « la contribution de Fessenheim à la production nationale d’électricité n’a atteint que 1,3 % en 2011 et que ses réacteurs étant fréquemment à l’arrêt, une fermeture définitive ne ferait guère de différence avec la situation actuelle ».

 

Respecter la loi relative à la transition énergétique

La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim s’inscrit dans les objectifs de diversification du mix énergétique et de réduction de la dépendance au nucléaire fixés par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV). Elle prévoit notamment de réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025 (art. 1 – C. énergie, art. L. 100-4).

 

La ministre en charge de l’environnement « encourage EDF à poursuivre et renforcer les investissements dans les énergies renouvelables : solaire, éolien, géothermie, énergies marines, hydroélectricité pour réduire à 50 % la part du nucléaire comme la loi l’impose ».

 

Toutefois, si EDF affirme prendre en compte les dispositions de la loi TECV, il fera tout pour que la capacité de son parc nucléaire ne soit pas inférieur au plafond de 63,2 GW fixé par la loi afin d’avoir un rendement maximum.

 

Quid de la légalité du décret

La légalité du décret est remise en question car la loi prévoit que les abrogations des autorisations d’exploiter une centrale nucléaire sont prononcées suite à une déclaration faite à l’initiative de l’exploitant au ministre chargé de la sûreté nucléaire et à l'Autorité de sûreté nucléaire (C. envir., art. L. 593-26). Or, en l’espèce, aucune demande préalable officielle n’a été transmise par EDF.

 

Les syndicats d'EDF, qui s'opposent à la fermeture de la centrale ont déjà annoncé qu’ils allaient faire un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État.

 
Forte opposition contre le décret, le gouvernement et EDF…

« Coup de bluff », « intox », « enfumage »… les réactions négatives à l’encontre du décret ne se sont pas faites attendre. D’une part en raison du délai supplémentaire accordé à EDF qui continue ainsi de garder la main sur la politique énergétique française, et d’autre part car cela fait des années que de nombreuses associations militent pour la fermeture immédiate de la centrale de Fessenheim.

 

Le réseau « Sortir du nucléaire » dénonce l’inaction du gouvernement. Selon lui, la décision du conseil d’administration d’EDF du 6 avril 2017 « entérine l’inversion totale de la logique de la loi de transition énergétique : avec la complaisance du gouvernement, EDF a transformé le plafonnement de la puissance nucléaire installée à ne pas dépasser, instauré par la Loi de Transition Énergétique, en plancher sous lequel ne pas descendre […] Pire encore, cette fermeture pourrait être remise en question si elle ne s’avérait plus nécessaire pour rester en-dessous des 63,2 GW de puissance nucléaire installée. Ainsi, si d’autres réacteurs venaient à être arrêtés pour raison de sûreté (comme Paluel 2, gravement endommagé par la chute d’un générateur de vapeur), la centrale alsacienne pourrait continuer à fonctionner malgré son âge avancé, ses pannes à répétition et les risques qu’elle fait peser sur les populations. » (Communiqué de presse du réseau « Sortir du nucléaire », 7 avr. 2017).

 

Comme le disait déjà Greenpeace en janvier 2017, « en imposant des conditions pour retarder cette fermeture, EDF ne fait que reculer pour mieux sauter. Et entretemps, elle plombe ses finances et joue avec la sûreté nucléaire : rien ne l’oblige plus en l’état actuel des choses de fermer Fessenheim » (Communiqué de presse de Greenpeace, 30 janv. 2017).

 

Non seulement située en zone sismique la rendant particulièrement vulnérable, Fessenheim a fait l’objet de nombreux défauts de sûreté relevés depuis des années. Le 18 octobre 2016,  l'Autorité de sûreté nucléaire avait en ce sens  demandé à EDF d'arrêter le réacteur Fessenheim 1 (Déc. n° 2016-DC-0572 de l'ASN, 18 oct. 2016), et la centrale est actuellement à l’arrêt pour de coûteuses réparations comme le précise la ministre en charge de l’environnement.

 

Cinq associations (Alsace nature, le Comité pour la sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin, Stop-Fessenheim, Stop Transports-Halte au nucléaire et le Réseau Sortir du nucléaire) avaient déjà demandé le 22 novembre 2012, par une lettre ouverte à la ministre en charge de l’environnement, l’application de la procédure d’urgence pour raison de sûreté et l'arrêt immédiat et définitif des deux réacteurs de la centrale.

 

Pour autant, rappelons que l'Autorité de sûreté nucléaire avait autorisé EDF à poursuivre pour 10 années supplémentaires (soit 40 ans) l'exploitation du réacteur 2 de la centrale de Fessenheim. De nouvelles prescriptions avaient toutefois été imposées, consécutives au troisième réexamen de sûreté (Communiqué de presse de l'ASN, 29 avr. 2013, Déc. de l'ASN n° 2013-DC-0342, 23 avr. 2013).

 

 

D’ici à ce que Flamanville 3 soit mis en service, le prochain président de la république et son gouvernement pourront revenir sur cette décision, à moins que la justice ne soit passée par là avant…. Affaire à suivre…

 

Anne-Laure Tulpain, Code permanent Environnement et nuisances
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