«Airbus a accompagné l'enquête en apportant une coopération exemplaire», T. Baudesson

«Airbus a accompagné l'enquête en apportant une coopération exemplaire», T. Baudesson

17.02.2020

Gestion d'entreprise

Fin janvier, Airbus a conclu une CJIP d'un montant record de plus de 2 milliards d'euros avec le Parquet national financier. Retour sur ce dossier avec les témoignages de Thomas Baudesson, partner chez Clifford Chance et Olivier Attias, counsel chez August Debouzy, conseils d’Airbus.

Afin de mettre fin aux enquêtes des autorités françaises, britanniques et américaines portant sur des faits de corruption d’agent public étranger et de corruption privée commis entre 2004 et 2016, Airbus a accepté de conclure trois accords d'un montant historique. La CJIP et les deux deferred prosecution agreements (DPA) prévoient que le groupe verse 2 083 137 455 € au Trésor public français, 983 974 311 € aux autorités britanniques et 525 655 € au Trésor des États-Unis. La société s’est également engagée à faire évaluer l’effectivité de son programme de conformité par l’AFA pendant 3 ans. Maître Thomas Baudesson, partner chez Clifford Chance et maître Olivier Attias, counsel chez August Debouzy, conseils d’Airbus, ont accepté de revenir sur cette affaire.

Quelle est la caractéristique de ce dossier ?

Thomas Baudesson : Ce dossier a un caractère exemplaire. Il est unique tout d'abord par la démarche d’Airbus d'être allé voir les autorités spontanément. Ce n’est pas une démarche intuitive en France. De ce point de vue, ce dossier est un marqueur. Au Royaume Uni, c’est beaucoup plus banal. Airbus aurait fait l’objet tôt ou tard d’une enquête. Or, Airbus a accompagné l'enquête en apportant une coopération exemplaire, ce qui lui a permis de parvenir à une résolution rapide tout en se réformant dans le même temps. L’issue du dossier démontre a posteriori la pertinence de la démarche qui a été celle de la société.

A partir de quand avez-vous accompagné Airbus ?

T.B. : Clifford Chance est l'un des conseils historiques de la société Airbus. A titre personnel, je travaille avec Airbus depuis plus de 20 ans. J’avais accompagné Airbus - à l’époque EADS - dans le cadre du dossier des prétendus délits d’initiés où j’avais représenté la société et trois de ses dirigeants.

Le dossier qui vient de se clore a démarré en Angleterre. Airbus a tout d'abord pris l'initiative de révéler certaines irrégularités auprès de l’agence de crédit export britannique, puis auprès du SFO (Serious Fraud Office). Lorsque le PNF s’est manifesté auprès d’Airbus début 2017, j’ai été mandaté par le general counsel – John Harrison – pour m'occuper du volet français du dossier.

Olivier Attias : August Debouzy intervient aux côtés d’Airbus depuis 2017 et je suis intervenu sur le dossier dès mon arrivée au cabinet au printemps 2018.

Combien étiez-vous dans l’équipe ?

T.B. : Nous étions une équipe d’une douzaine de personnes à Paris dont quatre impliqués quotidiennement : Charles Henri Boeringer au niveau associé, Sophie Lévy, Charles Merveilleux du Vignaux et moi-même.

O.A. : Avec Gilles August, nous étions accompagnés par une équipe de 3 à 4 collaborateurs en fonction des problématiques rencontrées.

Pourquoi Airbus a sollicité deux cabinets côté français ? Comment vous êtes-vous répartis le travail ?

T.B. : L’idée était d’avoir deux paires d’yeux plutôt qu’une pour confronter les idées et se répartir certaines tâches. De nombreux cabinets sont intervenus sur ce dossier : un cabinet anglais, deux cabinets français, deux cabinets américains (un pour le volet FCPA et un pour le volet ITAR), un barrister anglais et un cabinet de forensic.

O.A. :  Il est toujours utile d’avoir plusieurs conseils qui peuvent réfléchir ensemble pour proposer la meilleure stratégie au client. D’ailleurs, d’autres conseils externes sont également intervenus côté anglais et américain et nous avons travaillé en équipe, comme si nous faisions partie d’un seul et même cabinet. C’est logiquement le client qui définit les rôles : côté Airbus, John Harrisson avait la charge de ce dossier à caractère stratégique. Il était assisté entre autres de sa directrice de la conformité et du responsable du contentieux ainsi que d’un comité éthique et compliance. Côté August Debouzy, nous sommes intervenus dans le cadre des négociations avec le Parquet national financier français. Ensuite et en fonction des compétences de chacun, les rôles se sont répartis naturellement.

Comment avez-vous conseillé Airbus sur la stratégie juridique et judiciaire à adopter ?

O.A. : Le client est resté maître de sa décision. La direction juridique d’Airbus a beaucoup de ressources en interne avec des profils très diversifiés et très riches et qui ont une expérience de la justice négociée. Compte tenu de l’envergure de la direction juridique d’Airbus, le conseil extérieur représente une aide et un guide à la décision.

Concrètement, sur le terrain comment avez-vous procédé ?

T.B. : Toutes les entreprises disent coopérer avec les enquêteurs. Airbus a eu une démarche de totale coopération, pas simplement de façade. Sans doute parce que le dossier a été initié au Royaume-Uni, que les autorités d'enquête anglaises ont l'habitude de ce type d'enquêtes de coopération, et qu'Airbus s’est entourée de cabinets qui ont également l’habitude d’effectuer des enquêtes de ce type, une coopération innovante, sans précédent en France, a pu s'établir avec le PNF.  

Comment s'est déroulée l'enquête interne ?

T.B. : Comme toute enquête interne : on commence par collecter l'information afin de pouvoir l'analyser. S'agissant pour l'essentiel d'information électronique, on a recours à l'intelligence artificielle qui permet de trier et de sélectionner l'information pertinente. S'ensuit une phase de revue « humaine » qui permet de parfaire la revue documentaire et de commencer l'analyse. Les emails doivent ensuite être remis en contexte. C'est alors que débute une phase d'audition avec les personnes concernées. 

Vous avez donc procédé à des auditions des salariés ?

T.B. : Oui, bien sûr. Pour bien comprendre les faits, il est essentiel, lorsque cela est possible, de rencontrer les personnes susceptibles d'apporter un éclairage utile à l'enquête. L'analyse serait incomplète si nous nous contentions d'une simple revue documentaire. Nous avons donc auditionné les personnes qui ont accepté de nous rencontrer. Dans la mesure où une enquête pénale se déroulait en parallèle, les personnes qui ont accepté d'être auditionnées se sont vues systématiquement proposer un avocat.

Certaines auditions ont pu se dérouler à l’étranger, ce qui représente un gain de temps important pour tout le monde. Comme l'a souligné le Président du Tribunal judiciaire à l'audience de validation, la coopération d'Airbus a permis au tribunal d’avoir une connaissance beaucoup plus vaste de la situation que celle dont il aurait eu à connaître s’il y avait eu une enquête classique menée en France par les enquêteurs.

Il y a une efficacité recherchée par l’entreprise dans une enquête de coopération comme celle-ci ; le but étant d’éviter de laisser perdurer une situation préjudiciable à l’entreprise pendant des années.

Au bout du compte, l'enquête pour Airbus n’a duré que 4 ans alors qu'une enquête classique aurait pu en durer 15, sans parler de la phase judiciaire ni du risque américain ou britannique.

Comment se sont déroulées les négociations avec le Parquet national financier ? Êtes intervenus sur les accords conclus avec les autorités américaines et britanniques ?

T.B. : Apres avoir partagé avec les enquêteurs le résultat de notre analyse et que ces derniers ont pu, de leur côté, procéder à leurs propres vérifications et actes d'enquête, une phase contradictoire plus classique s'est ouverte au cours de laquelle nous avons pu confronter les arguments de part et d'autre et faire un tri.

Nous avons eu de nombreuses réunions physiques ou téléphoniques avec le PNF et les enquêteurs de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Il s'agit véritablement d’une nouvelle manière de travailler que nous avons expérimenté avec le PNF, chacun restant cependant dans son rôle. Comme l'a souligné le parquet à l'audience de validation : à aucun moment les avocats n'ont été des procureurs ni les procureurs des avocats.

O.A. : Nous avons travaillé en coordination étroite avec le cabinet anglais Dechert et les cabinets américains Paul Hastings et Arnold & Porter en charge des relations avec les autorités anglaises et américaines. Compte-tenu de la complexité du dossier, nous étions en contact permanent avec eux. Ce n’est pas un dossier où chaque conseil extérieur pouvait travailler de son côté. A ce titre d’ailleurs, je trouve que la collaboration entre tous les conseils a été remarquable, à l’image de ce dossier historique.

Airbus s’engage à verser plus de 2 milliards d’euros au Trésor public. Cette sanction vous semble-t-elle satisfaisante ? Avez-vous pu négocier le montant ?

T.B. : La CJIP est un processus de négociation. Il y a une proposition qui a été faite et il y a eu matière à discussion. Ces négociations sont confidentielles. L’amende est significative. Elle est proportionnée à l’ampleur du dossier et permet à Airbus de mettre derrière elle de manière efficace et rapide une situation qui aurait pu être beaucoup plus douloureuse autrement. 

O.A. : Les discussions confidentielles ont eu lieu entre le PNF et les conseils de la société sur le montant de l’amende. Ce montant peut paraître impressionnant mais c’est la première fois qu’une CJIP est conclue dans un dossier d’une telle envergure.

Quelles ont été vos relations avec les Autorités ?

T.B. : La confiance et le respect mutuel se sont établis rapidement. La coopération sincère et l’objectif poursuivi ont permis de passer de la confrontation classique avocat-procureur à la recherche concertée de solutions intelligentes. 

propos recueillis par Leslie Brassac

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