«EGAlim 2» : comment négocier les CGV ?

«EGAlim 2» : comment négocier les CGV ?

07.12.2021

Gestion d'entreprise

A l’orée des négociations commerciales 2022, Virginie Carvalho et Antoine Meyer-Woerth, avocats chez KPMG avocats, reviennent sur les obligations imposées aux fournisseurs de produits alimentaires permettant la mise en conformité de leurs conditions générales de vente avec EGAlim 2 avant leur transmission aux distributeurs.

Le 18 octobre 2021 a été publiée la loi n° 2021-1357 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, (dite loi « EGAlim 2 »). Son objectif est de garantir une meilleure remontée de valeur de la vente de produits alimentaires contenant des matières premières agricoles (MPA) vers les producteurs de MPA, en sanctuarisant leur prix (selon le nouvel article L. 443-8, II du code de commerce) dans les conventions conclues, d’une part, entre producteur et le premier acheteur et, d’autre part, entre le fournisseur et le distributeur.

EGAlim 2 a pour principal objectif de renforcer la transparence des négociations commerciales tout au long de la chaîne de production et de commercialisation des produits alimentaires. Le fournisseur doit ainsi intégrer dans les CGV qu’il transmet à tout « acheteur » (la notion d’acheteur étant plus large que celle de « distributeur ») de produits alimentaires une des trois options prévues par EGAlim 2 pour favoriser la transparence du prix des MPA.

Quelles sont les options offertes à l'article L 441-1-1 du code de commerce ?

Le nouvel article L. 441-1-1 du code de commerce expose ces différentes options, présentant chacune leurs avantages et inconvénients.

Les deux premières options, assez similaires dans leur mode de fonctionnement, offrent la possibilité au fournisseur de présenter le prix des MPA et des produits transformés contenant au moins 50 % de MPA entrant dans la composition du produit alimentaire soit de manière :

  • unitaire (L.441-1-1 I. 1°) : pour chacune des MPA et produits transformés comportant plus de 50 % de MPA, entrant dans la composition du produit, leur part exprimée en pourcentage quant au volume et au tarif fournisseur ;
  • agrégée (L.441-1-1 I. 2°) : le pourcentage global en volume et en tarif, dans le produit final, des MPA et produits transformés comportant plus de 50 % de MPA entrant dans la composition du produit.

Ces deux options créent, selon notre analyse, trois difficultés pour les fournisseurs.

  1. Premièrement, le fournisseur disposant d’un grand nombre de références pourra éprouver des difficultés à dresser le nombre et le volume exact des MPA / produits transformés composés de plus de 50 % MPA ainsi que d’en tirer un pourcentage exprimé en termes de prix. Certains fournisseurs seront incités à opter pour la seconde option (agrégée), au détriment de la première.
  2. Deuxièmement, ce travail d’adaptation doit être conclu avant la transmission des CGV à l’acheteur, et au plus tard le 31 décembre 2021.
  3. Troisièmement, ces deux options permettent à l’acheteur de connaître, partiellement, la construction du prix du fournisseur, ce qui peut être de nature à entraver la capacité de négociation du fournisseur dans le box de négociation.

En cas de recours à l’une de ces deux options, l’acheteur peut, à ses frais, demander au fournisseur de mandater un tiers indépendant pour attester l’exactitude des chiffres intégrés dans les CGV. Or, de façon assez surprenante, le législateur a prévu uniquement pour l’option deux (volume agrégé) la possibilité de mettre à la charge du fournisseur les frais d’intervention en cas d’inexactitude des informations fournies (L.441-1-1, II. B).

  • La troisième option (L.441-1-1, I. 3°) permet au fournisseur, dans l’hypothèse où ses tarifs ont subi une « évolution » par rapport aux tarifs de l’année précédente, de faire intervenir au terme de la négociation commerciale et au plus tard un mois après la conclusion du contrat, un tiers indépendant chargé de certifier que la négociation avec l’acheteur n’a pas porté sur l’évolution du prix fournisseur relative à l’évolution du prix des MPA.

Plus simplement, si un fournisseur souhaite augmenter ses prix de vente (par exemple de 5 %), le tiers certificateur attestera que dans cette hausse de tarif, le prix des MPA composant le produit représente 3 %. Dans cette hypothèse, la hausse du tarif négocié ne pourra donc être inférieure à 3 %.

Cette option semble aujourd’hui privilégiée par certains fournisseurs, étant donné qu’elle répond à certaines difficultés relatives à l’application des deux premières options :

  1. elle permet au fournisseur de garder confidentiel l’ensemble de la construction de son prix de vente, étant donné que seul le tiers certificateur indépendant disposera des pièces comptables utiles à l’établissement de la certification ;
  2. elle exonère le fournisseur d’établir, avant la conclusion de la convention avec l’acheteur, le calcul de la part en volume et en prix des MPA et des produits transformés contenant plus de 50 % de MPA, ce qui peut constituer un gain de temps considérable.
Qu’entend-on par tiers certificateur ?

Toutefois, lever l’option trois est susceptible de créer des difficultés à l’avenir, compte tenu du caractère imprécis de la loi quant aux modalités de désignation du tiers certificateur : « Le tiers indépendant est astreint au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont il a connaissance à raison de ses fonctions » (L.441-1-1, I. 3° para 2.). Si la loi autorise la publication d’un décret qui permettrait de préciser les professions susceptibles d’exercer la mission de tiers indépendant (L.441-1-1, VI.), à notre connaissance, celui-ci ne serait pas en cours de rédaction à l’heure actuelle.

Dans ce contexte, nous considérons que les fournisseurs devraient se tourner à défaut vers leur commissaire aux comptes (profession prise en exemple par le Sénat lors de son examen de la proposition de loi) pour faire certifier l’évolution de leurs tarifs.

Précisons qu’un fournisseur qui n’opterait pour aucune des options, est passible d’une amende administrative d’un montant maximum de 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale, plafonds pouvant être doublés en cas de réitération (L. 441-1-1, I. 3° para 3, visant par erreur les dispositions de l’article L. 443-8, VI. et non VII.)

Précisions sur le champ d’application 

Le décret n° 2021-1426 du 29 octobre 2021 fixe la liste des produits alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie (petfood) pour lesquels les CGV n’auront pas à intégrer l’une des options.

Par ailleurs, seule les ventes des produits considérés comme produits alimentaires ou petfood sont concernées par les dispositions de l’article L. 441-1-1 et le décret n° 2021-1426.

Il conviendra d’être vigilant étant donné qu’un produit peut être considéré comme un produit alimentaire au sens de l’article L. 441-1-1 et du décret (et pouvant par conséquent bénéficier de l’exonération) mais aussi comme une « matière première agricole », entrant dans la composition d’un produit alimentaire.

Ce peut être, par exemple, le cas des oignons, pouvant être vendus tels quels et bénéficiant de la qualité de « produit alimentaire » et dont la vente n’est pas soumise à L. 441-1-1 en raison du décret d’application, mais qui, s’ils sont incorporés dans un produit alimentaire, devront être considérés comme de la matière première agricole par le fournisseur dans ses calculs.

Les fournisseurs doivent d’ores et déjà s’interroger sur les conséquences de la sanctuarisation du prix dans la négociation avec les distributeurs : ces derniers chercheront à obtenir des « relais de marge » en sollicitant de nouveaux postes de réduction aux fournisseurs lors de la négociation, et plus particulièrement aux fournisseurs qui produisent leurs produits à partir de produits agricoles déjà transformés.

Néanmoins, il semble que le législateur ait anticipé ce risque, en réintroduisant au sein de l’article L. 443-8 le principe du « ligne à ligne », obligeant les parties à inclure dans la convention l’ensemble des obligations réciproques auxquelles elles se sont engagées.

Intégration d’une référence à l’existence d’une convention amont

Tout fournisseur ayant conclu un contrat d’approvisionnement en matières premières agricoles soumis à l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime n’oubliera pas, en application de l’article L. 441-1-1 du code de commerce, de faire état de l’existence de ce contrat dans ses CGV.

Mise en œuvre du dispositif

Les fournisseurs peuvent intégrer ces options dans les CGV qu’ils communiquent depuis le 1er novembre 2021, étant entendu que toute convention conclue sur la base de CGV contenant l’une de ces options devra intégrer l’option choisie par le fournisseur.

Cette obligation sera généralisée à compter du 1er janvier 2022, hormis pour les conventions en cours à cette date, qui devront alors être mises en conformité au plus tard le 1er mars 2023.

 

 

Virginie Carvalho Co-auteur : Antoine Meyer-Woerth, avocat chez KPMG avocats

Nos engagements