Avec le « choc de conformité » voulu pas le législateur, de nouvelles fonctions sont apparues dans les entreprises avec une forte connotation juridique et réglementaire. Assez naturellement les juristes d’entreprise ont intégré celles-ci. La plasticité de ce métier est l’ADN de son origine, il est né et évolue en fonction des besoins de l’entreprise. Explications avec Jean-Philippe Gille, président de l’AFJE.
Si le « terrain de jeu » du juriste d’entreprise reste strictement interne, il n’en est pas moins de plus en plus étendu et varié. Dans cette interview, Jean-Philippe Gille, président de l’AFJE (association française des juristes d’entreprise), revient sur l’évolution du métier et ses conséquences.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Pourquoi le rôle du juriste est-il en pleine évolution aujourd’hui ?
Il y a plusieurs raisons, notamment deux, la première est liée à l’évolution du droit, la seconde à celle du positionnement du métier dans l’entreprise.
La première est la montée en puissance de la conformité et de son corollaire : la régulation. Si la mission du juriste d’entreprise reste au fond la même, à savoir sécuriser l'activité de l’entreprise, les domaines à sécuriser s’étoffent. Le juriste continue à gérer des négociations d’acquisition, à rédiger les contrats, à piloter les contentieux, à veiller à la vie sociale des conseils d’administration… Il doit aussi intégrer le volet des nouvelles régulations en matière de transition digitale et de protection des données, d’obligations ESG-RSE, de prévention de la corruption, de respect des sanctions internationales... Autant de sujets qui exigent que l’entreprise soit en conformité. Le métier du juriste d’entreprise évolue ainsi vers celui de régulateur interne.
Le rôle du juriste grandit aussi parce que la fonction est de plus en plus reconnue au sein des entreprises pour accompagner la montée des risques dans une monde incertain. En 50 ans, les juristes d’entreprise français ont fait la preuve de leur talent à allier droit et compétitivité opérationnelle. De plus en plus de chefs d’entreprise intègrent le droit comme un atout stratégique en ayant pris conscience qu’il permet non seulement de prévenir des risques, mais aussi de gagner des parts de marché. Il est aujourd’hui fréquent de voir les directeurs juridiques siéger au comité exécutif ou occuper des fonctions de secrétaires généraux, de mandats d’administrateurs voire de directeurs généraux d’unités opérationnelles.
Le métier va continuer à se développer car les entreprises qui prendront le mieux en compte la dimension juridique de leur activité seront les plus robustes pour se développer et les moins exposées aux risques. La compétition économique devient âpre sous l’effet du jeu des politiques de puissances et les normes extraterritoriales, peuvent être instrumentalisées comme des armes pour déstabiliser ou prendre le contrôle d’entreprises (lawfare).
Faut-il faire une distinction entre la fonction juridique et la fonction compliance ?
Cette distinction est liée à la maturité des organisations au sein de l’entreprise, que l’AFJE mesure régulièrement à travers différentes études (cartographie des directions juridiques, enquête La compliance en pratique : où en sont les entreprises françaises ?). Les situations varient en fonction de la taille de l’entreprise, de son secteur d’activité si celui-ci est réglementé ou non… Les paramètres sont nombreux, les modes d’organisation aussi. Par exemple le juriste généraliste d’ETI peut traiter des dossiers juridiques et de compliance, un directeur juridique peut également être compliance officer, ou encore une direction juridique peut être séparée de la direction de la compliance… En termes de métier cela n’est nullement une contrainte pour les juristes d’entreprise qui peuvent passer d’une matière à une autre : 80 % des effectifs des directions compliance séparés des directions juridiques sont des juristes d’entreprise car la compliance est une matière juridique. Il est très riche professionnellement de tendre vers un métier de régulation. Le juriste conformité est le garant de l'application des règles définies par le législateur donc au nom de l'intérêt commun dans l'entreprise.
Pouvez-vous donner un exemple de ce rôle de juriste « régulateur » ?
Beaucoup de DPO sont des juristes. C’est utile car en cas de violation de données personnelles, au-delà de l’analyse informatique de l’intrusion, la portée de l’atteinte aux données requiert une analyse juridique. Les actions de remédiation découleront de celle-ci et seront, en matière de plainte et de déclaration, effectuées par des juristes.
Ce nouveau rôle fait-il évoluer le droit ?
Bien sûr car en réalité nous assistons, avec la montée de la compliance, à un transfert de compétences étatiques vers l’entreprise. Lutter contre la corruption relève de la police et de la justice. Une telle mission n’est intrinsèquement pas celle d’une entreprise. Mais à partir du moment où la loi impose à l’entreprise de se mobiliser sur ce sujet, l’entreprise devient en réalité un auxiliaire au service de l’intérêt commun. Se pose alors toute une série de défis applicatifs que la loi généralement n’a pas prévu. L’entreprise, avec l’appui de sa direction juridique, sécrète donc tout un pan de réglementation interne complémentaire à la loi (soft law). L’une des questions saillantes et non réglée aujourd’hui est celle du statut du juriste d’entreprise qui est le seul professionnel du droit au sein de l’entreprise. En attendant l’évolution de la loi, l’AFJE et les associations de juristes d’entreprise émettent des recommandations pour accompagner les juristes d’entreprise. Le code de déontologie commun au Cercle Montesquieu, à l’ANJB et à l’AFJE est ainsi la référence de la profession.
Et fait-il naître des nouveaux besoins de formation ?
Oui aussi assurément. Les missions du juriste se sont ouvertes à des champs de connaissance de plus en plus pointus et variés. Les enjeux de formation sont beaucoup plus transversaux que par le passé. Pour adresser les défis de protection juridique de son activité, l’entreprise a besoin d’équipes aux expertises complémentaires avec une familiarisation commune. Ainsi, en matière de données personnelles par exemple, pour être performant, il est indispensable que les informaticiens et les juristes soient un minimum à l’aise avec la matière de chacun. L’AFJE réfléchit à ce sujet pour développer des formations et aussi des espaces d’échanges entre ces métiers complémentaires.
La digitalisation suppose également que tous les juristes d’entreprise maîtrisent l'intelligence artificielle comme outil. Les juristes membres de comité de conformité ou d’éthique ont des modes d'approche qui s’apparentent à ceux des magistrats. Raison pour laquelle l’AFJE en relation avec l’ENM et le Barreau de Paris propose d’ailleurs une formation commune (MAJE) qui permet de croiser les regards dans le respect des métiers.
N'oublions pas qu’en tant que professionnels, nous avons une responsabilité à l’égard des jeunes qui s’orienteront plus volontiers vers les métiers du droit qu’à la condition de leur permettre de vivre des expériences différentes au cours de leur carrière.
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