«Le raccourcissement de calendrier risque de donner lieu à des négociations tendues», N. Pétrignet

«Le raccourcissement de calendrier risque de donner lieu à des négociations tendues», N. Pétrignet

14.11.2023

Gestion d'entreprise

Hier, le projet de loi portant sur les mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation a été définitivement adopté. Bouleversement du calendrier des négociations, période de transition, fin de contrats... On fait le point avec Nathalie Pétrignet, associée au sein du cabinet CMS Francis Lefebvre.

Le 6 novembre, députés et sénateurs avaient trouvé un accord sur le projet de loi portant sur les mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation.  Définitivement adopté hier après-midi, le texte comporte un article unique qui avance le calendrier des négociations commerciales entre les distributeurs exerçant une activité de commerce de détail à prédominance alimentaire et les fournisseurs de produits de grande consommation. Nathalie Petrignet, associée au sein du cabinet CMS Francis Lefebvre et spécialiste du sujet des négociations commerciales, nous explique les enjeux de ce projet de loi. 

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

Découvrir tous les contenus liés

 

Le texte a pour objectif de lutter contre l’inflation. Pensez-vous que cet objectif sera rempli ?

Au-delà de sa contribution à l’inflation législative, je ne pense pas que la modification du calendrier soit de nature à permettre de lutter contre l’inflation des prix à la consommation.

En revanche, ce texte introduit davantage de complexité dans les négociations commerciales.

Du côté des distributeurs, cela peut devenir compliqué car certains n’ont pas terminé leur réflexion stratégique interne qui doit s’effectuer plus rapidement. Il peut également augmenter la pression exercée par les distributeurs sur les fournisseurs. En effet, les distributeurs se sentant investis de la mission de lutter contre l’inflation risquent d’adopter des comportements susceptibles de constituer des pratiques restrictives. Je pense au non-respect du principe de bonne foi dans la négociation, à la négociation d’avantages sans contreparties, au déséquilibre dans les droits et obligations des parties...

Du côté des fournisseurs, il me semble qu’il y a une réalité commerciale et économique à prendre en compte : les fournisseurs subissent des augmentations qui ne se limitent pas à celles des matières premières agricoles. Il me semble que cette réalité a été occultée.

Ce texte, ou du moins son titre, n’aborde que la question du prix. Or, on négocie plein d’autres choses : des assortiments, des temps forts, des budgets de coopération commerciale… Cela ne se retrouve pas nécessairement directement dans les prix d’achat. La négociation commerciale ne se limite pas au tarif et, à cet égard, la dimension globale des négociations commerciales a été oubliée.

Enfin, il convient de rappeler que le régime de la liberté des prix reste de rigueur en France et que ce texte ne peut pas remettre en cause ce principe. Cependant, il me semble qu’il existe une forte probabilité que les négociations soient plus ardues que les autres années.

Le texte prévoit que les fournisseurs devront communiquer leurs CGV aux distributeurs le 21 novembre ou le 5 décembre selon la taille de l’entreprise et conclure une convention unique au plus tard le 15 janvier ou le 31 janvier.  Comment cela va-t-il impacter les entreprises ?

Du côté des distributeurs, il est certain que ce nouveau calendrier perturbe leur organisation administrative et humaine : ils vont devoir rencontrer des centaines de fournisseurs sur une période raccourcie.

Il faut également garder à l’esprit que le code de commerce impose au distributeur de motiver explicitement et de manière détaillée soit le refus des CGV, soit leur acceptation, soit la modification des dispositions qu’il souhaite négocier. Avec un calendrier de signature modifié, il devra organiser ces échanges en tenant compte de la taille des entreprises et commencer par analyser les conditions de vente des fournisseurs dont le CA est inférieur à 350 millions d’euros.

Ce n’est qu’après cette première étape qu’il pourra démarrer les négociations, c’est-à-dire prendre RDV avec les fournisseurs. Ce raccourcissement de calendrier risque de donner lieu à des négociations tendues.

Vos clients sont-ils inquiets quant à l’entrée en vigueur de la loi ?

Il y a plusieurs inquiétudes sur le fond. La mission de « gardien de l’inflation » que ce texte et les débats qui l’ont entouré ont donnée aux distributeurs inquiète les fournisseurs et notamment ceux qui ont une moins bonne capacité à résister.

Sur la forme, il y a également des inquiétudes liées au bouleversement du calendrier notamment pour les entreprises qui négocient habituellement des contrats applicables du 1er mars jusqu’à fin février de l’année suivante. Ces entreprises craignent de ne pas être prêtes à temps et de ne pas signer à temps. On rappelle que le texte accroît considérablement la sanction en cas de non-respect de la date butoir. L’amende peut atteindre cinq millions d’euros par contrat non signé. 

Il y a aussi une inquiétude concernant le traitement de la période de transition. La loi prévoit que les conventions signées avant le 1er septembre 2023 prendront automatiquement fin :

  • le 15 janvier 2024, lorsqu’elles ont été conclues par un fournisseur dont le CA est inférieur à 350 millions d’euros et que leur terme est postérieur au 16 février 2024 ;
  • et le 31 janvier 2024, lorsqu’elles ont été conclues par un fournisseur dont le CA est supérieur ou égal à 350 millions d’euros et que leur terme est postérieur au 1er février 2024.

Or, dans la plupart des cas, les contrats en cours prévoyaient leur échéance au 1er mars 2024. L’avancement de leur terme a pour conséquence d’impacter les budgets et les opérations qui ont été négociés dans ces contrats.

Quelles conséquences pratiques cette mesure va-t-elle avoir pour les entreprises ?

Une première difficulté pratique est liée au manque de lisibilité du texte quant à son champ d’application. A titre d’exemple, le texte ne définit pas la notion de distributeur. Par ailleurs, beaucoup d’entreprises sont un peu à la croisée des chemins (les grossistes notamment, dont la définition soulève elle aussi des interrogations).

Il faudra également être attentif à la question de la transition entre les contrats précédemment négociés en 2023 avec les nouveaux contrats 2024 : il faudra identifier au sein de chaque contrat signé en 2023 les conséquences de sa fin prématurée imposée par le texte sur les contreparties et les budgets de coopération commerciale (têtes de gondoles, prospectus, encarts publicitaires, animations, etc.).

Que recommandez-vous aux entreprises concernées par ces négociations ?

Comme chaque année, il faudra s’efforcer de négocier de bonne foi et de façon équilibrée, et savoir expliquer de façon objective la construction de son tarif et, en cas de hausse, les raisons précises qui en sont à l’origine.  

Il ne faudra pas perdre de vue que ce texte ne s’applique qu’une seule fois pour le cycle de l’année 2024. Il faut penser d’ores et déjà à la suite, à la fin du contrat !

Les négociations seront compliquées : il faudra bien se préparer d’un côté comme de l’autre ! Je pense que certaines négociations échoueront avec pour conséquence des pénuries de produits dans les rayons. On risque d’avoir des surprises.

propos recueillis par Leslie Brassac
Vous aimerez aussi