«L’éthique des affaires n’est pas un "outil de communication"», pour C. Duchatelle

«L’éthique des affaires n’est pas un "outil de communication"», pour C. Duchatelle

11.10.2020

Gestion d'entreprise

Dans un livre récemment publié, le directeur groupe «conformité & éthique des affaires» d'AG2R La Mondiale, Cédric Duchatelle, définit ce que constituent pour lui ces deux notions. Et il met en garde les entreprises contre toute tentative d'utiliser l'éthique des affaires à des fins de communication externe. Il nous explique sa vision des choses.

L'ancien directeur juridique, devenu directeur groupe de la direction « conformité et éthique des affaires » d'AG2R La Mondiale, a publié un livre aux Editions L'Argus de l'assurance dans lequel il aborde « les liens entre l'éthique des affaires et la compliance »*. Il donne des exemples, des conseils et formules des préconisations à ceux qui souhaiteraient se lancer dans une véritable démarche interne d'éthique des affaires. Il revient pour nous sur son expérience.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Comment définissez-vous la compliance ?

La compliance, c’est d’abord une culture et ensuite une méthode. La dimension culturelle - de gouvernance pour l’entreprise - est souvent complètement mise de côté. On pense d’abord à la méthode de vérification : comment assurer le respect des lois applicables à l’entreprise. Or, ce qui me semble constituer le vrai enjeu de la compliance, c’est de se questionner sur le risque pris par l’entreprise lorsqu’elle prend une décision. Il faut pouvoir indiquer à la gouvernance de la société si un risque de non-conformité se dessine et s’il est mesuré ou non. La fonction compliance est donc là pour éclairer les dirigeants sur les enjeux opérationnels de la mise en œuvre d’une réglementation. Le choix de prendre un risque revient ensuite à la direction générale. Un jeu de billard à trois bandes s’opère ainsi entre les métiers, la compliance et la gouvernance.

Quand vous évoquez l’éthique des affaires, vous dites que « l’entreprise n’est ni morale, ni immorale, mais amorale ». Qu’entendez-vous par là ?

La finalité de l’entreprise n’est pas de rechercher le bien d’une manière universelle. Elle a toutefois des valeurs, une raison d’être - aujourd’hui materialisée depuis la loi Pacte - et derrière cela, il y a des pratiques d’entreprise. L’enjeu est que ces dernières soient en adéquation avec les valeurs et la raison d’être. Lorsqu’on cherche à définir les bonnes pratiques d’entreprise, on travaille donc sur l’éthique des affaires. On doit, par exemple, travailler sur la manière d’interroger l’ensemble des parties prenantes lorsqu’une décision business est prise. Et vérifier que cette décision est bien en phase avec l’image et les valeurs affichées de manière à ce qu’il n’y ait pas de décalage entre la communication externe et le véritable fonctionnement de son entreprise. Car l’éthique des affaires n’est pas un « outil de communication ». C’est un processus interne pour donner corps à la raison d’être et aux valeurs internes sur lesquelles on ne communique pas. L’éthique des affaires sera donc propre à chaque société car la culture, les dirigeants, la raison d’être, l’histoire n’est pas la même d’une entreprise à l’autre. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise éthique des affaires, et c’est pour cela que j’utilise le terme « amorale ».

Pourquoi la compliance est-elle le socle de l’éthique des affaires ?

Il est difficile de travailler sur les bonnes pratiques d’une entreprise si elle n’est pas conforme à la réglementation la plus structurante pour elle. C’est pour cela que j’estime que l’on doit d’abord faire de la compliance avant de se lancer dans l’éthique des affaires. C’est une question de crédibilité !

Cela impose-t-il d’être parfaitement conforme à l’ensemble du cadre juridique ?

L’entreprise est soumise à tellement de règles et dans des domaines si variés… L’objectif d’une entreprise, si elle veut être durable, c’est de maîtriser les dispositifs réglementaires et de faire ses meilleurs efforts pour être le plus conforme possible. Il faut un dispositif de veille suffisamment efficace pour ne pas passer à coté d’une réglementation et se mettre en ordre de bataille pour pouvoir remplir ses obligations. Cependant cette démarche oblige à prioriser, le temps de la mise en œuvre des dispositifs... La société sera ainsi conforme à quelques règles, partiellement conforme sur d’autres et pas encore conforme sur certaines. Le tout c’est de faire les bons choix. C’est ce qui relève de la compliance.

Quant à l’éthique : la loi Sapin II impose, par exemple, la mise en place d’un code de conduite pour lutter contre la corruption. Et la réglementation précise que le code doit gérer les cadeaux et les marques d’hospitalités dans l’entreprise. Mais elle ne nous dit pas les règles du jeu à appliquer en la matière. Chaque entreprise devra donc les déterminer. Certaines vont interdire d’offrir tous cadeaux et marques d’hospitalité à leurs partenaires tout comme d’en accepter. D’autres vont estimer que dans le cadre d’une relation d’affaire, il est normal d’en proposer en étant raisonnable et sans que ces cadeaux ne puissent influencer le business. Le curseur va donc varier d’une société à l’autre parce que leur pratique professionnelle ne sera pas la même, leur secteur d’activité non plus, leurs interlocuteurs également, etc. Définir la politique de l’entreprise en la matière relève donc de l’éthique des affaires qui conduit à un peu de subjectivité et à éviter un risque de non-conformité réglementaire.     

Le conflit d’intérêt est un autre exemple de sujet pour l’éthique des affaires. Il n’y a pas d’obligation générale de gérer les conflits d’intérêts. Or, ils peuvent être une porte ouverte à des risques de corruption, de délit d’initié et à des infractions pénales. Dans le cadre d’une bonne démarche d’éthique des affaires, une entreprise doit se saisir du sujet. C’est pour cela que cela va plus loin que le respect de la règlementation.

Sur la question du lieu géographique de centres d’appels encore. Une entreprise peut décider de les localiser en France ou à l’étranger. Il n’y a pas d’enjeu réglementaire. Mais en fonction de leurs valeurs, de leur culture d’entreprise, certaines vont décider de ne pas les externaliser à l’étranger. D’autres, déjà présentes dans le monde entier, pourront se dire que ce prisme géographique n’est pas déterminant. Dans les deux cas, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision. Elles seront justes alignées en fonction des cultures d’entreprises. L’éthique des affaires c’est la capacité de s'interroger sur les conséquences d’une décision : heurtera-t-elle ou non la culture de l’entreprise.

L’éthique des affaires est aussi le fait d’aborder le risque réputationnel, selon vous. Pourquoi ?

On peut prendre en compte le risque réputationnel de deux manières : de façon curative ou préventive. Lorsqu’il se matérialise, il devient en enjeu de communication et implique de mettre en place une cellule de crise. Le but étant alors de limiter les effets d’un sujet réputationnel. Lorsqu’on travail de façon préventive, on se situe dans le giron de l’éthique des affaires. C’est se dire : dans le cadre de l’activité de l’entreprise, et des attentes des parties prenantes, qu’est ce qui peut poser un souci éthique ? Nos pratiques d’entreprises peuvent-elles paraître choquantes quand bien même elles ne seraient pas forcément illégales ? A-t-on pris une décision uniquement sous l’angle business et conformité mais pourrait-elle heurter ? Quand on anticipe ces difficultés, on prévient le risque réputationnel.

C’est le cas, par exemple, de l’optimisation fiscale réalisée par certaines entreprises ?

Exactement. Il faut être ouvert et sensible à ce qui se passe dans la société civile. Des comportements pouvaient être légaux et acceptés il y a quelques années et ne plus passer aujourd’hui. Tout dépend encore une fois de la culture de l’entreprise. Une société vue comme extrêmement concurrentielle et agressive sur le marché, qui fait de l’optimisation, va beaucoup moins choquer que si la démarche provient d’une association caritative. D’un côté cela pourrait être toléré et de l’autre cela semblera inadmissible.

Englobez-vous aussi la RSE dans l’éthique des affaires ?

Pas exactement. Une entreprise doit être responsable : lorsqu’elle prend une décision, elle a intégré différentes dimensions dont le développement durable et l’éthique des affaires. Derrière la responsabilité de l’entreprise, il y a donc, selon moi, la RSE, l’éthique des affaires, etc. Toutes ces fonctions contribuent à cette démarche de responsabilité et elles sont des outils pour aider les dirigeants qui ont aujourd’hui « un job » difficile. Des enjeux extrêmement contradictoires se jouent et se nouent dans l’entreprise. Il faut pouvoir les aider à faire les bons arbitrages en prenant en compte toutes les bonnes dimensions. Cela fait partie de l’ADN de l’entreprise de prendre un risque mais il doit être pensé et mesuré de façon à ce que le dirigeant puisse être le plus confortable possible avec cette prise de risque.

Les avocats, extérieurs à l’entreprise, peuvent-ils faire de la conformité ?

L’éthique et la compliance travaillent sur les processus de l’entreprise. Il faut donc être présent en son sein. Il faut avoir une bonne lecture et une bonne compréhension de ce qu’il s’y passe. Ce n’est pas une analyse juridique qui peut se faire en dehors de ses murs. C’est très très opérationnel. Un avocat qui serait très impliqué dans une entreprise peut tout à fait être légitime à en parler. Un cabinet d’avocats nous a, par exemple, accompagné dans la mise en œuvre de la loi Sapin II, notamment sur la question de la cartographie des risques. Mais s’il en parle sur un plan théorique, il n’en parlera que théoriquement… La compliance ce n’est pas du théorique, c’est du concret.

* « Ethique des affaires, pour une gouvernance intègre - Protéger, Conseiller, Remédier - », Cédric Duchatelle, Editions L'Argus de l'assurance, 128 pages, 25 mars 2020, 39 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

propos recueillis par Sophie Bridier
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