«Si nous souhaitons certifier des rapports de durabilité, il faudra être indépendant de l'entreprise», précise Me Couffignal
10.04.2023
Gestion d'entreprise

La présidente de la commission «droit et entreprise» du CNB en est convaincue : l'avocat a toute légitimité pour certifier les futurs rapports de durabilité issus de la mise en œuvre de la directive CSRD. Elle nous explique les travaux qu'elle mène actuellement sur le sujet avec un groupe d'élus.
La profession d’avocat réfléchit à se positionner sur de nouvelles missions ESG. Vendredi 7 avril, un rapport d’information sur la directive CSRD et ses perspectives pour les avocats, était présenté à l’assemblée générale du Conseil national des Barreaux (CNB). Cette première étape des travaux, menés par un groupe d’élus présidé par Marion Couffignal, la présidente de la commission « droit et entreprise », vise à informer l’AG du contenu de la directive et à énumérer les opportunités existantes pour la profession d’avocat liées à la certification des futurs rapports de durabilité que pourrait vouloir appréhender la profession. Dans un second temps, avant l’été, est envisagée la présentation d’un deuxième rapport, cette-fois si soumis au vote, contenant des orientations concrètes permettant aux avocats de se positionner et de résoudre les questions d’indépendance et de déontologie qui se posent. Le point avec Me Couffignal, fondatrice du cabinet MC avocat.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Quelles sont les opportunités que dessine l’application de la directive CSRD en France pour les avocats ?
Il s’agit d’intervenir sur l’assurance des données en matière de durabilité, mission sur laquelle les avocats ne sont quasiment pas présents aujourd’hui. Nous sommes présents en amont auprès des entreprises dans le cadre de nos missions traditionnelles de conseil. Nous les accompagnons pour leur expliquer le cadre réglementaire applicable et pour se mettre en conformité par rapport à leurs obligations légales. Nous avons également un rôle en aval, en matière de défense, lorsqu'un contentieux lié aux questions de durabilité émerge. Cela couvre un périmètre très vaste. La question qui se pose est celle de savoir si le marché se situant entre les deux, celui de la certification des données - c’est-à-dire des rapports de durabilité des entreprises - présente un intérêt pour les avocats. Étant précisé que l’on ne peut pas être avocat de l’entreprise, dans sa mission de conseil ou de défense, et vouloir être son prestataire d’assurance. Toutefois, si les avocats souhaitent être PSAI (prestataire de services d’assurance indépendant), au sens de la directive, il sera nécessaire de regarder comment cette nouvelle activité s'articule effectivement avec les activités traditionnelles de l'avocat. Tout cela requiert cependant une habilitation à devenir PSAI accordée à la profession par la future ordonnance transposant en France la directive CSRD [ordonnance attendue pour le mois de décembre au plus tard, ndlr]. La directive laisse, en effet, la liberté aux États membres de choisir des PSAI en plus de ceux visés par la directive « Audit » à laquelle elle renvoie expressément.
Selon vous, la profession doit-elle se saisir de cette nouvelle mission ?
C'est tout d’abord à l'Assemblée générale de se prononcer pour savoir si nous devons défendre le fait de devenir PSAI ou non. De mon point de vue, je considère que nous faisons partie des professions à avoir les compétences nécessaires pour l’être. C'est d'ailleurs la position du député européen Pascal Durand [rapporteur sur le texte à Strasbourg et qui est un ancien avocat, ndlr]. Nous nous inscrivons naturellement dans l’écosystème ESG dans la mesure où apprécier des informations en matière de durabilité c'est notamment apprécier des informations juridiques. Il s’agit, par exemple, d’être capable d'auditer des chaînes de contrats en matière de sous-traitance. Les avocats sont les prestataires naturels de ce type de besoins.
Mais certifier des rapports de durabilité fait également appel à d’autres compétences qui ne sont pas juridiques. Est-ce que cela implique qu’il faudra former les avocats ?
Vous avez parfaitement raison, c'est pour moi une évidence.
Cette mission de PSAI fait appel à d'autres compétences que les compétences propres de l'avocat et nous en avons parfaitement conscience. Cela impliquerait donc, pour les avocats souhaitant se lancer, de suivre une formation adaptée. Il faudra être formé à la méthodologie de l’audit, quels que soient les critères retenus pour auditer les rapports de durabilité. Il conviendra également de se former de manière générale à la RSE. Et éventuellement d'être capable de travailler avec des tiers qui bénéficient de compétences complémentaires. Pour cela, il faudra être en mesure de s'approprier leur langage et de les comprendre. Ce qui implique de suivre une formation RSE technique qui dépasse les seuls aspects juridiques. Je ne suis pas certaine qu’aujourd’hui nous puissions, par exemple, apprécier des bilans de performance énergétique qui relèvent plus de l’ingénierie que du droit.
Cette question de la formation vaut à mon sens pour tous les futurs PSAI. Les avocats auront leurs propres problématiques mais les autres métiers auront, à l'inverse, des carences juridiques. Il faudra que collectivement les PSAI montent en compétence pour être certains d'avoir la vision à 360 degrés requise sur les rapports de durabilité.
Souhaitez-vous qu’une formation initiale soit mise en place sur la RSE ?
Idéalement, effectivement, il faudrait que tous les avocats ou futurs avocats qui souhaitent devenir PSAI puissent, dès le début de leur parcours, être formés à cette mission. Mais je ne sais si c’est facilement réalisable. On peut aussi se poser la question de mutualiser, avec d’autres PSAI, la formation. Ce sont ces questions concrètes sur lesquelles nous travaillons actuellement. Car si nos confrères veulent prétendre au statut de PSAI, ils devront justifier avoir été formés au cours de formations obligatoires. Ce qui induit que nous soyons capables de leur proposer ces formations.
Quelles sont les questions sous-jacentes à la mise en place d’une nouvelle activité ?
La première question qui se pose est celle d’interdire de prester comme PSAI pour ses propres clients. C’est évident. Si nous souhaitons certifier des rapports de durabilité, il faudra être indépendant de l'entreprise. Par conséquent, on ne peut pas l’avoir conseillée en amont ou la défendre en aval.
Il y a aussi la problématique du secret professionnel de l’avocat. L’activité de PSAI est-elle compatible avec le secret professionnel de l’avocat ? C’est une première question. De plus, quand une autorité, quelle qu’elle soit, contrôle l’activité de PSAI, il ne faudrait pas qu'elle ait accès aux données couvertes par le secret professionnel qui relèvent de l’activité d’avocat distincte de celle de PSAI. Se pose donc également la question de savoir s'il faut être PSAI en tant qu'avocat ou au sein d’une structure dédiée.
De manière générale, constatez-vous un développement des missions RSE de l’avocat ?
J'ai l'impression, effectivement, que cela se développe. La société, de manière générale, change de paradigme. Il y a plusieurs piliers de la RSE, notamment les axes gouvernance et sociétal, sur lesquels l’avocat est un partenaire évident. On pense notamment à l’index de l’égalité femmes hommes.
Nous sommes face à une inflation législative dans les domaines de la RSE qui mécaniquement développe le marché pour les avocats. Je pense aussi que les entreprises accordent de plus en plus d'importance aux questions liées à la RSE et pas uniquement lorsqu’elles y sont contraintes par la loi. Ce sont des enjeux business et communicationnel. C'est un secteur sur lequel l’avocat va, à l'avenir, vraiment avoir des perspectives. Ce sont des sujets dont on va continuer à parler. C’est en tout cas ce que j’espère en tant que citoyenne.
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