[Humour] Tiens, voilà Boby Lapointe qui se pointe !

Avant lui, il y avait bien eu les allitérations du fantasque Charles Trenet ("Débit de l'eau, débit de lait") et les onomatopées pop du ténébreux Serge Gainsbourg ("Shebam ! pow ! blop ! whiz !"). Mais dans le registre de la chanson loufoque, pour reprendre un terme cher à Pierre Dac, l'ami Boby a poussé le bouchon bien plus loin que n'importe qui, Philippe Katerine compris. Quoi de plus normal que de pousser le bouchon, me direz-vous, pour un Piscénois (1) qui fut un temps scaphandrier, et qui signa l'inoubliable "La maman des poissons" : "Si l'on ne voit pas pleurer les poissons / qui sont dans l'eau profonde / c'est que jamais quand ils sont polissons / leur maman ne les gronde (...) / La maman des poissons, elle est bien gentille / Et moi je l'aime bien, avec du citron".

Né en 1922 à Pézenas, une ville évoquée dans Avanie et Framboise ("Pour sûr qu'elle était d'Antibes, c'est plus près qu'les Caraïbes, c'est plus près que Caracas, est-ce plus près que Pézenas ? Je ne sais pas !"), Boby Lapointe y meurt d'un cancer cinquante ans après, en 1972.

J'ai eu des hauts et des bas. Dans les hauts, j'installais des antennes, dans les bas, j'étais scaphandrier ! 

Entre temps, il se sera évadé du STO en Allemagne, aura été fort des halles, poseur d'antenne de télévision, livreur, vendeur de machines à écrire et de layette, comme le raconte sa petite fille à Ouest France. Lui-même résuma ainsi son parcours professionnel : "Dans la vie, j’ai eu des hauts et des bas ; dans les hauts, j’installais des antennes et, dans les bas, j’étais scaphandrier". 

Ce bricoleur fou de mathématiques, qui inventa, nous apprend France Inter, un langage "bibi-binaire" et même, paraît-il, l'embrayage automatique sans parvenir à y intéresser les industriels, se sait mauvais chanteur. S'il compose ses textes et gratouille ses mélodies avec sa "guitare sommaire (..) dont les cordes du haut s'appellent par conséquent les basses", il préférerait de loin que d'autres, tels les frères Jacques ou Bourvil (qui interpréta Aragon et Castille), les chantent.

Ton air est bon mais mon chant point 

Et surtout que d'autres les vendent, comme il l'avoue drôlement dans le Tube de toilette, une chanson à double sens : "Ton air est bon mais mon chant point / Mets mon shampoing (..) / Est-ce à répéter ou à taire / T'es au water / J'aimerais mieux que d'autres la vendent /  Eau de lavande, eau de toilette". Un double sens qui fait merveille aussi dans cette parodie d'opérette à deux voix, ténor d'un côté, thénardier de l'autre : "Andrea, c'est toi, l'amante la plus belle ! / Entre et assieds-toi, mate la plus belle ? Je mate ! /  Dis, à m'aimer, consens, va ! / Dis à mémé qu'on s'en va ? Dis-lui toi même ! "

J'ai reçu un coup près du colon, j'ai mal, vers l'aine 

La force comique des créations de Boby Lapointe vient de ce subtil décalage entre le sérieux de certaines mélodies et la dérision des textes, comme la chute de Monsieur l'agent qui associe -fallait oser- violence policière et poésie façon Verlaine : "Au violon mes sanglots longs / Bercent ma peine / J'ai reçu des coups près du colon / J'ai mal, vers l'aine !"  Un autre exemple drôlatique est le violon pleurnicheur de "Bobo Léon" , brève histoire d'un homme "qui s'appelle pas Léon mais je m'souviens plus de son nom, j'peux pourtant pas l'appeler Hortense, et puis ça n'a pas d'importance". Bref, chante Lapointe, cet homme meurt parce qu'il s'était fait "mal dans la rue et qu'on l'a soigné autre part"... 

A Paris c'est payé plus cher de l'heure ! 

Longtemps boudé dans son pays natal, ce héros de l'Hérault, qui ironise sur Paris dans La fille du pêcheur ("J"ai besoin d'être à Paris car je suis chômeur et à Paris c'est payé beaucoup plus cher de l'heure"), n'a pas connu de son vivant le succès que ses trouvailles poétiques et humoristiques méritaient, en dépit des efforts de Georges Brassens, qui le fit passer en première partie de ses concerts (2), comme d'ailleurs Johnny Hallyday (mais si !), Barbara, Pierre Perret et bien d'autres.

Il eût pourtant des moments de gloire éphémère. Par exemple, dans "Tirez sur le pianiste", en 1960, François Truffaut filme Boby Lapointe, accompagné au piano par Charles Aznavour, chantant "Aragon et Castille", le texte étant sous-titré à l'écran, d'où son surnom de "chanteur sous-titré". L'Héraultais retrouvera en 1969 le cinéma, comme acteur cette fois, dans Les choses de la vie, puis Max et les ferrailleurs de Claude Sautet (étonnant, non ?). Il ouvrira même son cabaret à Paris, avec pointeuse à l'entrée, car "chez Lapointe, on s'pointe et on pointe", mais l'endroit fera vite faillite...

Tic tac, tic tac, ta Katie t'as quitté, tic tac, tic tac

Cinquante ans après sa disparition, on peut penser que Boby Lapointe n'a toujours pas la renommée que ces vers parfaits devraient lui assurer :  "Mon père est marinier / Dans cette péniche / Ma mère dit la paix niche / Dans ce mari niais". Alors, écoutons-le. Rendons grâce à ses rimes inattendues qui font mouche, comme dans Marcelle : "Je poserais sur sa bouche un baiser farouche / Et je baisserais les stores...à cause des mouches". Accordons nos oreilles à son impressionnant débit mitraillette dans la fabuleuse "Ta Katie t'as quitté" ("Ce soir au bar / de la gare / Igor hagard est noir / Il n'arrêt' guer' de boire"). Quant aux allitérations, pour revenir à notre point de départ, écoutez la prononciation de La peinture à l'huile qui devient "la peinture à l'hawaïle", la voix imitant le slide de la guitare. En attendant, ce serait bien, comme Boby le suggère dans "L'été où est-il ?", qu'il fasse "dès l'hiver beau / délits verbaux" !

(1) Habitant de Pézenas

(2) Selon Le Figaro, G. Brassens sortit son carnet de chèques quand la famille de Boby Lapointe fit faillite lors de la crise viticole de 1970. Sur Brassens, lire notre article

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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