"C'est la troisième République qui est à l'origine de la reconnaissance du syndicalisme"

"C'est la troisième République qui est à l'origine de la reconnaissance du syndicalisme"

07.09.2020

Représentants du personnel

Secrétaire national à la CFE-CGC, Gilles Lécuelle est aussi un passionné d'histoire. Comment voit-il l'actuelle commémoration des 150 ans de la république, la troisième République ayant été proclamée en 1870 ? Interview.

Peu de gens le savent mais toutes les rues "du 4 septembre" commémorent la proclamation, le 4 septembre 1870, de la République. C'était il y a 150 ans. La troisième République, créée après le désastre militaire de la guerre contre la Prusse et l'abdication de Napoléon III, a duré 70 ans, jusqu'en 1940, la débâcle française entraînant la création de l'Etat français par le régime de Vichy. Pourquoi s'intéresser aux origines de la république ? Parce qu'elles sont liées aux évolutions économiques et sociales et notamment à l'essor des libertés syndicales, nous dit Gilles Lécuelle. Ce syndicaliste, qui a la charge du dialogue social et des institutions représentatives au sein de la CFE-CGC, est aussi un passionné d'histoire qui a présidé le comité honorant le souvenir du président Jules Grévy. Interview.

 

Vous êtes syndicaliste, et non historien. Pourquoi vous intéressez-vous à l'histoire de la république ? 

J'ai toujours été passionné d'histoire, et tout particulièrement d'histoire locale, car l'histoire locale touche à la vie des gens. Je suis originaire de Saône-et-Loire, du côté de Louhans, dans la Bresse louhannaise, au coeur de la Bourgogne, une région connue comme le pays du poulet. C'est une région assez fabuleuse, avec des maisons en pans de bois, et toute une histoire qui vient de la culture des Celtes. Quand j'étais lycéen, à Louhans, donc, j'avais monté un club d'histoire, "les connaissances de la Bresse", avec Dominique Rivière, qui à l'époque était pion et étudiant en fac d'histoire et qui est devenu par la suite le directeur de l'écomusée de Pierre-de-Bresse.

Je me suis intéressé à Jules Grévy qui était du Jura 

 

Comprendre une région, son histoire, c'est captivant. Quand je suis arrivé dans le Jura, j'ai continué à m'intéresser à l'histoire locale et j'ai intégré le club "Amaous", le nom d'origine du Val d'Amour où j'habite, une région d'une vingtaine de villages. Avec ce club, nous voulions collecter toute une mémoire orale avant qu'elle ne disparaisse. Un jour est né l'idée de commémorer le bicentenaire de la naissance de Jules Grévy, né à Mont-sous-Vaudrey (Jura), qui a été président de République de 1879 à 1887. Il est né le 15 août 1807 donc nous avons organisé une fête dans le village de Mont-Sous-Vaudrey le 15 août 2007. J'ai fait des recherches, je me suis procuré des documents sur e-bay, etc. et nous avons publié un livre pour l'occasion, "Jules Grévy, un jurassien président". Jules Grévy a été président sous la IIIe République. A mes yeux, c'est d'ailleurs sous sa présidence que le régime devient véritablement une république.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Justement, Emmanuel Macron a célébré au Panthéon, vendredi 4 septembre, les 150 ans de la république avec la proclamation de 1870. Qu'en pensez-vous ? 

Je suis un peu perturbé par cette notion de "150 ans de la république". En 1870, c'est le début de la troisième République, pas le début de la première ! Sans vouloir être puriste, la république commence à la Révolution française. D'autre part, ce qui me chagrine un peu, c'est qu'en 1870, la république n'existe pas vraiment : on la proclame, on l'invente d'abord sans constitution. Surtout, les premières élections n'ont lieu qu'en 1871 et elles donnent d'ailleurs la majorité au parti conservateur, autrement dit les Royalistes gagnent les élections, alors qu'à l'époque, il y a trois partis : le parti radical, qui est rouge, le parti modéré, bleu, et le parti conservateur, blanc. Comme les conservateurs gagnent, ils mettent Mac Mahon à la présidence de la République car ce dernier s'est engagé à se retirer lorsque le roi serait prêt à reprendre le pouvoir. Mais ce n'est pas ainsi que les choses ont tourné, heureusement ! A mes yeux, la vraie république, c'est l'arrivée à la présidence de Jules Grévy, un avocat et député élu président de la république en 1879 par les parlementaires.

Pourquoi Jules Grévy incarne-t-il selon vous la république ? 

Parce qu'il se dessaisit de certains des pouvoirs du président de la République pour les confier au pouvoir législatif. C'est aussi lui qui institue le 14 juillet comme fête nationale, et la Marseillaise comme hymne national.

 Nos libertés viennent de la troisième République

 

C'est également sous sa présidence que plusieurs lois ancrent les principes démocratiques de la république sur lesquelles nous vivons toujours : la loi sur la liberté de la presse de 1881 mais aussi  la loi de 1884 de Waldeck-Rousseau qui abroge la loi Le Chapelier (Ndlr : qui avait supprimé les corporations et instauré un délit de coalition) et reconnaît pour la première fois les syndicats de salariés mais aussi les syndicats patronaux, un principe qu'on retrouve encore de nos jours dans l'article L.2131-1 du code du travail. C'est le début de l'autorisation des organisations patronales, qui auparavant n'avaient pas le droit de se regrouper ! Ces premières reconnaissances de la liberté syndicale proviennent aussi des journées révolutionnaires de 1848...

Mais les progrès des libertés syndicales sont assez longs sous la troisième République (1). Il faut attendre 1936 pour que s'imposent les délégués du personnel...

Oui, mais cette évolution se fait parce que la loi de 1884 a permis pour la première fois aux personnes de s'organiser pour se défendre. On l'a un peu oublié, mais la vraie naissance du syndicalisme syndical et patronal remonte à 1884. D'ailleurs, lorsque certains militants me rapportent qu'ils sont "embêtés" par leur direction qui leur reproche d'être syndiqués, je leur réponds qu'ils n'ont qu'à faire remarquer que les patrons eux-mêmes adhérent souvent à une organisation qui défend leurs intérêts ! 

La mémoire de la troisième République est aussi entachée par la répression de la Commune de Paris...

Bien sûr ! Mais il ne faut pas oublier d'autres grandes lois de la troisième République, comme les lois de Jules Ferry, de 1881 et 1882, puis les textes de 1886, qui instaurent l'école laïque, gratuite et obligatoire. Jules Ferry était un ministre de Jules Grévy. Ce dernier a été président jusqu'en 1887. Il a dû démissionner car son gendre, Daniel Wilson, a été accusé de vendre des décorations. Cette affaire est connue mais ce qu'on rapporte moins, c'est que Daniel Wilson a été acquitté par la suite (lire l'histoire rapportée par wikipédia). 

Vous êtes donc un brin critique sur l'actuelle commémoration de la république ? 

Non, c'est quand même bien de commémorer les débuts de la troisième République, qui à ses débuts en 1870 aurait pu vaciller. Mais c'est le peuple français qui a veillé au grain et empêché le retour d'un régime autoritaire. Reconnaissons que des gens ont "mouillé le maillot", comme on dit, pour porter les valeurs républicaines. C'est aussi sous la troisième République que les maires sont élus par les conseils municipaux avec la loi de 1884 sur les municipalités.

Nous ne sommes jamais à l'abri d'un basculement vers un système autoritaire 

 

Je remarque en passant que la troisième République est celle qui a duré le plus longtemps, 70 ans, jusqu'à ce qu'elle tombe avec la défaite de la France face à l'Allemagne en 1940 et que Philippe Pétain crée l'Etat français en se dotant des pleins pouvoirs. Cette histoire nous montre que nous ne sommes jamais à l'abri d'un basculement vers un système non démocratique. Chacun doit veiller au grain, être attentif à la façon dont le pouvoir s'organise, s'équilibre avec des contre-pouvoirs opérants...

Le syndicalisme et les IRP font-ils partie des contre-pouvoirs ? 

A une époque oui. Aujourd'hui, il me semble qu'il faut arriver à être non pas des empêcheurs de tourner en rond, mais des coopérateurs dans un système, en amenant notre vision des problèmes et les solutions qu'on peut apporter. Dans ce sens, la coopération est peut-être une forme de contrepouvoir.

 

(1) Voir notre infographie sur l'histoire des origines des IRP et du droit syndical. Au sujet de la troisième République, écouter l'interview de l'historien Jean-Noël Jeanneney dans l'émission " Le cours de l'histoire" de France Culture et lire les articles du site de l'Assemblée sur l'histoire parlementaire. 

Bernard Domergue
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