La France se fait une idée dépressive d’elle-même, alors qu'elle regorge d’initiatives et de bénévoles agissant pour le bien commun, soutient Yannick Blanc. Pour le haut-commissaire à l’engagement civique et président de l'Agence du service civique, notre pays doit réinventer des modes de gestion plus collaboratifs, y compris dans le monde associatif et syndical. Interview.
J’observe exactement l’inverse, c’est-à-dire un fort dynamisme de l’engagement bénévole. Cette tendance a encore été accélérée en 2015 lorsque le Président de la République et le gouvernement, après les manifestations du 11 janvier 2015 consécutives aux attentats terroristes, ont lancé une politique publique de l’engagement, en relançant notamment le service civique (Ndlr : lire notre encadré). Mais c’est une tendance attestée par de multiples indicateurs.
Prenez le taux d’engagement bénévole des 18-25 ans : en un an, ce taux est passé de 24% à 35%. Autre indice : le nombre d'inscrits et de candidatures reçues ne cesse d'augmenter à l’Agence du service civique. Rien qu'en 2016, nous avons enregistré sur le site plus de 220 000 candidats, soit + 40% par rapport à 2015, après +95%de hausse entre 2014 et 2015 ! D’autre part, nous avons des expériences probantes de mobilisations de citoyens. Par exemple, le programme Monalisa, qui vise à mobiliser la population contre l’isolement des personnes âgées, n'a pas de difficulté à trouver des bénévoles. Et partout où je vais, sur le terrain, je vois des gens prêts à s’engager. Ceci n’est pas nouveau.

Depuis quinze ans, et notamment comme président de la Fonda (**), je suis de près ces questions et j'observe que le potentiel d’engagement est bien réel : les gens ont envie de s’engager pour l’intérêt général au point que l’engagement fonde aussi leur place dans la société. Face au monde associatif qui se plaignait de ne plus trouver de bénévoles sous prétexte que les Français se seraient réfugiés dans un repli individualiste, il a fallu expliquer un point essentiel : la relation des personnes au collectif et les modes d’engagement se réalisent sous des formes nouvelles. C’est un profond bouleversement.
On ne peut pas se plaindre, d'une part, d’un lien social qui se délite avec des gens qui ne s’intéresseraient plus aux causes collectives et soutenir d'autre part, lorsque des salariés s'engagent et deviennent bénévoles, qu'ils font cette démarche parce qu’ils sont malheureux au travail ! Non, c’est bien l’intérêt général qui motive ces bénévoles. Interrogez les élèves de grandes écoles, rencontrez les maires qui ont organisé la journée citoyenne.

Et vous verrez que les personnes se portent candidates dès lors qu’il y a un cadre et des objectifs d’engagement. Pour autant, je ne nie pas qu'il y ait des personnes en état de souffrance au travail et d’autres qui se trouvent dans des entreprises où aucun sens collectif ne se dégage, et qui vont alors compenser cela par un engagement associatif. De plus en plus d’entreprises sont d'ailleurs à la recherche des ressorts de l’engagement de leurs salariés. Un certain nombre de ces entreprises trouvent ce ressort en soutenant l’engagement bénévole de leurs salariés, citons par exemple le mécénat de compétences...
Il y a effectivement une crise de sens là où le mode de gestion de la ressource humaine s’est totalement resserré sur la performance. Les modes de gestion visant à extraire de la valeur le plus rapidement possible créent de la souffrance au travail, on le sait bien, mais c’est plutôt un phénomène qui touche les grandes entreprises. Dans une petite entreprise, où les syndicats de salariés et les organisations patronales sont très peu implantés, il y a moins de niveaux hiérarchiques et donc cette crise du sens du travail apparaît moins présente.
C’est simple : les syndicats ont trente ans de retard sur les formes de l’organisation du collectif, sur les formes du rituel de groupe, sur la décision collective. Ils sont complètement engoncés dans des modèles obsolètes. Les organisations syndicales me paraissent être prisonnières de toute la machinerie du dialogue social.

Tout se passe comme si les acteurs du dialogue étaient enfermés dans les branches professionnelles, avec des enjeux de plus en plus techniques pour ce dialogue social. Cela vaut aussi pour les fédérations patronales. J’ai observé dans le Vaucluse, où j’étais préfet, la guerre que se sont livrés, au sein du Medef, les partisans de l’organisation territoriale et les partisans de l’organisation de branches. Au final, les branches ont gagné. Problème : la dynamique économique, la responsabilité sociétale des entreprises, l'innovation...au départ, tout cela part des des territoires, par exemple autour de clubs de chefs d’entreprise qui échangent des services, des idées, et qui en viennent ensuite à s’intéresser aux missions locales, au décrochage scolaire des jeunes et à leur insertion professionnelle. Cela ne vient pas des syndicats ni des organisations d’employeurs ! Enfin, le besoin de mobilisation collective sur des objectifs palpables et visibles, un besoin associé à la recherche du moins de rigidité possible dans l’organisation et la gouvernance, ce phénomène, je l'observe partout.
En effet, c’est une difficulté majeure. Cela appelle un renouvellement des méthodes permettant d’assurer de la continuité entre des moments d’engagement plus intensifs. Il y a d'un côté ce qu’on sait faire, c’est-à-dire la structure associative classique : une assemblée générale, un conseil d’administration, un fonctionnement régulier presque routinier dans l'organisation. Mais cela ne fonctionne plus. Il faut offrir d’autres outils pour entretenir la vie de la communauté associative et du réseau, au moyen notamment de ressources numériques, d'occasions festives, etc. La journée citoyenne mise en oeuvre par 600 maires est, par exemple, un moment fort d’engagement mais cette journée suppose aussi des moments intermédiaires où l’on se retrouve pour se consulter, d’autres pour faire la fête.
C’est une grande question ! Citons le secteur de l’aide à domicile, par exemple, qui a été conquis par l‘offre professionnelle et commerciale au détriment de l’offre associative, car l’offre professionnelle a été plus dynamique, plus agile, plus innovante. Et au même moment, dans le monde de la santé, on a vu le mouvement inverse : de plus en plus d’aspects de la production de soins reposent sur l’intensification de la coopération entre les professionnels et les bénévoles. Les équipes médicales elles-mêmes disent qu’elles ne sauraient pas traiter un tas de problèmes sans l’appui de ces bénévoles. Prenez l’exemple d’un établissement pour des personnes lourdement handicapées : pour que l’équipe professionnelle tienne le coup dans la durée en assurant un cadre de vie humain, elle a besoin de s’appuyer sur les familles, bien sûr, mais aussi sur des bénévoles dans le cadre de partenariats associatifs.
On peut comprendre que les professionnels craignent d’être dépossédés mais, en même temps, ceux-ci risqueraient de s'épuiser très vite s'ils n'étaient pas épaulés par le bénévolat. Il faut veiller, dans le management quotidien, à reconnaître et à respecter la place de chacun.

L’orchestration des compétences, c’est le cœur du travail associatif ! A l’occasion d’une mission pour France Bénévolat, j’avais rencontré une personne qui organisait l'intervention de différents bénévoles dans un Ehpad (Ndlr : maison de retraite). Celle-ci devait consacrer aussi du temps à écouter la souffrance des bénévoles lorsque la personne qu’ils accompagnaient décédait. Cela montre bien que la coopération entre professionnels et bénévoles suppose de développer des savoir-faire.
Vous avez deux situations. D'un côté, il y a le citoyen, quel que soit son statut, qui s’engage individuellement parce qu’il a envie de don, de relations, de venir en aide : c’est par exemple le profil d'une personne qui participe aux maraudes du Secours populaire ou de la Croix Rouge. Beaucoup de jeunes sont dans ce cas. De l'autre, vous avez des salariés qui mettent leurs compétences à disposition d’une cause d’intérêt général. Par exemple, un comptable va prendre en charge la comptabilité d’une association. Ce peut être soit du bénévolat de compétences, c’est-à-dire une décision de l’individu, ou bien du mécénat de compétences. Dans ce dernier cas, c’est l’entreprise qui met à disposition d’une association, sur le temps de travail du salarié, un personnel bénévole. L’entreprise le fait en considérant que c’est un volet de sa politique de responsabilité sociale (RSE). C’est d’ailleurs la grande transformation du mécénat des entreprises ces dernières années : nous sommes passés d’un mécénat financier à un mécénat d’engagement des salariés.
Depuis vingt ans, en effet, on observe une demande d’élévation de compétences dans les structures associatives. Cette évolution a parfois donné lieu à des excès, avec - par exemple - de la bureaucratisation. Cette tendance doit être rapprochée du besoin qu’ont les entreprises, pour rester performantes, de promouvoir l'engagement de leurs salariés.

Les chefs d’entreprise que je rencontre me disent toujours la même chose sur la question du recrutement des jeunes : plus que la formation au métier de mon entreprise, que je peux assurer moi-même (tous les employeurs sont persuadés d’avoir un savoir faire à part), je recherche des qualités, avec un jeune qui ait du "savoir être". Qu’est-ce que signifie cette expression devenue magique ? C’est finalement, pour un individu responsable et autonome, la capacité d’engagement dans un travail collectif. Le savoir être de l’association et de l’entreprise est le même ! D’ailleurs, les jeunes qui réalisent une mission de service civique considèrent que ce savoir être est utilse pour une expérience professionnelle.
Le service civique est conçu et piloté pour favoriser la mixité sociale. Le recrutement se fait d’ailleurs sur un critère de motivation et non de compétence. Je suis d’ailleurs frappé de voir les jeunes, quelle que soit leur origine sociale ou leur qualification, tenir le même discours : ils disent tous avoir découvert des réalités qu’ils ne connaissaient pas, et que l'expérience du service civique les a fait mûrir et grandir. C’est bien parce que le service civique n’est ni un job ni un stage, mais un engagement volontaire que nous avons ces résultats.
Ne confondons pas deux choses : l’idée que tous les jeunes devraient faire un service civique et l’idée d’en faire une obligation juridique. J’adhère à la première idée mais pas à la seconde. En effet, ce qui fait le succès du service civique, c’est son caractère volontaire. La relation qui s’établit entre le jeune et l’organisme qui le reçoit n’est pas une relation hiérarchique, mais une relation d’égalité, de volontariat et de don mutuel, et cela compte beaucoup. Pour le jeune, cela représente un exercice de responsabilité et d’initiative. Prenez l'exemple d'un jeune qui a fait une mission de six mois en service civique dans une maison de retraite, c’est sidérant de voir tout ce qu’il en a retiré : il a été accueilli, reconnu, il a pu mettre en œuvre ses idées, établir une relation d’échange avec les pensionnaires, etc. Cela n’a rien à voir avec la façon dont on parlait, à mon époque, du service militaire…
Oui, il en résulte des tensions. La plupart de nos institutions et de nos corps intermédiaires sont façonnés par leur histoire. Une histoire marquée, et c’est pour moi propre au modèle français, moins par le jacobinisme que par une verticalité commune à toutes les organisations de la société. Dans ce modèle, l’ensemble des institutions, de la famille à l’Etat en passant par l’église, l’école, l’entreprise ou encore l’association sportive, sont emboîtées dans un même moule.

Ce modèle, longtemps efficace, s’avère aujourd'hui extraordinairement rigide. Un système dans lequel toute la connaissance et l’information sont détenues par une élite –qui distribue son savoir avec parcimonie - a dû mal à s’adapter aux changements du monde actuel, à l’augmentation générale des qualifications, à la circulation des hommes et des idées. Quand j’ai commencé ma carrière dans l’administration, il y a 35 ans, le principe de base c’était que l’administration ne délivrait pas la connaissance qu’elle possédait ! Aujourd’hui, le principe c’est l’"open data", ce sont les données ouvertes, on a changé de monde.
Si ! Au sein même des services publics, il y a un divorce entre, d’un côté, les statuts, les textes, etc. et, de l’autre, ce que nécessite toute action. Lorsqu’un gouvernement demande à un préfet de régler tel ou tel problème, celui-ci peut bien sûr s’appuyer sur des textes ou des outils administratifs, mais s’il veut vraiment être efficace, le préfet va rassembler différents acteurs pour créer un climat de coopération. Je l’ai expérimenté pour la mise en œuvre de l’accueil de réfugiés, d’une revitalisation industrielle d’un territoire, etc. Les techniques d’action collective qu’un préfet peut mobiliser dans ces chantiers sont des techniques collaboratives, et pas des techniques institutionnelles.
La crise est massive : regardez l’effondrement, sous nos yeux en ce moment, des partis politiques. Les premiers à en avoir fait les frais sont les écologistes. Ils ont été les premiers à porter une idée -la préservation de l’environnement- qui est aujourd’hui relativement partagée. Mais pour porter cette idée, qui a conquis une large part de la société, ils se sont donné un outil, le parti politique, qui a provoqué entre eux une série de catastrophes. Cet outil vertical est totalement inadapté à leur conception citoyenne qui est au contraire un appel à l’horizontalité. Les organisations syndicales sont aussi très affaiblies. Tout le paradoxe est là : l’idée que le pays se fait de lui-même est assez dépressive, alors qu’il existe une vitalité très forte de la société française. Comme il existe un plafond de verre, cette vitalité n’est pas visible. C’est pour cette raison que nous sommes en train d’élaborer, avec la Fonda (**) et le commissariat général à l’égalité des territoires (***) , un moteur de recherches pour repérer et géolocaliser les initiatives locales. Et nous avons déjà dans notre base de données 10 000 initiatives.
(*) tsa-quotidien.fr, journal de l'actualité de l'action sociale, est, comme actuEL-CE.fr, édité par les Editions Législatives.
(**) La Fonda se présente comme un "laboratoire d'idées du monde associatif".
(***) Le CGET (commissariat général à l'égalité des territoires) résulte de la fusion de plusieurs organismes dont la Datar.
Un préfet engagé |
---|
Yannick Blanc est devenu, depuis le décès en début d’année de François Chérèque, l’homme incontournable des questions d’engagement. Il cumule, en effet, les casquettes de président de l’Agence du service civique (*) et de haut-commissaire à l’engagement civique. Il préside également aux destinées de l’association Fonda qui explore les nouvelles façons de vivre le fait associatif. Ce préfet jeune sexagénaire détonne un peu dans le monde de la préfectorale. Il a intégré tardivement l’ENA, ayant été, auparavant, chercheur pour le ministère de l’Environnement pendant une dizaine d’années. Il a été préfet du Vaucluse puis du Val d’Oise avant de prendre des responsabilités sur le front de l’engagement civique. (*) Le service civique est un engagement volontaire de 6 à 12 mois des 16-25 ans au service de l'intérêt général. Accessible sans condition de diplôme, ce service est indemnisé (472€ nets par mois à laquelle s'ajoute une prestation en nature de l'organisme d'accueil). Voir l'article de tsa-quotidien.fr |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.