Pour Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate spécialisée dans les discriminations, l'égalité entre les femmes et les hommes est devenue un très fort enjeu social, si fort qu'un gouvernement ne peut plus l'ignorer. Elle se montre plutôt favorable à l'idée d'un logiciel de mesure des écarts salariaux. "Si c'est un outil combinant diplôme et âge, et s'il s'applique à toutes les entreprises, là, je crois que nous pourrons avancer", nous dit-elle. Interview.
La veille de la journée des droits de la femme, le gouvernement a annoncé mercredi vouloir légiférer pour réduire les inégalités de rémunération entre les femmes et les hommes. L'Exécutif envisage d'imposer à toutes les entreprises de mettre en place un logiciel mesurant les écarts de salaires entre les sexes et de sanctionner les entreprises qui n'auraient pas résorbé dans les trois ans les différences inexpliquées et donc discriminatoires (voir notre article). Que pense de ces annonces l'avocate Emmanuelle Boussard-Verrecchia, spécialisée dans les discriminations ? Interview.
"Dans ce que propose le gouvernement, c'est, je trouve, l'aspect le plus novateur. J'y vois le résultat de batailles menées pendant des années contre les entreprises pour obtenir une certaine transparence autour des salaires afin de pouvoir prouver une discrimination. Nous avons réussi à faire consacrer ce principe de transparence des données par la jurisprudence dans plusieurs affaires de discrimination, je pense notamment à la décision du 19 décembre 2012 concernant Radio France. C'est un point essentiel : maintenir l'opacité autour des rémunérations revient à autoriser la discrimination. Certes, les entreprises n'ont pas envie de se voir imposer cette transparence.

Mais cette position est devenue intenable. D'une part parce que nous obtenons, dans les dossiers de discriminations que nous portons, des condamnations sonnantes et trébuchantes qui ont aussi une très forte portée symbolique, avec un impact préjudiciable sur l'image des entreprises convaincues d'avoir discriminé. D'autre part, les femmes sont de plus en plus diplômées, et les nouvelles générations supportent de moins en moins d'être mal traitées dans leur carrière et leur rémunération. Certes, il y a finalement peu de contentieux par rapport à la réalité du phénomène de discrimination, mais nous savons que beaucoup de femmes se retrouvent dans ces affaires et dans cette réalité. Tout cela pour dire que ces questions sont devenues un enjeu social très fort et si important qu'un pouvoir politique ne peut plus les ignorer, il doit les traiter. Je dois avouer que c'est assez bien joué de la part du gouvernement de porter ces questions de discrimination et d'égalité alors que les ordonnances viennent de contribuer encore davantage à dévaloriser la protection apportée par le droit du travail. Il faut par ailleurs bien constater que la protection collective issu du droit antérieur n'a pas réussi à traiter ces questions d'égalité et de discrimination.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
C'est toute la question ! J'espère que le gouvernement, pour son logiciel, s'inspirera des conclusions du groupe de travail de Sciberras en 2015. Toutes les organisations syndicales avaient alors demandé la création d'un indicateur concernant le diplôme et l'âge des salariés afin de pouvoir savoir sur la durée ce que deviennent les salariés et les salariées, voir comment évolue le parcours professionnel des femmes et celui des hommes. Mais le Medef n'avait pas voulu entendre parler de cette idée. Le conseil économique, social et environnement (CESE) a eu, en juillet 2017, la même préconisation en prônant un indicateur de ce type pour la base de données économiques et sociales (BDES).

Le gouvernement peut, à mon avis, d'autant plus s'inspirer de ces recommandations que les entreprises, lorsqu'elles y sont contraintes par la Justice, sont parfaitement en mesure de fournir ces données, y compris sans logiciel spécifique ! J'insiste sur le fait que parler des diplômes est nouveau et déterminant. Nous pouvons enfin sortir du sempiternel discours sur le thème "à travail égal, salaire égal". Car ce slogan méconnaît le fait que les femmes n'occupent justement pas les mêmes postes que les hommes, comme nous l'avons montré dans l'affaire BNP, où la cour d'appel a reconnu une "situation générale d'inégalité entre femmes et femmes". En effet, les femmes sont souvent plus diplômées au départ que les hommes. Et pourtant, après quinze ans de carrière, elles se retrouvent très souvent derrière ceux-ci. Se contenter de dire "à travail égal, salaire égal", c'est passer à côté de tout un pan de l'évolution professionnelle. Par exemple, une femme peut très bien, sur un même poste, être même un peu mieux payée qu'un homme, mais, petite différence, elle est souvent bien plus âgée, ce qui dénote en fait une discrimination de carrière. Donc, parler de diplôme en le corrélant à l'âge est à mes yeux essentiel pour lutter contre la discrimination et la prévenir efficacement.
Cela ne peut pas faire de mal ! Valoriser les élus du personnel, pour qu'ils accompagnent les salariés, me semble intéressant. L'enjeu consiste à rendre l'information accessible à tout un chacun, en permettant aux salariés de se positionner eux-mêmes par rapport à la situation d'un groupe similaire. C'est parfaitement possible de permettre ceci de façon anonyme. Former les élus du personnel, les inspecteurs du travail, très bien. Mais former les magistrats professionnels me semble aussi indispensable que former les conseillers prud'hommes.

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