"Sophie Cluzel défend une position intégriste sur l’inclusion"

"Sophie Cluzel défend une position intégriste sur l’inclusion"

22.03.2019

Action sociale

L'Association nationale des directeurs et cadres d'Esat (Andicat) organisait ses rencontres nationales les 14 et 15 mars à Paris. Son délégué national, Gérard Zribi, passe en revue l'actualité du secteur handicap et ne mâche pas ses mots à l'égard de la politique du "tout inclusif" prônée par Sophie Cluzel, la secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées. Interview.

TSA : La loi "Avenir professionnel" du 5 septembre 2018 a entrepris une réforme de l’OETH [obligation d'emploi des travailleurs handicapés] pour favoriser l'emploi direct. Quelles sont les conséquences pour l’emploi protégé ?
 

Gérard Zribi : La loi Avenir professionnel cherche à favoriser l’emploi direct, l’inclusion directe. Le problème, c’est qu’elle risque de mettre en difficulté la moitié des établissements et services d'aide par le travail (Esat) en France. Il y a 120 000 travailleurs handicapés aujourd’hui en Esat. Peut-on imaginer qu’en supprimant la compensation aux Esat, les entreprises du milieu ordinaire vont se mettre à recruter directement des travailleurs handicapés ? C’est d’un simplisme sans nom !

Dans les décrets en préparation, visiblement, les pouvoirs publics vont atténuer cette mesure de la loi Avenir professionnel et faire quelques efforts mais c’est absurde puisqu'ils ne font que transformer une mauvaise mesure. De nombreux élus ont relayé nos inquiétudes au Parlement en posant des questions écrites. La ministre Sophie Cluzel, très gênée, tient un discours rassurant devant les députés et sénateurs, puis quand elle se rend dans des endroits où tout est acquis, elle défend une position intégriste sur l’inclusion. Elle change de discours tout le temps !

Les espaces ordinaires ne peuvent pas intégrer des pathologies complexes, on court ici un risque d’exclusion. Pour nous l’inclusion réside dans les droits fondamentaux des personnes handicapées. Les Esat permettent le droit au travail et la réforme risque de priver les gens de ce droit à l’emploi.

 

L'engagement de Sophie Cluzel pour une société inclusive est pourtant en phase avec les conclusions de la représentante de l'ONU qui prône la désinstitutionnalisation ?
 

Reprenons l'histoire à l'origine. Pourquoi la représentante du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU est-elle venue en France, pays qui possède l’un des dispositifs les plus diversifiés d'Europe ? Parce que des petites associations de familles, qui sont aujourd'hui en souffrance, interpellent toutes les organisations internationales pour pointer la France comme étant le pays le plus horrible du monde. Madame Aguilar indique dans son rapport qu'elle veut la suppression de toutes les institutions mais qui va s’occuper de ces personnes ? C’est un discours fou et délirant, mais cela convient à la ministre.

 

On n'entend pas beaucoup les associations à ce sujet...
 

Les associations, notamment gestionnaires, ont peur de dire qu’elles sont contre la désinstitutionnalisation. Certaines têtes de réseaux sont d’ailleurs très honorées d’être reçues par les gouvernants. Les associations nationales n’osent pas trop bousculer le discours officiel sur l'inclusion mais je peux vous dire qu’un fossé profond se creuse entre elles et les associations départementales de terrain, plus en phase avec les attentes des familles et des professionnels. Certains parents de personnes handicapées mentales vieillissantes, inquiets, nous interrogent : "nos enfants vont nous survivre, où vont-ils aller ?"

Un certain nombre de familles souhaitent l’inclusion mais sont torturées : elles espèrent, elles rêvent que leur situation ne soit qu'un mauvais cauchemar. Puis elles s’aperçoivent que ce n’est pas adapté et se mettent alors à la recherche de structures spécialisées.

Derrière tout cela, se profile le retour à domicile qui concerne surtout des mères d’ailleurs, un transfert des structures collectives vers la prise en charge familiale. Il y a là une vraie méconnaissance des situations et une absence d’humanité. Il faut voir ce que traversent ces mères. On élimine le besoin en disant que les personnes doivent vivre normalement alors qu'en réalité il faut des places.

Sophie Cluzel plaide pour le domicile. Le gouvernement veut une politique d’assistance et étudie la possibilité de créer une aide à la tierce personne, avec l’idée de défendre la capacité d’auto-détermination, comme l’aide à la dépendance.

 

C’est d’ailleurs l’une des pistes à l’étude dans le cadre de la réforme du financement des établissements "Serafin-PH" ?
 

En effet. Et contrairement à ce que l'on imagine, le débat sur la réforme du financement est plus politique que technique. L'Etat, qui favorisait jusque-là une palette de solutions (milieu ordinaire, institutions spécialisées…), tend à se diriger de plus en plus vers un système de financement basé sur l’individualisation : on solvabilise - non pas le service collectif - mais le demandeur qui va ensuite acheter des prestations. C’est un choix politique très clair. Les parents vont s'adresser à des pôles de compétences externalisées et confier leur enfant deux à trois journées par semaine et, le reste du temps, ils vont garder leur enfant à domicile en les accompagnant à des consultations chez des professionnels libéraux. C’est le modèle préconisé par le rapport Piveteau et la réforme Serafin. Au nom d’une démarche émancipatrice, on assiste à un retrait de la protection sociale.

 

La volonté d'aller vers plus de modularité ne semble pas être une mauvaise chose, si ?
 

Nous sommes en train de quitter une option qui a fait ses preuves pour aller vers une aide à la personne. Ce financement a été expérimenté dans quatre régions européennes (Allemagne, Belgique…) et les résultats ne sont pas bons. C’est valable pour les personnes ayant un handicap moteur qui ont une capacité de décision mais c’est catastrophique pour les personnes avec un handicap mental. L’auto-détermination en réalité est entre les mains des parents. Résultats : les prestations sont très peu professionnelles et produisent des résultats négatifs pour la vie sociale et l’accompagnement des personnes handicapées.

Plutôt que de la modularité, les parents vont courir à droite et à gauche. Je veux bien qu’on propose un PAG [plan d'accompagnement global] aux familles lorsque l'on n'a pas de solution mais après il faut trouver quelque chose de durable. Je crains qu'on assiste là non pas à une émancipation culturelle mais à une régression sociale. On ne crée pas de places, le but étant de faire des économies, mais avec ces politiques on va déséquilibrer les systèmes sans faire un centime d’euro d’économies car les besoins sont là. C’est une illusion complète. Il faut jouer la pluralité des modalités de réponses et consolider les compétences professionnelles. Le secteur doit certainement être amélioré mais c’est un bon système !

 

Didier Rambeaux officialisé à la présidence d'Andicat

Elu en janvier dernier président d'Andicat, Didier Rambeaux a officiellement endossé ses habits de président lors des rencontres nationales des 14 et 15 mars. Il succède ainsi à Dominique Clément qui avait lui même remplacé Gérard Zribi en janvier 2018.

Afin "de mieux distinguer les fonctions politiques et opérationnelles", Gérard Zribi avait alors démissionné de son poste de président d’Andicat (occupé depuis 22 ans) pour occuper des fonctions de délégué national.

 

Action sociale

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Propos recueillis par Linda Daovannary
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