"Pourquoi figer dans la loi une fusion des CE, DP et CHSCT ?", s'interroge l'Ires. Selon l'institut de recherches économiques et sociales, le processus de simplification des IRP, qui pose la question de la proximité des élus du personnel avec les salariés, a déjà commencé sur le terrain, mais de façon souple.
Pourquoi prévoir une nouvelle évolution des instances représentatives du personnel alors que des réformes très récentes, comme celle de Rebsamen en 2015, n'ont pas donné lieu à une évaluation ? Cette question est souvent lancée au gouvernement, tant par les organisations syndicales que par des parlementaires de l'opposition. Dans une note de 16 pages qui vient de paraître, l'institut de recherches économiques et sociales (Ires) s'efforce de dresser un bilan de la situation dans les entreprises. L'institut le fait à partir d'une étude réalisée en décembre 2016 pour la Dares, le service statistiques du ministère du Travail, avec le concours de trois cabinets d'expertise : le centre d'étude et prospective du groupe Alpha, Orseu et Syndex (voir notre encadré). Le constat de l'Ires ne plaide pas pour une fusion autoritaire des instances, l'étude contestant aussi les postulats de la ministre du Travail pour justifier son approche.
Muriel Pénicaud dit souvent que le système de représentation du personnel en France est trop complexe. L'Ires illustre cette complexité par ces deux schémas :
Représentation des IRP dans les groupes ayant plusieurs sociétés ou des entreprises ayant plusieurs établissements
Représentation par niveau de chaque IRP
Complexité, donc ? Oui, mais pour l'Ires, elle ne fait que correspondre à la structure compliquée des entreprises françaises, et notamment des plus grandes où travaillent plus de la moitié des salariés français : "Il peut y avoir jusqu'à 5 niveaux hiérarchiques, correspondant à autant de lieux de discussion, d'information ou de négociation : l'agence ou le site, les établissements, la société, la direction française, la direction générale de l'ensemble du groupe".
Le choix français, mais également belge, de spécialiser les IRP en fonction des périmètres et des thématiques traités n'est donc pas a priori "moins pertinent que le choix allemand de centraliser l'ensemble des questions au sein d'une instance unique qui se retrouve à gérer un nombre de questions extrêmement important, exigeant des moyens considérables ou une spécialisation des élus qui tend en fait à recréer au sein de cette instance, et de manière informelle, la distinction qui existe formellement en France".
La loi Rebsamen de 2015 a rendu possible une délégation unique du personnel (DUP) regroupant CE, DP et CHSCT jusqu'à 299 salariés, ce regroupement pouvant aussi être acté de façon plus souple par accord d'entreprise à partir de 300 salariés. Cette possibilité contractuelle est peu exploitée, observe l'Ires. Et quand elle l'est, cela se fait parfois via une centralisation poussée : trois entreprises ont fusionné l'ensemble de leurs CE en un CE unique au niveau central, deux entreprises du secteur bancaire et de l'assurance ayant par exemple choisi de fusionner l'ensemble de leurs CHSCT en un CHSCT unique. Au passage, Kevin Guillas Cavan, chercheur à l'Ires, s'étonne de l'absence de réflexion du gouvernement sur ces fusions verticales d'instances opérées par les entreprises qui redessinent la carte de la représentation du personnel avec de multiples enjeux à la clé : n'obligent-elles pas à repenser une instance au niveau local, peut-être en dotant le CHSCT -ce comité s'imposant comme l'instance de proximité-de certaines attributions du CE ?
Cette centralisation, qui présente un avantage de coût pour la direction, bouleverse la répartition du travail des élus et fait courir un risque d'éloignement entre les élus et les salariés qu'ils représentent. "Dans l'un des cas de fusion CE-CCE, les élus avouent avoir réduit les activités sociales pour pouvoir se concentrer sur les consultations économiques", constate l'étude. Nombre d'élus craignent aussi qu'une délégation unique entraîne le sacrifice de certaines des prérogatives du CHSCT, "tant les consultations économiques sont complexes et chronophages". Un rare exemple positif concerne une Scop ayant mis en place une instance unique après un accord généreux prévoyant un nombre d'heures de dél��gation important et 6 commissions correspondant aux instances fusionnées (*).
L'hypothèse d'une fusion de droit pose bien sûr la question de l'existence des CHSCT, d'autant que ces CHSCT n'ont pas toujours le même périmètre que les CE. Du reste, l'étude constate qu'élus et directions sont très attachés au CHSCT. Cette instance permet de désamorcer des conflits au niveau local car "ses prérogatives portent sur des questions sur lesquelles ses interlocuteurs (DRH régionaux ou directions de site) ont une influence", elle permet aussi aux directions centrales de savoir ce qui se passe dans les établissements . De là peut être aussi le succès limité de l'instance de coordination des CHSCT créée par la loi Rebsamen.
Faut-il aller plus loin que la loi Rebsamen en faisant d'une instance unique la forme institutionnelle normale, comme le souhaite l'Exécutif ?
"La volonté de fusionner les différentes IRP ne paraît pas correspondre aux besoins des entreprises, DRH et élus confondus", répond l'Ires. Si le législateur laisse ouverte la possibilité d'y déroger par accord, ajoute l'Ires, "alors il y a fort à parier que dans la plupart des cas, un tel accord sera signé". N'est-il pas contradictoire d'observer à la fois qu'il y a peu de DUP Rebsamen négociées actuellement et de prédire pour demain beaucoup d'accords sur une adaptation des instances ? "Non, il n'y a pas de contradiction, nous répond Kevin Guillas Cavan. Les acteurs qui estiment n'avoir pas d'intérêt à aller vers une DUP ne vont pas négocier actuellement sur le sujet. En revanche, si la législation aboutit à une généralisation de la DUP, ils auront alors intérêt à chercher à négocier un accord pour y échapper".
En attendant, la fusion et la simplification des IRP a déjà commencé à se faire sur le terrain, "de façon décentralisée et adaptée aux besoins des différentes entreprises". Et l'évolution qui se dessine consiste en un renforcement du CHSCT et du CCE (avec notamment l'examen des questions économiques et stratégiques), le CE semblant être voué aux informations locales et à la gestion des activités sociales et culturelles. Le danger d'une évolution nouvelle serait la perte d'un niveau de représentation locale "adaptée aux besoins des salariés" mais aussi un risque de moyens inférieurs pour les élus du personnel, comme le montre le précédent de la DUP selon Kevin Guillas Cavan : "Les élus des DUP de moins de 300 salariés disposent certes de plus d'heures de délégation individuellement, mais globalement, les élus étant moins nombreux, le nombre d'heures diminue, comme le nombre de réunions. On passe de 28 réunions par an avec des instances séparées (12 pour le CE, 12 pour les DP, 4 pour le CHSCT) à seulement 6 réunions en DUP, avec 4 devant traiter des prérogatives du CHSCT, ce qui n'en laisse que 2 pour le CE ! " (**).
(*) Ndlr : il pourrait s'agir du groupe Up dont nous vous avions présenté l'accord dans notre article du 19 octobre 2016.
(**) Ce propos pourrait paraître excessif à certains de nos lecteurs dans la mesure où la texte dit précisément qu'au moins 4 réunions par an de la DUP doivent porter, en tout ou partie, sur des sujets relevant des attributions du CHSCT, ce qui n'exclut donc pas d'aborder dans ces réunions également des sujets relevant du CE.
Pour en savoir plus sur l'étude |
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L'Ires est un organisme de recherches au service des organisations syndicales représentatives. On peut voir ici une présentation résumée de l'étude évoquée ci-dessus. Elle a été réalisée sur 18 mois à partir des expériences de 30 experts de 3 cabinets mais aussi à partir de l'étude de 13 entreprises, généralement de grande taille. Nous avions rendu compte de certains aspects de cette étude dans un article du 24 janvier 2017 intitulé : "Consultation sur les orientations stratégiques, pourquoi ça ne fonctionne pas". |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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