"Le CPOM permet d'éviter une concurrence entre les dispositifs pour migrants et sans-abri"

"Le CPOM permet d'éviter une concurrence entre les dispositifs pour migrants et sans-abri"

12.06.2017

Action sociale

Considéré comme le "père" des CPOM, Jean-Pierre Hardy a remis au Secrétariat général des ministères sociaux un rapport sur les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens dans le secteur "accueil, hébergement, insertion" (AHI). Il plaide pour le rétablissement d'une obligation de contractualisation qui permettrait notamment d'éviter la "concurrence" des publics. Interview.

Le secteur médico-social prenant en charge les personnes âgées et les personnes handicapées connaît un processus de généralisation des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) d'ici 2022. Alors qu'il a été le premier à passer d'une dynamique de partenariat et de coopération à une logique d'intégration plus organique avec les Services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO), le secteur de la lutte contre les exclusions n'est pas concerné par la généralisation des CPOM pluri-financeurs et pluri-sectoriels. Pourtant, même la Cour des comptes, dans un récent rapport, plaide pour une accentuation du processus dans ce secteur.

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L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Fin connaisseur des CPOM sociaux et médico-sociaux, pour avoir travaillé sur cette problématique à la DGAS (ex-DGCS), puis à l'Assemblée des départements de France (ADF), Jean-Pierre Hardy a remis en début d'année un rapport (en pièce jointe ci-dessous) commandé par le Secrétariat général des ministères sociaux et la direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (Drihl) d'Ile-de-France. Il y identifie notamment les conditions juridiques, financières, organisationnelles et sociales à réunir pour développer la contractualisation dans une logique de parcours d'insertion dans le secteur "accueil, hébergement, insertion" (AHI). Nous l'avons interrogé sur les avantages d'une telle contractualisation, et plus globalement sur la logique du CPOM.

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

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tsa : Vous qui avez toujours défendu l'extension du CPOM, vous devez être satisfait des dernières évolutions législatives ?

Jean-Pierre Hardy : C'est une évolution que j'ai en effet toujours appuyée dans mes différentes fonctions. Comme on le sait, la loi HPST de 2009 rendait les CPOM obligatoires sous réserve de la publication d'un seuil fixé par arrêté, qui n'a jamais été pris. Une inertie qui a eu pour effet de bloquer le dispositif CPOM qui est resté facultatif. Fin 2015, une tripotée de textes est sortie (loi vieillissement, LFSS 2016) rendant obligatoire le CPOM dans le secteur personnes âgées et personnes handicapées.

 

Les CPOM impliquent-ils un changement organisationnel tant pour les directeurs d'établissement que pour les structures gestionnaires ?

Oui, je le pense. Prenons l'exemple des grandes associations départementales - du type Adapei ou Apajh, qui regroupent entre 30 et 100 établissements, créés au fil du temps - chaque directeur d'établissement allait négocier son budget individuellement avec l'autorité tarifaire. Dorénavant, avec le CPOM pluri-établissements, pluri-activités et pluri-financeurs, la gouvernance va remonter au siège de l'association gestionnaire et nous allons voir apparaître la notion de directeur de pôle (pôle enfance handicapée et inclusion scolaire, pôle travail protégé et travail adapté, pôle habitat médicalisé, etc.). Nous passerons d'une logique d'établissements à la "queue-leu-leu" à une logique de pôles thématiques, voire de pôles territoriaux. Il y aura une direction générale du siège qui va gérer l'EPRD [état des prévisions de recettes et de dépenses] et le budget principal avec un staff conséquent (directeur général, directeur financier, directeur des ressources humaines, directeur du patrimoine, contrôleur de gestion). Et au lieu d'avoir des dizaines de directeurs d'établissement, on aura un directeur de pôle pour chaque grande thématique ou un directeur sur un territoire.

 

Est-ce la fin de la fonction de directeur ?

Il faut noter une forme de paradoxe avec l'émergence de la logique de plateforme : la loi 2002-2 a reconnu les établissements et a exigé qu'ils soient dirigés par des directeurs formés (décret de 2007). Mais dans le même temps, on se préparait déjà à passer à autre chose, à savoir les directeurs de pôles territoriaux, sans prévoir d'ailleurs de formation spécifique pour ces directeurs au sein des sièges. L'organisation induite par les CPOM et l'EPRD [nouvelle logique comptable] va concerner la majorité des associations gestionnaires. Dans le secteur public, cela fonctionne déjà comme cela d'ailleurs. C'est cette perte de pouvoir qui explique l'opposition des directeurs, aux CPOM de première génération, entre 2006 et 2009.

 

Cette crainte d'une déconnexion avec le terrain peut être justifiée, non ?

Moi, je pense que le CPOM peut avoir le mérite de mettre fin à des balkanisations. Le "moi, mon établissement, ma vie, mon oeuvre" devient compliqué. L'admission en établissement par exemple ne sera plus forcément du ressort du directeur d'établissement et pourra relever du directeur de pôle, permettant d'éviter ce que l'on a pu voir avec l'affaire Amélie [dossier qui a été le déclencheur du "zéro sans solution" et d'une "réponse accompagnée pour tous" dans le champ du handicap]. Aujourd'hui, il y a des directeurs qui refusent une admission MDPH parce que le profil ne leur convient pas ou refusent d'être solidaires de leurs collègues voisins. Dans une association de type handicap, la gouvernance va donc changer. Plus globalement, l'évolution était nécessaire au regard de la croissance du secteur en 30 ans : on est passé de 7 000 établissements en 1975 à 44 000 établissements aujourd'hui, toutes catégories confondues.

 

Abordons désormais le sujet au coeur de votre rapport. Pourquoi, fallait-il mener une réflexion sur le CPOM dans le secteur AHI ?

Aujourd'hui, la loi ASV rend le CPOM obligatoire dans le champ personnes âgées et la LFSS de 2016 le g��néralise dans le champ du handicap. Problème : cette dernière a écrasé un article de la loi HPST qui encadrait le CPOM (lequel était néanmoins resté facultatif faute d'arrêté) et prévoyait des CPOM tripartites (ARS, DRJSCS et gestionnaire sur les secteurs AHI, addictions et publics dits avec des difficultés spécifiques).

A l'heure où le CPOM se généralise dans le champ médico-social, qu'advient-il du champ social ? Peut-il encore signer des CPOM facultatifs et dans quel périmètre ? Dans mon rapport, je préconise de rétablir cette obligation de CPOM dans le secteur de l'exclusion mais en prévoyant des seuils (cela n'a aucun intérêt de le rendre obligatoire pour les associations mono-établissement ou micro-établissements). Il faut aussi réfléchir au champ couvert, sachant que le secteur AHI s'est extrêmement diversifié. En principe, juridiquement, le CPOM vise les ESMS [établissements et services sociaux et médico-sociaux] concernés par le triptyque planification, autorisation avec des appels à projets, tarification. Or le secteur se développe actuellement en dehors de ce cadre ; toute une série de dispositifs relève du régime déclaratif. Je pense qu'il faut donc intégrer dans ce CPOM "inclusion sociale/AHI" : les CHRS (ESMS de droit commun), les Cada [centres d'accueil de demandeurs d'asile], tous les dispositifs du régime déclaratif qui accueillent des migrants (CAO, CAOMI), les centres d'hébergement d'urgence (dispositif hivernal), autant de structures pérennes de fait mais qui fonctionnent avec un financement par subvention annuelle. On peut aussi ajouter les pensions de familles, les résidences sociales relevant du code de la construction et de l’habitat, le logement inclusif que se déploie pour ces publics mais aussi pour les personnes âgées et les personnes handicapées. Et enfin, comme le CPOM serait signé, non seulement avec la DRJSCS [direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale], mais aussi avec l'ARS, on pourrait y faire entrer les structures addictions, les lits halte soins santé (LHSS), etc. Puisque ce sont des établissements complémentaires, on entrerait là complètement dans la logique de parcours.

 

Dans ce secteur, le CPOM permettrait selon vous d'éviter la concurrence entre publics et entre dispositifs ?

En effet, le danger qui nous guette si l'on ne fait pas cela, c'est d'avoir des dispositifs éclatés qui vont rentrer en concurrence. On a déjà un discours qui dit : "nos SDF sont moins bien traités que les réfugiés". Un seul CPOM permettrait d'éviter la mise en concurrence des dispositifs (sur un même CPOM, on peut passer de l'un à l'autre) ; la structure dispose ainsi d'une palette de réponses permettant un parcours qui va de l'urgence à des structures permettant plus d'accompagnement. L'idée est donc de coordonner grâce au CPOM l'ensemble des dispositifs.

 

Vous y voyez aussi le moyen de lutter contre ce que vous appelez "la dérive des continents" ?

Oui, je constate en effet l'inquiétante distanciation qui se crée entre les ARS (qui ont la majorité des anciennes Drass-Ddass), évoluant avec des outils modernes - CPOM, EPRD, contractualisation -, et les DRJSCS dans le champ "cohésion sociale" qui ne contractualisent qu'avec les CHRS et maintiennent un subventionnement illégal au regard de la définition des subventions de la loi ESS. Nous risquons d'avoir le petit frère du social, complètement oublié, et les cultures professionnelles vont s'éloigner. En termes de professionnalité, il faut éviter que le continent "ARS" et le sous-continent (voire l'îlot) "cohésion sociale" se dispersent. Je suis favorable à la fusion des DRJSCS et des ARS au sens santé publique et à un même mouvement de rationalisation au niveau national.

Linda Daovannary
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