Manifestations, tribunes assassines : la décision du Maine-et-Loire de réorganiser ses services de protection de l’enfance par un simple appel à projets suscite un tollé considérable. Anne Postic, directrice de l’Uriopss Pays de la Loire, revient sur les coulisses d’une mesure inédite et lourde de menaces pour l’avenir du dialogue associations-financeurs.
tsa : Dès 2013, l’Uriopss Pays de la Loire avait alerté sur l’impact des appels à projets dans la région. Y a-t-il une spécificité territoriale ?
Anne Postic : L’ARS Pays de la Loire a été la première à lancer des appels à projets sociaux et médico-sociaux, à la suite de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009. C’était une procédure totalement nouvelle pour les associations et des difficultés ont assez vite commencé à apparaître. L’ingénierie de projet nécessite une expertise dont ne disposent pas nécessairement les petites associations, d’autant que certains cahiers des charges leur demandaient d’engager des réponses collectives avec des partenaires du territoire.
Lorsque nous avons fait un bilan, trois ans plus tard, nous avons vu des associations très inquiètes. Elles avaient le sentiment de s’être transformées en prestataire de service. La procédure d’appels à projets induisait une injonction paradoxale : on demandait aux partenaires de coopérer tout en les plaçant en concurrence. Des associations en arrivaient à interdire à leurs salariés tout contact avec d’autres associations durant la période de réponse aux appels à projets.
Sur cette base, nous avons pu faire des recommandations à l’ARS qui ont été prises en compte pour améliorer les cahiers des charges. Le dialogue existait, mais les paradoxes demeuraient bien réels.
La tentation de faire intervenir de nouveaux opérateurs nationaux sur le territoire, comme cela s’est fait dans le Maine-et-Loire, était-elle déjà présente dans les esprits ?
Cela s’est vu. Je me rappelle par exemple d’une situation assez étonnante, dans laquelle la directrice de l’ARS avait dû s’opposer à la décision de la commission de sélection des appels à projets qui, elle, avait placé en numéro 1 une association de l’extérieur.
La Vendée également avait lancé des appels d’offres sur la protection de l’enfance qui avaient abouti à ouvrir sur des associations extérieures. Mais encore convient-il d’ajouter qu’il s’agissait de situations d’urgence, avec des enfants en danger, ce qui rendait la démarche moins contestable.
Et arrive la décision du conseil départemental du Maine-et-Loire…
Ce qui est inédit, c’est que le président du conseil départemental a utilisé la procédure d’appel à projets pour mettre l’ensemble des places existantes en concurrence. Avant, les autorités utilisaient cette procédure dans le cadre de création, d’extension ou de transformation de places, mais jamais pour remanier l’offre globale sur un territoire. Fin 2015, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement avait d’ailleurs reprécisé et réduit le champ des appels à projets en favorisant le recours aux contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM).
La situation est d’autant plus surprenante que l’Uriopss a été associée à la préparation du schéma départemental « enfance, famille, soutien à la parentalité 2016-2020 » et que nous partagions le diagnostic sur l’évolution de l’offre, notamment les fratries qui n’étaient pas suffisamment accompagnées. Sur cette base consensuelle, il semblait légitime que le département procède par CPOM, en dialogue avec les associations. Or, c’est la voie de la compétition entre acteurs qui a été choisie, en laissant sur le carreau cinq associations historiques du Maine-et-Loire, et en confiant un grand nombre de places à deux fondations nationales [Apprentis d’Auteuil, SOS Villages d’Enfants]. C’est un détournement de procédure.
Pour autant, comment expliquer qu’un département et des associations en arrivent au conflit dans un domaine aussi partenarial que la protection de l’enfance ?
Une rencontre a été organisée le 31 mai entre les associations et le conseil départemental. Nous l’avons interpellé sur les griefs qu’il pouvait faire aux associations. Y avait-il des problèmes de qualité ? Si oui, pourquoi n’avait-il pas utilisé les moyens légaux à sa disposition, tels que les contrôles, pour vérifier le bien fondé de la réponse des opérateurs du territoire ? Surtout, alors que le département venait de renouveler pratiquement toutes les autorisations dans le cadre des évaluations externes, pourquoi utiliser la procédure de l’appel à projets pour, au final, couper le financement des mêmes associations ?
On nous a répondu par la nécessité de rationaliser l’offre de service et par un questionnement sur la gouvernance des associations, dont le département ne savait plus si elle dépendait des administrateurs, des syndicats ou des salariés. On voit bien qu’il s’agit d’une volonté politique de reprendre la main sur les acteurs.
Faut-il parler d’une tentative de reconfigurer le tissu associatif ?
Avec la possible disparition d’associations locales et la venue de gros opérateurs à gouvernance nationale, il est certain que la présence associative citoyenne va s’amoindrir.
Après, soyons lucides. Si nous en arrivons là, c’est aussi parce que les associations n’étaient peut-être pas suffisamment politisées au sens de l’engagement dans la Cité. C’est un sujet de préoccupation pour l’Uniopss qui, depuis des années, développe un programme visant à redonner aux administrateurs leur fonction militante et tribunicienne. Les associations sont devenues trop gestionnaires.
Craignez-vous que l’exemple du Maine-et-Loire se diffuse à d’autres départements ?
Le risque est évident. Des représentants d’autres départements sont venus se renseigner sur la façon dont les élus du Maine-et-Loire avaient procédé. En Mayenne, un appel à projets assez similaire a été lancé l’année dernière, avant que le président du conseil départemental le déclare infructueux.
Les départements sont pris en ciseau entre la diminution des dotations de l’État et les besoins sociaux qui explosent. C’est particulièrement sensible dans la protection de l’enfance avec l’arrivée des mineurs non accompagnés.
L’Uniopss a relayé ses préoccupations auprès de l’Assemblée des départements de France (ADF), début juillet, qui semblait découvrir la situation. L’idée que nous défendons est celle d’une évaluation partagée de l’évolution des besoins sociaux, et d’un dialogue de gestion apaisé entre les financeurs et les acteurs de terrain.
Les recalés de l’appel à projets condamnés à l’asphyxie |
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A la suite de l’appel à projets du Maine-et-Loire, les 121 places en protection de l’enfance de l’association Arpège, installée depuis plus d’un siècle sur Angers, ont été confiées à la fondation les Apprentis d’Auteuil. L’association venait d’investir 2,5 millions d’euros dans la modernisation de ses équipements. Son président, Yves Spiesser, dénonce le refus du département de gérer les conséquences de sa décision. Pour ne pas avoir à dédommager l’association, le conseil départemental a en effet supprimé les places tout en maintenant les habilitations. « Avec ce système, ils nous asphyxient et la fermeture sera de la responsabilité de l’association. »
Un référé suspensif déposé auprès du tribunal administratif a été rejeté, le 18 juillet dernier. Dernier espoir d’Arpège, la requête sur le fond, déposée simultanément, qui devrait obliger le tribunal à se prononcer sur la légitimité de la procédure. D’ici un à deux ans… |
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