Suite de notre série d'articles sur ce qui va changer au travail en 2019. Aujourd'hui, Christian Pellet, président du cabinet d'expertise Sextant, répond à nos questions sur les évolutions auxquelles on peut s'attendre dans la gestion des ressources humaines et la conduite des relations sociales. Interview.
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Depuis le début de l'année, nous vous proposons chaque semaine un article traitant des transformations en cours et à venir du monde du travail. Après l'évolution des espaces de travail, les changements à prévoir dans la gestion des activités sociales et culturelles et le syndicalisme après le mouvement des gilets jaunes, nous abordons aujourd'hui l'évolution des pratiques RH. Peut-on espérer pour 2019 un virage social des entreprises ? L'analyse de Christian Pellet, président du cabinet Sextant, expert auprès des représentants du personnel. ► Prochain article : les changements attendus dans le monde industriel et la logistique.
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En 2019, quels vont être les principaux dossiers des DRH et quelles évolutions de pratiques constatez-vous ? |
"Un premier sujet apparaît évident, c'est la mise en place du comité social et économique, le CSE. La passage à l'instance unique ne va évidemment pas geler tous les autres projets en cours dans l'entreprise, mais il va nécessairement mobiliser beaucoup d'énergie de la part des services RH et des représentants du personnel. Une minorité d'entreprises est passée au CSE, beaucoup de négociations vont donc bientôt démarrer. Pour le moment, la mise en place du CSE se fait le plus souvent au ras des pâquerettes. Les entreprises qui cherchent à négocier des mesures innovantes sont minoritaires. C'est ce que confirme le rapport d'étape du comité d'évaluation des ordonnances Travail. Certaines essaient de mettre en place des représentants de proximité (RP), organisent des choses intéressantes sur le rôle des commissions du CSE, et ne tentent pas de réduire les droits de l'instance représentative. Mais je vois, surtout, beaucoup de négociations orientées vers une centralisation très forte du dialogue social, avec le risque de couper les élus du terrain, avec une volonté de réduire le nombre de consultations, le temps consacré au dialogue économique et la capacité de recours à expertise.

Je conseille actuellement les élus d'une PME de 500 salariés dans le sud de la France. La direction est arrivée pour la première séance de négociation avec un projet d'accord déjà finalisé, que j'imagine rédigé par des avocats, entièrement en dessous des dispositions supplétives du code du travail. Il n'y a aucune contrepartie intéressante pour les membres du CSE ou même les organisations syndicales ! Cela montre que les directions osent tout, en espérant que cela va passer. Elles misent sur la méconnaissance du droit par les élus et sur le manque de motivation.
Comment expliquer qu'un DRH propose un accord exclusivement défavorable aux moyens du CSE ? |
Il y a un tel sentiment de rapport de force favorable aux entreprises, qu'il n'y a plus de limite dans ce que les directions des ressources humaines, et surtout leurs conseils juridiques, peuvent mettre sur la table des négociations. L'idée n'est pas de construire l'architecture sociale adaptée à la réalité de l'entreprise pour mieux fonctionner, et ce, alors même que les délégués syndicaux ne sont pas hostiles à toute mesure de simplification. On est très loin de l'esprit des ordonnances Travail, tel qu'il a été vendu par le gouvernement, à savoir un dialogue social mature et responsable qui nous rapprocherait des modèles allemand ou scandinave. Les acteurs patronaux ne veulent pas aller vers ce modèle.

Mais les entreprises vont s'en mordre les doigts. Imposer un dialogue social centralisé, c'est se mettre dans l'incapacité de régler les problèmes au bon moment et au bon endroit. Je pense d'ailleurs qu'une nouvelle réforme, cette fois véritablement favorable à la représentation du personnel, va finir par s'imposer. Quand il n'y a pas de contreparties, cela créé de la désespérance. Il n'y a pas encore de prise de conscience que l'économie, c'est aussi du vivre-ensemble. Quand on voit cela, on comprend que les gilets jaunes existent...
Face au climat social tendu, qui se manifeste justement par le mouvement des gilets jaunes, peut-on espérer un virage social de la part des directions ? |
Au contraire. Le contexte économique s'annonce moins favorable en 2019 que dans les années précédentes. On va probablement assister à un retour des restructurations. Pour gérer ces transformations décidées par la direction générale, les DRH vont mobiliser tous les nouveaux outils de flexibilité du travail. On devrait commencer à voir apparaître des accords de performance collective, qui vont reposer la question de la place du syndicat dans la définition du lien qui existe entre l'entreprise et le salarié. Les salariés vont découvrir que les syndicats ont désormais le pouvoir de revoir tous les termes du contrat de travail qui s'applique à eux, sans pouvoir individuellement s'y opposer.

J'observe également une forte activité de négociation autour de la GPEC (gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences) et des ruptures conventionnelles collectives (RCC). Je pense à un récent projet d'accord d'une entreprise en difficulté dans l'e-commerce. La DRH présente aux organisations syndicales un projet d'accord, auquel il ne manque plus que les signatures, revoyant à la baisse tous les éléments du statut social et qui impose des clauses de mobilité dans un rayon de 800 km, c'est-à-dire pour toute la France ! Le danger de ce type d'accords est de soumettre les milliers de salariés de cette enseigne aux choix de la direction pour les nouvelles implantations géographiques. Et pour les salariés qui ne pourront pas suivre, ce sera Pôle emploi, sans plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Sextant expertise a donc conseillé aux organisations syndicales de ne pas signer l'accord proposé et d'inviter plutôt l'employeur à assumer ses choix et de mettre en place un PSE, qui, au moins, sera plus protecteur pour les salariés licenciés. Ce qui domine ici, c'est, encore une fois côté employeur, le syndrome "J'ai plein de nouvelles opportunités, donc j'en profite. J'essaie d'aller au plus simple et, si cela ne passe pas, tant pis, il me reste d'autres alternatives". C'est l'une des raisons du dysfonctionnement actuel du dialogue social.
Parmi les quelques mesures favorables aux salariés, il y a la prime de fin d'année du plan d'urgence économique et social. Les entreprises s'en saisissent-elles ? |
Ce n'est pas ce que je constate. C'est un effet d'aubaine comme on en a déjà eu il y a quelques années avec la prime dividendes de Nicolas Sarkozy. Les entreprises ont tout intérêt à s'y intéresser car la mesure permet de redistribuer du pouvoir d'achat à faible coût et n'engage pas pour l'avenir. Mais nos clients nous sollicitent peu pour une telle mesure, car elle n'est pas compliquée à mettre en oeuvre. En matière de rémunérations, nous accompagnons davantage les élus sur le chantier de l'égalité professionnelle.
Justement, comment les DRH vont-ils s'y prendre en 2019 avec le nouvel index de l'égalité professionnelle ? |
Au sein du cabinet, nous avons fait tourner des simulations sur les dossiers que nous suivons pour évaluer l'impact de cette nouvelle obligation légale. Notre conclusion, c'est que ce n'est pas très compliqué pour les entreprises de se retrouver avec la note minimum de 75 points, qui permet de ne pas subir de pénalité financière. Le critère de la différence de rémunérations entre hommes et femmes, qui vaut 40% de la note finale, peut très bien révéler une différence de traitement qui ne va pas nécessairement appeler des mesures correctives si des points sont obtenus ailleurs.

Or les autres critères sont beaucoup plus simples à atteindre. Nombre d'entreprises auront certainement des difficultés pour avoir le maximum de points sur le critère qui exige d'avoir au moins quatre femmes dans les dix plus hautes rémunérations, mais, là encore, ce critère ne vaut que 10% de la note de l'entreprise. Cet index ne va donc certainement pas provoquer de révolution et résorber en trois ans les inégalités. Mais la mesure reste positive, et elle participe à animer le débat de l'égalité de traitement. De notre côté, nous allons proposer aux élus de faire ce travail de contrôle de la note globale publiée par l'entreprise. Mais sur l'égalité professionnelle, d'autres enjeux existent au-delà de la rémunération. Il y a la question de la conciliation des temps de vie, qui doit intéresser les partenaires sociaux pour permettre aux femmes d'avoir autant de chances que les hommes dans le déroulement de carrière.
Cela renvoie donc à la mise en oeuvre des accords sur la qualité de vie au travail. Quelles pratiques RH voyez-vous émerger pour la QVT ? |
Les évolutions technologiques et les organisations rendent théoriquement plus facile la conciliation des temps de vie. Je pense au développement du télétravail, qui reste principalement accessible aux cadres. Mais de nombreuses entreprises gardent des organisations traditionnelles, ne font pas confiance aux salariés et se révèlent peut ouvertes à l'idée que le travail, ce n'est pas forcément pointer huit heures par jour. Sur ce point, les grandes entreprises sont en avance.

Ces dernières sont d'autant plus ouvertes que ce sont aussi elles qui mettent en place des espaces de travail où il n'y a plus de bureau affecté et moins de bureaux disponibles que de personnes employées. Il y a des synergies à négocier entre les nouveaux espaces de travail, la mise en place du télétravail, les nouveaux outils numériques et le droit à la déconnexion. Pour moi, c'est dans ces accords QVT que l'on peut véritablement créer les conditions de l'égalité professionnelle, plutôt que par de simples rattrapages de salaires.
Enfin, qu'observez-vous s'agissant de l'évolution de la structure juridique des entreprises ? |
Ce que l'on voit de plus en plus, c'est la réorganisation des sociétés autour de plateformes de services. Les groupes internationaux commandent la mise en place d'organisations juridiques qui leur permettent de localiser les résultats où ils le veulent, et de concentrer les décisions à d'autres endroits en privant les directions locales de leur pouvoir de décision. Nous sommes alors face à des structures complexes, des régimes sociaux différents, des langues de travail différentes pour les salariés. Les représentants du personnel sont quant à eux placés devant un président de CE ou CSE dépourvu de pouvoir, et les comptes eux-mêmes de l'entreprise, à cause des prix de cession internes au groupe, ne veulent plus rien dire. Ces phénomènes se sont accélérés avec les méthodes d'optimisation fiscale.

Le manque de prise de conscience par les entreprises de leur responsabilité sociale et de la limite à ne pas dépasser est préoccupant. Il y a une telle pression sur le fait de dégager toujours plus de résultat ! Ce qui m'inquiète le plus, c'est l'absence de frein dans l'avidité des employeurs, et, face à cela, des leviers de plus en plus compliqués à mobiliser de la part des représentants du personnel. Si le moyen de la démocratie sociale ne fonctionne pas, les gilets jaunes montrent l'alternative pour se faire entendre, mais est-ce vraiment comme cela que l'on construit une société ? Les organisations syndicales ont été décrédibilisées, mais les problèmes restent. Notre démocratie sociale est mal en point, et de fait notre démocratie tout court est mal en point".
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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