"Les PME gagneraient à une véritable fusion des IRP"

"Les PME gagneraient à une véritable fusion des IRP"

26.07.2017

Représentants du personnel

Le projet d'une fusion des instances représentatives du personnel (IRP) suscite beaucoup de critiques mais il a aussi ses défenseurs. David Malgrain, consultant en relations humaines et sociales auprès de PME, juge ainsi qu'il faut aller plus loin que l'actuelle DUP. A condition de prévoir davantage d'accompagnement et de formation au dialogue social dans les entreprises.

Dans le cadre de ses futures ordonnances, le gouvernement projette de fusionner les instances représentatives du personnel (comité d'entreprise, CHSCT et délégués du personnel) en une instance unique, le comité social et économique, et peut être d'y inclure par accord une compétence de négociation. Nombreux sont les représentants du personnel, les syndicalistes, les experts des IRP, consultants et chercheurs à se dire hostiles à cette évolution, qui inquiète aussi certains professionnels des ressources humaines. Tel n'est pas le cas de David Malgrain. Ce dernier, qui ne cache pas son appartenance au mouvement de la République en Marche, préside un cabinet de conseil RH, Demactive Conseil. Après avoir été lui même DRH d'une filiale de Shell (gestion d'un réseau autoroutier), il forme et conseille donc des PME en matière de relations humaines et de dialogue social. Bon nombre,, dit-il, souhaitent aller au-delà de l'actuelle délégation unique du personnel prévue par la loi Rebsamen, jugée trop formelle, et à laquelle ils préféreraient une véritable fusion des IRP. David Malgrain y est lui-même favorable, à condition, dit-il, qu'employeurs et élus soient beaucoup plus préparés à ce dialogue social global. Il s'inscrit donc à l'opposé des critiques fortes exprimées par le cercle Maurice Cohen contre le projet du gouvernement. Interview.

 

La délégation unique du personnel (DUP) rassemble déjà les IRP jusqu'à 299 salariés. Pourquoi cela ne vous semble-t-il pas suffisant ?

David Malgrain : "La nouvelle DUP "Rebsamen", qui intègre le CHSCT en plus du comité d'entreprise (CE) et des délégués du personnel (DP), apporte une amélioration par rapport à l'ancienne DUP, où les élus devaient encore désigner, par le collège des DP et du CE, les membres du CHSCT, sachant qu'il s'agissait souvent des mêmes représentants du personnel. Les employeurs que je connais apprécient qu'il y ait moins de réunions car certains constataient qu'une réunion mensuelle, c'était parfois un ordre du jour très léger. Mais cela ne reste qu'un regroupement, qu'une juxtaposition des différentes instances. Dans les faits, il me semble que les élus peuvent avoir du mal à s'approprier pleinement leur rôle, à passer d'une casquette à l'autre, du rôle d'élu CE à celui de DP en passant par celui de CHSCT, d'autant plus lorsqu'une grande partie des élus en DUP n'ont pas d'étiquette syndicale, et ne bénéficient donc pas du soutien d'une organisation syndicale. Leur formation obligatoire est ainsi trop limitée, et c'est valable aussi pour l'employeur. Avec la DUP Rebsamen, nous sommes donc restés au milieu du gué et beaucoup de PME souhaiteraient une véritable fusion des IRP. 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Est-ce aussi votre avis ?

Oui. Une véritable instance unique permettrait d'aborder les choses de façon globale, sans qu'élus et direction aient à se demander s'ils se situent dans le registre du CE du CHSCT ou des DP. En évitant l'empilement des IRP, cela favoriserait une meilleure fluidité des échanges. J'entends bien les arguments de ceux pour lesquels le découpage actuel des IRP est un séquençage utile (voir notre article). Mais je pense l'inverse : une réclamation à propos d'un problème de condition de travail pourrait permettre d'ouvrir un débat global et collégial sur la sécurité et l'organisation du travail et sur les conséquences de tel ou tel projet économique. Le débat ne serait pas différé ou fragmenté.

Mais les questions économiques ne prendraient-elles pas le pas sur les questions de conditions de travail, dans une instance unique ?

Je ne pense pas. Mais cela nécessite en effet une formation et un accompagnement bien plus importants qu'aujourd'hui de chacun des acteurs, élus comme employeur, en matière de dialogue social. Avec une instance fusionnée, l'employeur doit prendre conscience qu'il va devoir répondre dans une même réunion à des sujets de tous ordres, et cela n'a rien d'évident pour le dirigeant d'une PME. Il me semble donc indispensable, en vue du changement que constitue une fusion des instances, de renforcer la formation et l'accompagnement des acteurs de l'entreprise. Le dialogue social, cela se construit. Des employeurs peuvent avoir peur de partager l'information, de montrer leur bilan par exemple. Ils peuvent avoir des a priori négatifs sur l'intérêt d'associer leurs élus dans la réflexion sur l'avenir de l'entreprise ou ne serait-ce que leur demander leur avis avant de prendre une décision. Il faut les accompagner pour leur montrer en quoi le dialogue social renforce la collectivité de travail, en quoi la co-construction et le partage d'informations apportent un plus à l'entreprise. Cet accompagnement, qui est déjà pour partie assuré par des dispositifs initiés par les CCI, les Direccte ou les Aract (*), devrait être renforcé afin de favoriser la déconstruction des représentations bloquantes pour le dialogue social. Un tiers, validé à la fois par les élus et les employeurs, pourrait intervenir dans une entreprise où une instance vient de se créer, pour que chaque partie s'inscrive dans une logique de débat, de frottement -inévitable- utile à la co-construction, plutôt que dans une logique de combat.

Une commission spécialisée, en lieu et place d'un CHSCT, cela vous semble-t-il suffisant ?

Regardez l'égalité professionnelle F/H : sur ce sujet, une commission du CE est obligatoire à partir de 300 salariés. Cette commission permet d'associer des élus à des salariés pour effectuer un travail préparatoire utile, en amont, consistant à étudier la problématique, �� formuler des revendications ou des propositions qui seront débattues lors de la réunion de l'instance. Ce peut être la même chose, il me semble, pour les conditions de travail et la sécurité. Une commission spécialisée d'une instance unique, à laquelle les salariés pourraient être associés, permettrait d'avoir plus de remontées. Ce fonctionnement impliquerait davantage de salariés, qui seraient donc plus éclairés sur le rôle et l'utilité des élus du personnel. De façon générale, une seule instance serait de nature à favoriser une meilleure visibilité et une meilleure compréhension par les salariés du rôle de leurs représentants du personnel et des relations avec l'employeur.

Le modèle d'instance unique est-il adapté à toutes les entreprises ?

C'est une vraie question. Il faudrait permettre par accord aux grandes entreprises, qui ont souvent de multiples établissements voire de multiples activités, de conserver des instances séparées ou de leur permettre d'organiser autrement qu'en instance unique leur IRP. C'est un point que les parties prenantes, au sein des entreprises, seraient plus à même de juger comme pertinent et plus favorable, au plus près de leur réalité du terrain.

Mais les DUP conventionnelles n'ont guère eu du succès, jusqu'à présent...

Avec la loi Rebsamen, il fallait un accord pour regrouper les IRP à partir de 300 salariés. Là, la règle serait inversée : l'instance unique serait de droit, sauf accord contraire. Cela serait sûrement de nature à générer davantage d'accords.

Faut-il utiliser davantage le testing pour lutter contre les discriminations, comme l'envisage le gouvernement ? 

Le testing est à mon sens un instrument qui pousse au changement des pratiques, que ce soit en matière de discrimination liée au sexe, à l'origine, aux discriminations syndicales ou relevant d'un engagement dans un mandat d'élu du personnel. C'est donc une bonne idée, à condition de définir des modalités rigoureuses, d'établir un cahier des charges strict, et de procéder correctement au décryptage des données qui résultent du testing, en tenant compte du contexte de l'entreprise et des actions qu'elle a déjà menées".

(*) Chambres de commerce et d'industrie (CCI), directions régionales des entreprises, de la concurrence, de consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract).

Bernard Domergue
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