"Merci Patron !" : le mécène, ses féaux et ses manants

"Merci Patron !" : le mécène, ses féaux et ses manants

18.03.2016

Représentants du personnel

"Merci Patron !", le film de François Ruffin, raconte comment, de façon rocambolesque, une famille nordiste, au bord du gouffre depuis que le père a été licencié par une filiale de LVMH, va obtenir de Bernard Arnault des dommages et intérêts et même un nouveau travail. C'est un film drôle mais où l'on rit jaune parfois, tant le paysage social apparaît dévasté, estime, dans cette tribune, l'économiste Jacky Fayolle.

La Fondation Vuitton, portée par le président de LVMH Bernard Arnault et superbement habillée par Frank Gehry dans le bois de Boulogne, à Paris, est un lieu d’art contemporain, qui dispose de beaux espaces, conçus aussi bien pour des fresques monumentales que pour des vidéos plus intimistes. On pouvait y voir, l’été dernier, un triptyque pop des artistes Gilbert & George, que la Fondation présentait ainsi (par un tweet du 23 juin 2015) : "Manifeste pour une épopée moderne, le triptyque Class War, Militant, Gateway (1986) est leur première œuvre monumentale. L’œuvre (NDLR : voir l'image ci-dessous) illustre l’aventure de l’individu, depuis son appartenance à une communauté jusqu’à la réalisation d’une conscience personnelle. Comme dans la plupart de leurs œuvres, les images sont présentées en une frise, où dominent le rouge, le blanc et le bleu. Le bâton, symbole central de cette composition, est le signe d’une dignité difficile à conquérir".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Jacky Fayolle

Il n’est pas sûr pour autant que Bernard Arnault et LVMH apprécient vraiment la performance que constitue le film de François Ruffin, "Merci Patron ! ", sorti le 24 février (NDLR : voir ici la bande annonce du film). Ce journaliste activiste (et mini-actionnaire de LVMH par dévouement militant) s’y transforme, caméra à la main ou habilement dissimulée, en coach, pour le moins directif, d’une famille nordiste (le père, la mère, le fils), au bord du gouffre, en chute financière libre depuis le licenciement du père d’une filiale textile du groupe LVMH, et désormais à deux doigts de voir saisir sa maison. François Ruffin va construire avec eux un scénario improbable, quelque part entre l’intox et l’arnaque (l’affiche du film s’en réclame comme d’une version de la lutte des classes), afin d’arracher de LVMH et de Bernard Arnault, empêtré dans son impopulaire tentative de migration fiscale en Belgique, un dédommagement leur permettant de faire face à une échéance financière sinon fatale et, au surplus, un emploi en CDI pour le père. 

A l'absence de considération sociale envers les dominés répond l'absence de scrupule envers les dominants

Le staff directorial et les services de sécurité de LVMH, pourtant richement dotés en personnalités publiques et expérimentées, s’y laisseront prendre. L’ex-commissaire de police qui vient benoîtement dans le salon de la famille pour négocier son silence tombe sur plus matois que lui, même s’il joue le coup du langage populo pour tenter une complicité. François Ruffin dispose, avec son équipe du journal Fakir, de techniciens avertis et la machination cinématographique est exemplaire. Les manants, avec l’aide du justicier déguisé, ont roulé le maître et ses féaux dans la farine.

Le procédé qui fonde le film et le rend jouissif, parfois hilarant, pour le spectateur n’est sûrement pas loyal, il a quelque chose de la loi du talion : à l’absence de considération sociale envers les dominés répond l’absence de scrupule envers les dominants. De Günther Walraff à Michael Moore, le journalisme activiste a ses références, pour réveiller, par l’intrusion incongrue, les scandales amortis. Le film entretient une résonance avec la sociologie de Bourdieu, tangible dans son montage : aux élégances des "journées particulières" de LVMH et des défilés de haute couture s’opposent les habitus domestiques d’une famille ouvrière, dotée, en dépit de sa situation difficile, d’un solide appétit de vivre. Le film échappe à la démonstration pesante par un humour qui cultive le comique de situation.

 Un regard blessé et rageur sur ce nord économiquement et socialement dévasté

Pourtant, le rire est jaune, parfois. Le film est aussi un regard blessé et rageur sur ce nord économiquement et socialement dévasté, ses anciens syndicalistes dispersés, avec toutes les conséquences que l’on sait. Beau courage symbolique de cette déléguée CGT reconvertie en ambulancière. François Ruffin a beau jeu de faire semblant de croire au dialogue social et de jouer les réconciliateurs : la direction de LVMH ne s’y prête guère, car elle est à cent lieues des problèmes avec lesquels bataillent ses licenciés. Il y a quelque chose du XIXeme siècle dans la manière dont LVMH envoie son homme de sécurité (on n’ose pas dire son homme de main) marchander avec la famille, sur un mode paternaliste et condescendant, faussement complice. S’il s’agissait d’une petite entreprise quelconque… mais LVMH est un fleuron du capitalisme français. Il y a des habitus patronaux qui restent à des années-lumière d’une ambition sérieuse de responsabilité sociale.

Dans une strophe finale, Bernard Arnault, filmé devant l’assemblée des actionnaires de son groupe, s’emporte, avec componction néanmoins, à propos des "révolutionnaires" qui menacent de la perturber. Pourtant, des révolutionnaires, il en expose dans sa Fondation. L’art, surtout contemporain, devrait plus être mauvaise conscience qu’alibi. La performance de François Ruffin y a en tout cas sa place, côté peuple sinon pop.

NDLR : L'économiste Jacky Fayolle a dirigé l'IRES (institut de recherche économiques et sociales) ainsi que le centre d'études et prospectives du groupe Alpha

Jacky Fayolle
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