"Nous allons assister à un tournant dans la gestion des activités sociales et culturelles"

"Nous allons assister à un tournant dans la gestion des activités sociales et culturelles"

17.01.2019

Représentants du personnel

Suite de notre série sur ce qui va changer au travail en 2019. Aujourd'hui, Zaïneb Denden, formatrice au sein du réseau interCE Cezam des Pays-de-la-Loire, répond à nos questions sur le changement auquel on peut s'attendre dans la gestion des activités sociales du fait de la mise en place du comité social et économique (CSE), mais aussi de la problèmatique du pouvoir d'achat remise sur le devant de la scène par les gilets jaunes.

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                   actuEL                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

Qu'est-ce qui va changer en profondeur dans le monde du travail en 2019, avons-nous demandé, en ce début d'année, à des acteurs et observateurs attentifs du monde de l'entreprise et de la représentation du personnel. Après l'évolution des espaces de travail, nous abordons aujourd'hui la gestion des activités sociales et culturelles : va-t-elle changer du fait du passage du CE au CSE ? Les analyses ci-dessous de Zaïneb Denden, formatrice au sein du réseau interCE Cezam des Pays-de-la-Loire.

► Prochain article : la négociation collective après les gilets jaunes

 

Vous avez un bon poste d'observation pour voir et analyser ce qui change dans le milieu des comités d'entreprise puisque vous formez les élus du personnel...

"En effet, je suis formatrice au sein du réseau interCE Cezam de la région Pays-de-la-Loire depuis 2012 et je suis basée à Nantes. Je forme des élus du personnel, dans des entreprises qui sont plutôt de taille moyenne (autour de 300 salariés), sur l'ensemble des thématiques que nous traitons (mise en place d'un règlement intérieur, gestion de trésorerie, etc.) et je les accompagne également pour les projets qui concernent les activités sociales et culturelles (ASC). Sur ce point, j'essaie d'aider les élus à mieux comprendre leur mission et à structurer leurs activités sociales et culturelles avec des choix cohérents plutôt que de proposer un tas d'activités qui vont plus ou moins marcher mais qui ne correspondront pas à un sens global voulu par le CE ou le CSE. Pour dégager le sens global à donner à ces activités, il faut en revenir aux valeurs collectives, et cela va de pair avec une bonne connaissance des salariés et ayants-droits.

 

Justement, quelles évolutions, dans la gestion des activités sociales et culturelles, va engendrer le passage du CE au CSE ? 

Je serai prudente. Nous sommes encore au tout début de la mise en place des CSE dans les entreprises. Nous n'avons pas encore observé de conséquences concrètes qui découlent de ce passage, car nous les verrons plutôt en 2020 et 2021. Mais mon ressenti, à partir des contacts que j'ai avec les élus du personnel sur le terrain, me fait penser que nous allons assister à un tournant. Et pas dans le sens que nous aurions souhaité en tant que professionnel au service des CE et CSE...

 

Quel tournant voyez-vous arriver ?

Le changement va résulter de la réduction prévisible des moyens des instances, à commencer par le nombre d'élus, et de la concentration du CSE sur ses prérogatives économiques, d'autant que les ordonnances accroissent fortement le champ de la négociation collective dans l'entreprise.

Les élus auront moins de temps à consacrer aux activités sociales et culturelles

 

Les élus du personnel vont devoir consacrer plus de temps à ces questions, et ils en auront moins pour lancer et gérer des activités sociales et culturelles (ASC). On peut s'attendre à davantage de sous-traitance de ces activités par les CE-CSE, à des formes d'abonnement et de services clés en main : le salarié se débrouillera seul pour accéder à son billet de cinéma ou de loisirs via un site, et sans être passé par un élu du personnel. Le risque que peuvent faire courir ces pratiques, c'est que le salarié n'identifie plus d'où vient l'activité ou l'abondement qui lui est proposé. Déjà que certaines entreprises font des avantages du CE/CSE un argument dans les entretiens d'embauche...Le CE doit donc soigner sa communication, expliquer sa politique d'ASC, et être identifié, soit par un logo -différent de l'entreprise- soit par un code couleurs par exemple. L'autre évolution que je vois pour 2019 devrait résulter de la question du pouvoir d'achat qui a accaparé l'espace public depuis la fin 2018.

 

Voulez-vous dire que le mouvement des gilets jaunes aura donc des conséquences sur les choix des ASC ?

Avant les gilets jaunes, les élus étaient déjà confrontés à la pression des salariés désireux d'avoir davantage de pouvoir d'achat via les prestations du comité.

Le mouvement des gilets jaunes va renforcer la demande de pouvoir d'achat auprès des comités

 

Mais ce mouvement a mis ce thème au devant de l'actualité et cela va encore accentuer la revendication des salariés auprès des comités. Quand je suis confronté aux élus qui ne savent pas comment répondre à ces demandes, je les replace face aux missions du CE et du CSE : votre rôle est-il de donner du pouvoir d'achat ? N'est-ce pas plutôt un problème de salaire insuffisant qui concerne d'abord l'employeur ?

 

Mais les problèmes de pouvoir d'achat sont tout de même une réalité difficile à nier pour des élus, non ?

Bien sûr, les difficultés de nombreuses familles à boucler leur budget sont réelles. Mais quand bien même les élus rentreraient dans cette logique en distribuant des bons d'achat supplémentaires, ils ne pourront jamais satisfaire le manque dénoncé par les salariés, car les CE ou CSE ne sont pas si riches ! Le budget des activités sociales et culturelles est variable selon les entreprises mais rares sont les sociétés, du fait d'une convention collective de branche par exemple, qui disposent de 0,8% à 1,5% de la masse salariale. Dans notre région, nous voyons surtout des budgets qui tournent entre 0,2% et 0,4% de la masse salariale.

 

Que répondez-vous à ces élus pris à témoin par les salariés ?

Je dis aux élus des CE-CSE qu'ils doivent rester des acteurs dans l'entreprise. Si ce problème de pouvoir d'achat existe, ils doivent en comprendre les raisons. Analyser tout d'abord la situation économique de l'entreprise : justifie-t-elle une absence d'augmentation ou non ?

N'oublions pas que l'augmentation des salaires relève de l'employeur !

 

Avec l'analyse des comptes et le bilan social, les élus disposent des éléments pour comprendre la situation, et chercher à la faire évoluer en négociant avec l'employeur, mais aussi pour répondre sur le fond aux salariés. Les élus peuvent expliquer quelle est la situation réelle de l'entreprise sur le plan comptable et dire, si tel est le cas, que c'est l'employeur qui refuse d'augmenter les salaires alors qu'il pourrait le faire. La communication est très importante pour les CE-CSE : les élus doivent être en mesure de donner des repères aux salariés, de leur dire : "Notre comité et nos délégués ont joué leur rôle, mais nous nous heurtons au refus de l'employeur". Par ailleurs, c'est aux élus de tenir leur rôle en matière d'ASC.

 

Comment peuvent-ils, selon vous, tenir ce rôle ?

En se positionnant comme des acteurs de la culture et des loisirs au sein de l'entreprise. Il s'agit par exemple de permettre à des salariés de bénéficier d'activités culturelles auxquelles ils n'auraient pas accès ou auxquelles ils ne penseraient pas. Cela n'implique pas seulement une aide financière, mais aussi des informations. Par exemple, le CE ou CSE peut délivrer des bons plans sur des expos ou musées ou spectacles de théâtre dont il est possible de négocier des tarifs de groupe. Les résultats sont parfois étonnants. Je pense à un comité inter-entreprises, dont les salariés sont manutentionnaires, qui a organisé une soirée opérette en abondant beaucoup, afin que les billets soient très accessibles (moins de 10€). Beaucoup de salariés y sont allés, et souvent c'était la première fois qu'ils assistaient à ce type de spectacle.

 

Mais les sorties collectives n'ont guère le vent en poupe...

Les élus me disent souvent, en effet, que s'ils font des activités collectives, ils n'auront personne. Mais il faut changer notre façon de voir : il n'est plus possible de remplir des cars comme auparavant ! Faire du collectif, ça peut vouloir dire faire sortir 10 salariés sur telle activité, 20 sur telle autre. Ce qui compte au total, c'est qu'une large partie de l'effectif soit concerné. Si le CE/CSE a fait sortir 50% des salariés, c'est déjà très bien.

 

Comment assurer une cohérence dans la gestion de ces activités sociales et culturelles ?

Déjà, il faut bien connaître les salariés, être au fait de la typologie sociale de son entreprise : combien d'hommes et de femmes, quelles catégories socio-professionnelles, quel âge, quelle situation familiale (enfants ou pas), etc. Ces facteurs jouent en effet sur les pratiques des loisirs. Il vous faut évaluer quelles sont les pratiques extérieures de loisirs et de culture des salariés : font-ils du sport, vont-ils à des spectacles, etc., faut-il subventionner ces pratiques ou en proposer d'autres car les salariés n'ont pas spontanément des pratiques culturelles ?

Un CE ou CSE a intérêt de bien connaître les salariés et leurs pratiques culturelles et de loisirs

 

Nous aidons parfois les équipes d'élus à mettre en place des enquêtes pour connaître ces pratiques extérieures, et non pas des enquêtes pour leur demander quels sont leurs souhaits, car là, il y a toutes les chances qu'ils multiplient les demandes et que les élus ne puissent pas les satisfaire. Une fois ces éléments rassemblés, l'équipe d'élus peut commencer à réfléchir à l'élaboration d'une politique des ASC avec des choix affirmés et des objectifs précis : voulons-nous faire de l'équité, de la proximité, du collectif, rendre les ASC plus accessible, etc. ? Il faut se donner un objectif annuel correspondant à ces valeurs et évaluer ensuite sa réalisation pour voir ce qu'il faut garder et ce qu'il faut modifier. A cet égard, le passage au CSE peut constituer une opportunité...

 

Pour quelles raisons le passage du CE au CSE représenterait selon vous une opportunité ?

Je ne sous-estime pas les difficultés que cela représente, comme je l'ai dit avant. Mais le fait de devoir obligatoirement passer en CSE peut aussi constituer une opportunité pour se poser la question de la politique du comité sur les activités sociales et culturelles, et d'apporter des changements.

C'est l'occasion de réfléchir à une évolution des ASC !

 

Pour cette réflexion, les élus du CSE peuvent aussi associer les représentants de proximité qui, lorsqu'ils existent dans des sites dispersés, ont parfois un rôle de relais dans la distribution des activités, mais aussi associer les salariés, par exemple pour rechercher des activités locales intéressantes. 

 

Voyez-vous revenir en 2019 la question de la taxation des ASC ?

C'est un sujet récurrent, et l'on peut craindre que cela revienne, en effet. Raison de plus pour les CE/CSE de ne pas se contenter d'une simple redistribution mais d'avoir une politique d'activités fondée sur des valeurs collectives".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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