Pour le président du conseil des prud'hommes de Lyon, Bernard Augier, ancien représentant CGT au conseil supérieur de la prud'homie, les propositions du ministère de la Justice sur l'organisation des conseils de prud'hommes pour 2022 entraîneraient un éloignement des lieux de justice pour les salariés, avec le risque de fermeture de petits conseils. Voici son point de vue.
Le ministère de laJustice dans le cadre d’un groupe de travail vient de faire des propositions concernant l’organisation des conseils de prud’hommes pour 2022, date du renouvellement des conseillers (1). La Garde des Sceaux privilégierait la piste entérinant le regroupement des sections Encadrement et Agriculture de faible contentieux, dans les conseils de prud'hommes (CPH) plus importants, ce qui se traduirait par un éloignement des lieux de justice pour les cadres, en augmentant de manière démesurée le nombre de conseillers dans les CPH les plus importants, sans tenir compte de la réalité du contentieux.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Par exemple, dans le Rhône, cela se traduirait par la suppression de la section encadrement et agriculture du CPH de Villefranche, en rattachant le contentieux à Lyon, et en augmentant de manière artificielle le nombre de conseillers à Lyon le faisant passer de 282 à 438 conseillers. Si la qualité de la justice prud’homale en souffrirait, comment aujourd’hui accueillir autant de conseillers si les moyens matériels et humains ne sont pas en concordance, que ce soit en locaux mais surtout en personnel, ou la pénurie est générale, des audiences sont supprimées, des jugements attendent d’être envoyés aux parties : à Lyon, 442 jugements sont en attente faute de personnel !
Cela va à l’encontre d’une bonne justice, car aujourd’hui, la baisse organisée du contentieux (requête obligatoire pour saisir le CPH, ordonnances Macron avec le barème d'indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieus, délai de prescription) a déjà comme conséquence une participation moindre des conseillers, mais demain, les conseillers ne siégeraient plus qu’une à deux fois dans l’année, ce qui serait contraire à l’acquisition de connaissances et d’expérience, et ne réduirait pas les délais, sans moyens supplémentaires.
Cette vision technocratique du ministère de la Justice est complètement coupée de la réalité des conseils de prud’hommes, sauf à poursuivre un autre but, bien loin d’une justice de qualité efficace et rapide, celui de la suppression des "petits" CPH, et donc l’éloignement des lieux de justice pour des milliers de salariés, dans la continuité des mesures prises par le gouvernement, revendiquées comme telles par la ministre du Travail qui se félicite de la baisse du contentieux afin de donner aux entreprises plus de lisibilité pour pouvoir licencier sans risque. Ainsi, au plan national, au mépris de l’accès à la justice, avec l’instauration de la requête obligatoire pour saisir le conseil de prud’hommes (avec un document de 10 pages !), et la rupture conventionnelle qui reste une machine à fabriquer des chômeurs, le contentieux est passé de 180 000 en 2015 à 144 000 en 2016, et il est annoncé à moins de 120 000 en 2019, alors que les salariés continuent d’être licenciés !

Le rapport d’Evelyne Serverin, qui analyse les décisions de justice prud’homale de 2004 à 2018 (2), constate que la part de l’aide juridictionnelle qui permet aux plus faibles économiquement de saisir la justice, décroît de 10% entre 2008 et 2013, et de 7,8% en 2018, ce qui représente 1 justiciable sur 10 en 2018 ! Comment encore pouvoir saisir la justice dans de telles conditions ? En réalité, cette fermeture annoncée de sections, et cette augmentation des effectifs de conseillers dans les conseils de prud’homme les plus importants d’un département, préparent pour l’avenir la fermeture des "petits conseils", en regroupant le contentieux dans les plus gros, mais sans donner de moyens, et en organisant un dépérissement de l’activité des conseillers, et donc un déficit d’expérience.
Il faut aussi constater que depuis la fin de l’élection au profit de la désignation des conseillers en 2018, 450 postes ne sont pas pourvus dans les CPH sur le territoire, 3 conseils de prud’hommes et de nombreuses sections ne fonctionnent plus, faute de conseillers. L’élection des conseillers avait ses imperfections mais elle permettait, non seulement que tous les salariés soient directement concernés par l’élection de leurs juges, mais surtout de motiver et susciter des candidatures pour cette fonction régalienne de juger.

Pour autant, en fonction de l’activité économique, la nécessité de rééquilibrer les effectifs par sections est réelle, mais ni dans la suppression de sections, ni dans la disproportion démesurée proposée par le ministère de la Justice il n'est vraiment question de cela. Cette politique poursuit d’autres buts : faire des économies, et préparer une autre carte judiciaire. Il est urgent que de véritables moyens, nécessaires au regard de la réalité et de l’efficacité des conseillers, soient donnés aux conseil de prud’hommes, et que tombent les obstacles empêchant les salariés de saisir leur juge : abrogation du barème limitant les dommages et intérêts, abrogation de la requête, développement de l’aide juridictionnelle, qui sont autant de freins à une réparation adéquate de la conséquence d’une politique tournée vers les entreprises au détriment de l’emploi des millions de salariés.
Nous ne laisserons pas le ministère de la Justice en complicité avec celui du Travail liquider la justice du travail laissant les salariés seuls face à l’injustice patronale. C’est tout le sens de notre refus et de notre opposition farouche à ces propositions, pour s’opposer à la liquidation de la justice du travail.
(1) Ndlr : ce document fait suite à 5 réunions de travail lancées à l'initiative du ministère de la Justice, lequel dément toute volonté de fermer des conseils prud'hommes, son but étant de mieux équilibrer la répartition des effectifs selon l'activité des conseils et sections (lire notre brève dans cette même édition). A ce sujet, lire la réaction des magistrats et la réponse de la Garde des Sceaux
(2) "Les affaires prud’homales de 2004 à 2018", par Evelyne Serverin, ministère de la Justice.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.