"Se hisser à la hauteur des tout-petits en protection de l’enfance"

"Se hisser à la hauteur des tout-petits en protection de l’enfance"

11.03.2019

Action sociale

L’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) vient de publier un rapport sur la prise en charge des enfants de moins de six ans qui met l’accent sur les besoins spécifiques des tout petits, la nécessité d’y former les professionnels et d’inviter les politiques et les institutions à en tenir compte. Une de ses autrices, Anne Oui, en évoque les grandes lignes.

TSA : Vous avez intitulé votre rapport « Penser petit » [1]. Comment entendre cette expression ?

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Anne Oui : Penser petit, c’est se mettre à la hauteur des enfants placés pour observer et comprendre ce qu’ils ressentent. C’est essentiel, et c’est pourquoi nous avons mis en exergue une citation de Janus Korczak qui parle « de nous élever jusqu’à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser ». Cela vaut tant pour les praticiens qui les prennent en charge que pour les politiques et les institutions.

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S’il faut le rappeler, c’est que cela reste difficile ?

En effet, se mettre à hauteur d’enfant, être attentif à ce qui est vraiment nécessaire pour eux, n’est pas simple pour les adultes. D’abord parce qu’on est adulto-centrés et parce que les petits enfants confiés ont des besoins spécifiques comme le souligne la conférence de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance. Nous avons essayé de montrer comment ils se déclinent pour la petite enfance, à partir des expériences de terrain que nous avons observées. Je pense par exemple à un service de placement familial qui avait tenu à monter une équipe dédiée à la petite enfance. Ou à la pouponnière Ermitage qui a des pratiques très réfléchies pour assurer des soins personnalisés avec des personnes de référence, et pour construire un sentiment de continuité pour l’enfant via l’organisation de l’équipe. Ou encore à trois services d’accueils de jour qui accueillaient des petits enfants placés et leur(s) parent(s), soit ensemble, soit sur des temps séparés.

Le point commun à toutes ces expériences est une grande réflexivité sur les pratiques : bien sûr, le travail des professionnels s’assoit sur un socle de connaissances, mais cela n’aboutit pas à des manières d’agir systématiques, les équipes se questionnent à chaque fois sur ce qui se passe spécifiquement pour un enfant donné et adaptent leur façon de faire.

Vous mettez beaucoup l’accent sur la formation dans le rapport. Est-elle insuffisante ?

Je ne dirais pas cela, mais plutôt qu’on a repéré des points de vigilance. Il est très important en effet que les structures aient des professionnels qualifiés en petite enfance, or ce n’est pas toujours le cas. Les maisons d’enfants à caractère social (Mecs) par exemple emploient en majorité des éducateurs spécialisés, qui n’ont pas toujours reçu de qualification particulière sur le jeune enfant. Par ailleurs, travailler avec les jeunes enfants nécessite de comprendre leur langage. Or comme l’a souligné l’anthropologue Elsa Zotian [2] dans un rapport de recherche très intéressant, la non-parole des jeunes enfants – qu’ils soient trop petits pour avoir accès au langage, ou qu’ils présentent des retards et blocages à cet effet – met les professionnels dans une grande incertitude. Y faire face nécessite une observation et une interprétation des indicateurs non verbaux par les professionnels, pas seuls mais à plusieurs.

À cela doit s’ajouter un travail de réflexivité sur leur propre pratique et sur ses effets sur les enfants, comme le disait Sylviane Giampino dans un récent rapport, c’est-à-dire un travail pour « comprendre l’impact sur l’autre et sur soi de ce qui est fait et de ce qui est dit ». Or tout cela implique de se former.

De quelle façon appréhender la formation des assistants familiaux ?

Ils doivent eux aussi être formés aux besoins spécifiques des enfants. Mais nous avons également repéré, concernant le placement familial, un besoin que nous avons qualifié de formation-accompagnement. Les assistants familiaux doivent développer leur sensibilité aux besoins d’attachement des enfants placés. Ces derniers peuvent être difficiles à apaiser, avoir du mal à tirer profit d’un maternage positif, ce qui est déstabilisant pour ceux qui s’en occupent. Certaines familles finissent par ne plus supporter leurs manifestations de mal-être.

Deux services que nous avons rencontrés ont perçu que cette incompréhension des assistants familiaux autour de la question des troubles de l’attachement était source de ruptures de placement pour de petits enfants, ruptures qui présagent mal de la suite. Ils ont développé une formation-accompagnement pour aider les assistantes familiales à répondre de manière plus sensible aux besoins d’attachement des jeunes enfants. C’est essentiel à la fois pour éviter de telles ruptures et parce qu’on a des problèmes de recrutement des familles d’accueil.

Parmi les préconisations, vous émettez des réserves pour le placement à domicile des plus jeunes. Est-ce à éviter ?

Nous disons qu’il est nécessaire d’être très prudent sur cette pratique. Nous n’avons pas visité – mais notre regard ne prétend pas être exhaustif – de service de placement éducatif à domicile (PEAD) dédié aux jeunes enfants et nous avons eu des retours de services soulignant leurs difficultés dans l’accueil de jeunes enfants ayant fait l’objet d’un PEAD. Donc si de tels services doivent être créés et ouverts aux jeunes enfants, ils doivent fournir des garanties extrêmement fortes en termes de sécurité pour les enfants. Cela suppose d’être très formé sur les besoins spécifiques des enfants, pour ne pas les exposer à des négligences prolongées et à des conditions de vie qui risquent d’être très péjoratives pour leur avenir. La question de l’indication y est donc très importante. En outre, ce type de dispositif a été inventé à la base pour des enfants plus grands, capables d’exprimer que ça ne va pas mieux pour eux à la maison. Avec les petits, ça nous paraît plus compliqué.

Vous revenez également sur la question de la santé…

Oui, nous insistons à nouveau sur le partenariat nécessaire avec le secteur de la santé. Les jeunes enfants placés présentent un état de santé qui nécessite une prise en charge médicale spécifique. À Mulhouse, une pédiatre que nous avons rencontré disait qu’elle ne s’était pas attendue à voir des enfants avec des problématiques de santé si impressionnantes. La pédopsychiatre Rosa Mascaro, qui a créé le dispositif Le fil d’Ariane, nous a quant à elle alertés sur les manifestations corporelles de tout petits enfants, par exemple de bébés qui n’ont pas été portés de manière suffisamment contenante, et qui n’arrivent pas à se retourner. D’où l’importance de développer dans les équipes des compétences en psychomotricité.

Votre rapport se veut rassembleur : il valorise toutes les approches utiles à la prise en charge des enfants, par-delà les querelles de chapelles.

Oui, nous souhaitions rappeler tous les champs de compétences disponibles et nécessaires pour les professionnels intervenant dans ce champ. Nous avons donc identifié quatre axes de connaissances disponibles : l’apport des approches développementales ; l’apport des théories sur les liens interpersonnels ; l’apport des neurosciences dans la compréhension des besoins de l’enfant et de l’impact des traumatismes précoces ; et enfin la connaissance produite sur les signes de souffrance du jeune enfant et sur ses réactions à la séparation. Nous renvoyons aussi, en bibliographie, vers de nombreuses ressources disponibles en ligne et vers des fiches détaillant les pratiques des structures que nous avons rencontrées. En espérant que cela bénéficie au plus grand nombre.

 

[1] "Penser petit. Des politiques et des pratiques au service des enfants de moins de 6 ans confiés". Rapport d’étude coordonné par Anne Oui, chargée de mission, Émilie Cole et Louise Genest, chargées d’études. ONPE, mars 2019.

[2] Zotian E. Les professionnels face aux modes d’expression des jeunes enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance. Rapport final, juillet 2017.

Propos recueillis par Laetitia Darmon
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