[2/8] Les deux mesures pour booster le partage de la valeur dans les entreprises atteignant un certain niveau de bénéfice

03.12.2023

Représentants du personnel

Nous poursuivons notre série d'articles analysant la loi sur le partage de la valeur. Aujourd'hui : focus sur les deux mesures visant à pousser les entreprises les plus "profitables" à mettre en place un dispositif de partage de la valeur. L'une, pérenne, impose aux entreprises de 50 salariés et plus une obligation de négocier. L'autre, temporaire, est plus contraignante : elle s'impose aux entreprises de plus petite taille.

Ces mesures reposent toutes deux sur la notion de bénéfice net fiscal (BNF). 

Le bénéfice fiscal à retenir ici est le bénéfice réalisé en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer, tel qu'il est retenu pour le calcul de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu. Il constitue la base du calcul de la réserve spéciale de participation en cas d’option pour la formule légale de droit commun. Il est diminué de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu correspondant (bénéfice net).

Une négociation en cas d'augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal dans les entreprises de 50 salariés et plus

Dans les entreprises dotées d’au moins un délégué syndical et soumises à l’obligation de mettre en place un régime de participation, la loi impose de négocier sur les conséquences d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal s’agissant du partage de la valeur (art. 8).

► Pour rappel, les entreprises soumises à l'obligation de mettre en place un régime de participation sont principalement celles occupant 50 salariés et plus. En toute logique, cette obligation de négociation devrait également s'imposer aux UES (unités économiques et sociales) de 50 salariés et plus, elles aussi soumises à l'obligation de mettre en place un régime de participation. Un éclairage de l'administration sur ce point serait bienvenu.

Le contexte de reprise économique et d'inflation forte actuel se révèle particulièrement favorable à certains secteurs. La question du partage de la valeur, notamment en cas de "bénéfices exceptionnels", est donc fort logiquement revenu sur le devant de la scène dans l'Accord national interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023 sur le partage de la valeur au sein de l'entreprise. La notion d'un "bénéfice exceptionnel" étant toutefois complexe et peu consensuelle, le législateur lui a préféré la notion "d'augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal".

Il s'agit d'une disposition pérenne consacrée dans le code du travail (C. trav., art. L. 3346-1 nouv.).

La même disposition a été introduite dans le projet de loi de finances pour 2024. En toute logique, elle devrait être finalement retirée de ce projet.

Contenu de la négociation

Concrètement, les négociations portant sur l’intéressement et la participation doivent également porter sur l’insertion d’une clause spécifique dont l’objet est de définir ce qu’il convient d’entendre par "augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal de l’entreprise" et fixer les modalités de partage de la valeur en découlant.

La définition de cette augmentation exceptionnelle doit prendre en compte des critères tels que :

  • la taille de l’entreprise ;
  • le secteur d’activité ;
  • les bénéfices réalisés lors des années précédentes ;
  • les événements exceptionnels externes à l’entreprise intervenus avant la réalisation du bénéfice net ;
  • la survenance d’une ou plusieurs opérations de rachat d’actions suivie de leur annulation dès lors que ces opérations n’ont pas été précédées d’attributions gratuites d’actions (AGA) aux salariés.

Le bénéfice net fiscal a été défini ci-avant.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Nature des engagements à prendre en termes de partage de la valeur

Concrètement, les modalités de partage de la valeur peuvent être mises en œuvre par :

  • l’ouverture d’une nouvelle négociation ayant pour objet la mise en place d’un accord de participation ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation ayant pour objet le versement d’un supplément de participation ;
  • le versement direct d’un supplément de participation ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation ayant pour objet la mise en place d’un accord d’intéressement ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation ayant pour objet le versement d’un supplément d’intéressement s'il existe un accord d'intéressement ;
  • le versement direct d’un supplément d’intéressement ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation relative à l’octroi d’un abondement patronal à un PEE/PEI, à un Perco/Perco-I, à un PEREC ou un PERE regroupé (*) ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation sur la distribution d’une prime de partage de la valeur.

Le partage de la valeur peut donc se traduire soit par le versement d'une somme (supplément d'intéressement ou de participation) soit par l'ouverture de négociations. Si la seconde option est préférée, il ne s’agit que d’une obligation de moyen. Les négociations n’ont pas toujours vocation à aboutir à la conclusion d’un accord.

Ouverture des négociations : à quelle date ?

Quant à l’ouverture des négociations sur les conséquences d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal, deux situations doivent être distinguées :

- si l’entreprise ne dispose pas d’un dispositif d’intéressement ou de participation, elle doit négocier sur le partage de la valeur au moment de la négociation sur la mise en place de la participation obligatoire (et, éventuellement, d’un dispositif d’intéressement) ;

- si l’entreprise dispose, au 29 novembre 2023, d’un dispositif d’intéressement ou de participation, elle a jusqu’au 30 juin 2024 pour ouvrir des négociations sur le partage de la valeur, à moins :

  • d’être pourvue d’un accord de participation ou d’intéressement comportant déjà une clause spécifique prenant en compte l'augmentation exceptionnelle du bénéfice fiscal ;
  • d’être pourvue d’un accord de participation comportant une base de calcul conduisant à un résultat plus favorable aux salariés que la formule légale de calcul de la réserve spéciale de participation.

Dans ces deux dernières situations, l'entreprise n'a pas à ouvrir de négociation.

Les entreprises disposant d’un dispositif de participation et/ou d’intéressement disposent donc d’environ 7 mois pour modifier leur(s) accord(s) afin d’y intégrer cette clause spécifique. Les autres ne devront pas oublier de prévoir cette clause dans leurs accords à venir.

Une obligation de se doter d'un outil de partage de la valeur dans les entreprises de 11 à moins de 50 salariés réalisant un BNF au moins égal à 1 % de leur CA
Une obligation, fruit d'une politique d'incitations infructueuse

Afin de favoriser le développement des outils de partage de la valeur dans les petites et moyennes entreprises, plusieurs mesures de simplification et d'incitation ont été mises en œuvre ces dernières années (exemples : exonération du forfait social sur la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés et sur l'intéressement dans les entreprises de moins de 250 salariés, application simplifiée d'un accord de participation volontaire de branche ou d'un accord d'intéressement de branche dans les entreprises de moins de 50 salariés, possibilité de mettre en place un accord d'intéressement par DUE dans les entreprises de moins de 11 salariés).

Malgré ces efforts, les dispositifs de partage de la valeur peinent à se diffuser dans les entreprises de moins de 50 salariés. Ils sont jugés trop complexes à mettre en œuvre pour des entreprises non dotées de services financiers et de ressources humaines conséquents. Seule la prime de partage de la valeur, plus facile à mettre en œuvre, suscite l'intérêt de ces entreprises.

Pour une diffusion plus large de ces dispositifs au sein des PME, les partenaires sociaux de l'ANI ont souhaité changer de méthode : ils ont décidé d'imposer, à titre expérimental, aux entreprises de 11 à 49 salariés de mettre en place au moins un dispositif lorsqu'elles sont profitables. Une mesure transposée dans la loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 (art. 5).

Une obligation expérimentale s'imposant aux entreprises de 11 à moins de 50 salariés les plus profitables

Concrètement, à compter du 29 novembre 2023 et à titre expérimental (durée de 5 ans), les entreprises de 11 à moins de 50 salariés (qui ne sont donc pas tenues de mettre en place un régime de participation), constituées sous forme de société (hors certaines sociétés anonymes à participation ouvrière - voir remarque ci-après), qui ont réalisé un bénéfice net fiscal au moins égal à 1 % de leur chiffre d'affaires pendant trois exercices consécutifs, doivent se doter d'au moins un des dispositifs légaux de partage de la valeur au cours de l'exercice suivant, si elles ne sont pas déjà couvertes par un tel dispositif au moment de la réalisation de la condition relative au bénéfice net fiscal (art. 5).

► Remarque  : les entreprises individuelles ne sont pas soumises à cette obligation, tout comme les sociétés anonymes à participation ouvrière (Sapo) versant un dividende à leurs salariés au titre de l'exercice écoulé et dont le taux d'intérêt sur la somme versée aux porteurs d'actions de capital (actions de travail) (C. com., art. L. 225-261) est égal à 0 %. Les Sapo de 11 à moins de 50 salariés n'ont pas les moyens financiers suffisants pour verser aux salariés deux dispositifs de partage, celui correspondant aux dividendes des actions de travail et celui correspondant au nouveau dispositif de partage de la valeur.

Parmi les dispositifs pouvant être mis en place figurent :

  • l’intéressement : pour ce faire, l'entreprise peut appliquer un accord d'intéressement de branche (C. trav., art. L. 3312-8) ou mettre en place le régime selon les modalités prévues par le droit commun prévues à l'article L. 3312-5 (négociation d'un accord ou décision unilatérale de l'empoyleur, ou DUE) ;
  • la participation volontaire : comme l'intéressement, l'entreprise peut appliquer l'accord de participation prévue par sa branche (C. trav., art. L. 3322-9) ou mettre en place le régime selon les modalités de droit commun prévues par l'article L. 3323-6 du code du travail (négociation d'un accord ou DUE) ;
  • l’abondement patronal d’un PEE, PEI, Perco, Perco-I, un plan d'épargne retraite d'entreprise collectif (PEREC) ou un PEREC interentreprise (*) ;
  • la distribution d’une prime de partage de la valeur (PPV).

► Remarque : le choix est donc large. Chaque entreprise pourra retenir l'outil de partage de la valeur le plus adapté à sa situation. Celles qui opteront pour la mise en place d'un accord de participation volontaire pourront, si elles le souhaitent, choisir une formule de calcul de la réserve spéciale de participation moins favorable aux salariés que la formule de calcul légale.

Cette obligation expérimentale s'applique aux exercices à compter du 1er janvier 2025. Les trois exercices précédents (soit 2024, 2023 et 2022 pour des exercices civils) sont pris en compte pour l'appréciation du respect de la condition relative à la réalisation du bénéfice net fiscal.

► Remarque : un bilan de cette expérimentation devra être réalisé par le Gouvernement six mois avant la fin de l'expérimentation. En outre, un suivi annuel de l'expérimentation sera transmis aux partenaires sociaux.

A noter que le non-respect de cette obligation n'est assortie d'aucune sanction spécifique.

Une obligation s'imposant aussi à certaines entreprises de l'économie sociale et solidaire si un accord de branche étendu le permet

La plupart des entreprises de l'économie sociale et solidaire (ex. : associations et fondations, mutuelles, coopératives), de par leur activité, ne génèrent pas de bénéfice net fiscal et ne versent pas de participation. Leurs salariés ne sont donc pas associés à leur performance ; elles restent très éloignées des dispositifs de partage de la valeur.

Pour pallier ce problème, la loi "Partage de la valeur"  instaure, à titre expérimental pour une durée de 5 ans, une obligation de partage de la valeur dans de telles entreprises occupant au moins 11 salariés et qui n'ont pas de bénéfice net fiscal mais un résultat excédentaire au moins égal à 1 % de leurs recettes pendant trois exercices consécutifs (art. 6).

Sous réserve d'un accord de branche étendu l'autorisant, ces entreprises devront, à compter du 1er janvier 2025, mettre en place un dispositif d'intéressement, abonder un plan d'épargne salariale ou un PEREC ou bien encore distribuer une prime de partage de la valeur à leurs salariés.

Les entreprises disposant déjà de tels dispositifs ou d'un régime de participation ne sont pas soumises à cette obligation.

Remarque : comme pour l'obligation précédente, le non-respect de cette obligation n'est pas sanctionné par la loi.

 

(*) PEE : plan d'épargne entreprise. PEI : plan d'épargne interentreprises. Perco/Perco-I : plan d'épargne pour la retraite collectif. PEREC : plan d'épargne retraite d'entreprise collectif. PERE regroupé : plan d'épargne retraite entreprise.

 

► Article précédent : les mesures relatives à la prime de partage de la valeur [1/8]  et notre infrographie sur la PPV

Géraldine Anstett
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