À Aurillac, des sans-abri tentent de se reconstruire une vie

À Aurillac, des sans-abri tentent de se reconstruire une vie

25.03.2016

Action sociale

Sortir du circuit sans fin de l’urgence et du mal-logement en participant au repeuplement de régions en voie de désertification : tel est l’audacieux pari de l’association Aurore et du bailleur social Polygone. Un documentaire rend compte de la genèse de cette micro-initiative potentiellement duplicable.

Le mal-logement est endémique à Paris, le dispositif d’hébergement d’urgence débordé. Ce constat est hélas devenu aussi répétitif et déprimant que la musique du 115 qui tourne en boucle lorsqu’on essaie de joindre ce service hyper-saturé. C’est d’ailleurs sur cet air que démarre le documentaire d’Édouard et Stan Zambeaux, « Des clés dans la poche », en diffusion ce week-end sur la chaîne Public Sénat : dans un jardin public, Hamza Mefki, la soixantaine, d’origine algérienne, recherche – comme tous les matins depuis cinq ans – une solution pour ne pas passer la nuit dehors. Il fait partie des quelques heureux auxquels l’association Aurore, spécialisée dans l’accompagnement des sans-abri et mal-logés, a proposé, en lien avec la société Polygone, bailleur social à Aurillac, de changer de refrain en tentant leur chance ailleurs. L’idée est simple : si Paris concentre les problèmes et les populations ultra-précaires, d’autres régions souffrent de dépeuplement et constituent une réserve de logements sociaux et d’emplois. Pourquoi, dès lors, ne pas proposer aux mal-logés et sans domicile fixe parisiens de se délocaliser ?

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Premiers bénéficiaires

Le documentaire suit les tout débuts de cette expérimentation et ses premiers bénéficiaires aux profils divers : Hamza Mefki, donc ; Stéphane Giraud – qui vit depuis des années du RSA activité et de petits contrats d’intérim, dans ce qu’on devine être une grande précarité sociale et psychique ; Palika et Athula Whitanagé, exilés politiques du Sri Lanka (lui était journaliste, menacé de mort), et leur fils Sakun, logés à trois dans une petite pièce ; enfin la famille de Claudia et Manuel Morriz, qui a choisi de quitter l’Espagne car ils n’arrivaient plus à assumer leur quotidien et craignaient de voir leurs enfants placés. Arrivés à Paris, ils ont été pris en charge par le Samu social, mais séparés : Manuel seul à l’hôtel et Claudia et les enfants dans un centre d’accueil.

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Éviter l’isolement

Seul Hamza Mefki renoncera à quitter Paris pour l’Auvergne, malgré sa situation très difficile, parce qu’il perçoit, sans doute, qu’il ne se fera pas à ce changement d’environnement. Les autres se lancent dans l’aventure. Aidés dans leurs démarches administratives, ils obtiennent un logement social, et un petit budget pour se meubler. Ils sont accompagnés dans leur recherche d’un emploi, les inscriptions dans les établissements scolaires, la mise en place de cours de français pour étrangers… La stabilisation des deux familles, dans un espace de vie confortable et sain, apparaît avec évidence, même si pour les Whitanagé, il s’agit aussi de parvenir à se sentir bien malgré le déclassement social. Avec pudeur, le film donne à entendre le rapport ambigu de Stéphane Giraud à ces clés qu’il a soudain en poche, lui qui ne s’est jamais réellement posé. Cette normalisation soudaine, cette solitude aussi dans cette ville trop tranquille, semblent un peu vertigineuses, en risque de le faire sombrer, malgré le travail qui l’aide un peu à tenir. Le film n’indique pas si et comment cet homme longtemps désaffilié est accompagné dans cette vie nouvelle. Plus globalement, on regrettera que les réalisateurs restent assez superficiels dans leur évocation de la philosophie et des modalités d’intervention de l’association Aurore et du bailleur, tant en amont qu’en aval du projet, et préfèrent s’étendre sur les émotions des protagonistes. Avec pour effet de verser dans un sentimentalisme parfois agaçant, alors que le sujet lui-même est audacieux et enthousiasmant.

Revendiquer un artisanat social

Démarré à l’hiver 2014, le dispositif « Un toit, un emploi » concerne aujourd’hui une dizaine de familles. Il s’est structuré, notamment avec la venue d’un chef de service basé à Aurillac, Norman Delis, qui suit les candidats dans l’élaboration de leur projet – pour les aider à déterminer si ce départ peut vraiment leur convenir ou pas, compte tenu du changement de vie que cela implique à tous les niveaux -, puis, sur place, dans toutes les démarches susceptibles de favoriser leur insertion sociale et professionnelle. Ce professionnel insiste sur la nécessité de préserver à ce dispositif sa dimension artisanale. « Il y a un vrai gisement de logements sociaux et d’emplois – dans un nombre limité de secteurs toutefois – en province. Mais attention à ne pas penser qu’il suffit de fournir un toit et un emploi aux gens : il faut prendre le temps d’énormément individualiser l’accompagnement, sans quoi, ce genre de transferts vers la province est voué à l’échec », explique Norman Delis. Et de souhaiter que d’autres associations et bailleurs sociaux se saisissent à leur tour de l’idée, avec ce même souci du temps et du détail.

Des clés dans la poche (2015, 52', Yuzu Productions), un documentaire écrit et réalisé par Stan et Édouard Zambeaux. Diffusion le 26 mars à 22h et le 27 mars à 9h sur la chaîne Public Sénat. En libre visionnage pendant quelques jours sur les sites de France Inter et Public Sénat.

 

Laetitia Darmon
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