Marina Fuseau, 39 ans, a été tuée par une jeune mère hébergée. Celle-ci venait d’apprendre sa convocation chez le juge des enfants, à la suite d'un signalement. Si la violence est fréquente dans la protection de l’enfance, faut-il des précautions supplémentaires pour les travailleurs sociaux ?
« La meilleure travailleuse sociale que j’ai jamais connue », dit l’une. « Que ce soit dans le milieu pro ou dans la vie, c’était vraiment une chouette meuf », dit l’autre. Sur les réseaux sociaux s’écrivent de beaux souvenirs de Marina Fuseau, 39 ans, assassinée ce samedi 28 octobre à Poitiers. Cette éducatrice spécialisée a été agressée mortellement, de quatre coups de couteau, à son arrivée vers 7 heures dans son foyer mère-enfants. Sa meurtrière présumée est une jeune mère qui était hébergée, depuis juin 2016, dans son établissement.
Séjour en psychiatrie
Agée de 20 ans, la résidente était arrivée en France à la fin 2015, en provenance de Guinée, et depuis le mois de septembre, elle semblait moins bien s’occuper de son petit garçon, comme le relate la Nouvelle République. Après un bref séjour en psychiatrie, elle avait finalement pu revenir au foyer. Mais le 19 octobre, elle avait fait l’objet d’un signalement. Le danger était « d’ordre éducatif » pour l’enfant, « compte tenu du fait que la maman se repliait de plus en plus sur elle-même », comme l’explique le procureur de la République, Michel Garrandaux. Et le juge des enfants avait alors été saisi. Dès le 26 octobre, l’équipe éducative du foyer « Cécile et Marie-Anne » avait annoncé à la mère sa convocation chez le juge, en lui expliquant le risque de placement de son enfant.
Puisque « tout le monde se liguait contre elle », la résidente en est aussitôt venue à « imaginer de tous les tuer », poursuit Michel Garrandaux. Et elle a tout d’abord voulu s’en prendre à Marina Fuseau, qu’elle savait être de permanence, ce samedi matin.
Le procureur de la République « estime qu’il n’y a pas de dysfonctionnement judiciaire » en l’état. La jeune mère a depuis été mise en examen pour « homicide volontaire avec préméditation » et écrouée.
"Dans les règles"
Face à un tel récit, Jean-Marie Vauchez, en tant que formateur, juge que l’équipe éducative a également agi « dans les règles ». « Que la mère ait été reçue à l’issue d’une réunion d’équipe, notamment, la plaçait face à la décision d’une institution, et évitait toute personnification », souligne le président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (Ones). En outre le drame ne laisse « aucun doute sur le fait que les professionnels avaient pris la bonne décision » à faire ce signalement.
Des baskets plutôt que des talons
Mais puisque l’équipe de Poitiers n’a manifestement pas failli, faudrait-il donc imaginer des précautions supplémentaires pour l’ensemble des professionnels ? « Les éducs sont toujours en première ligne face aux situations de violence », déplore Jean-Marie Vauchez, qui « ne compte plus les appels de collègues qui se font brutaliser ». Pourtant, ce membre du Haut conseil en travail social préfère « vivre avec le risque » plutôt que de « systématiser les précautions »… « Mieux vaut laisser la liberté aux professionnels de faire attention à ce qu’ils font. »
Dans un accueil mère-enfants du Sud-Est de la France, certaines précautions ont en tout cas été intégrées au travail quotidien : « Nous essayons d’être au moins deux professionnels, jour et nuit, tout au long de l’année », explique une éducatrice spécialisée, qui préfère garder son anonymat. « Et mieux vaut travailler en baskets, plutôt qu’en talons, et recevoir au rez-de-chaussée pour pouvoir, si besoin, se barrer par la fenêtre ! »
Passages à l'acte
Quant au séjour en psychiatrie de la meurtrière présumée, aux yeux de Jean-Marie Vauchez, il ne pouvait impliquer de précautions particulières. « Les passages à l’acte sont très rares chez les malades mentaux, et restent très difficiles à prévoir. »
Pour sa part, Didier Dubasque, lui aussi membre du Haut conseil en travail social, s’interroge sur son blog : « Dès lors que les professionnels agissent auprès de personnes qui ont de réels troubles psychiatriques, ne faut-il pas pouvoir systématiquement en évaluer les risques ? Comment le faire à bon escient sans tomber non plus dans le « tout sécuritaire » ? » Le drame, en tout cas, « rappelle les risques que rencontrent les travailleurs sociaux qui interviennent dans le champ de la protection de l’enfance », écrit ce travailleur social de Loire-Atlantique. En 2015 encore, à Nantes, l’éducateur Jacques Gasztowtt, exerçant dans ce même secteur, avait été tué par un père de famille.