(A voix haute) "Pour la première fois, on nous a demandé notre avis"

(A voix haute) "Pour la première fois, on nous a demandé notre avis"

29.03.2019

Action sociale

Notre série « A voix haute » donne la parole à ceux qui n’ont longtemps pas eu voix au chapitre : les « personnes accompagnées ». Après une jeunesse marquée par les discriminations, David Guillaume a découvert la participation au sein de son Esat. Longtemps silencieux, il s’exprime désormais pour l’inclusion et le respect de la différence.

Il se souvient très bien du jour où il a compris qu’il était différent. « J’étais chez mon oncle avec mes frères et sœurs, ils ont tous eu droit à une glace, sauf moi. Je devais avoir 10 ans. En apprenant ça, ma mère s’est mise en colère. Elle m’a pris par la main, est allée voir mon oncle et lui a dit : « tu ne refais pas ça, il n’y a pas de préférence, il est comme les autres ».
 
Violences à l’IME

Natif de Falaise, dans le Calvados, David Guillaume effectue sa scolarité dans une classe spécialisée, en raison d’une légère déficience. Ce sont de bons souvenirs, bien loin de ceux qu’il garde de l’institut médico-éducatif (IME) qu’il rejoint entre 16 ans et 20 ans, situé près de Vire. « C’était la loi du plus fort. Les gendarmes intervenaient souvent, il y avait des fugues la nuit, des vols, et quand surgissait un conflit cela se réglait au coup de poing ». Interne, il tombe heureusement plutôt bien avec son voisin de chambre. « C’était pas un saint mais il ne m’a jamais cherché de noises ».

Parenthèses enchantées

Avec les autres, il obtient la paix en leur achetant des cigarettes. Mais surtout, il se tait. « Si vous aviez le malheur de parler aux éducateurs, on vous chopait dans un coin pour vous faire comprendre que ce n’était pas une bonne idée ». Ses week-ends en famille tous les 15 jours sont des parenthèses enchantées. « Je ne disais rien à mes parents car je suis du genre à vouloir régler mes problèmes tout seul. Et je ne voulais pas les embêter avec ça ».

La participation, une découverte
Après l’IME, il rejoint un établissement et service d’aide par le travail (Esat) situé à Damblainville, près de Falaise. C’est un manoir, très joli, très isolé aussi. En prenant le bus tous les jours pour s’y rendre, le cauchemar recommence. « Il était rempli de jeunes qui se moquaient de moi, m’insultaient, me faisaient des croche-pieds, mettaient leur cartable sur le siège d’à côté pour ne pas que je m’assoie. Une fois je me suis même fait agresser avec un cran d’arrêt. Le chauffeur, lui, n’a jamais rien dit ». Le jeune travailleur d’Esat fait profil bas et encaisse en silence, encore. « Je me sentais coupable alors que j’étais victime ».
 
Je me sentais coupable alors que j'étais victime

 

En 2002, après la reprise du site par l’association l’Essor, tout change. Fini le manoir isolé, place à l’inclusion dans la commune de Falaise où l’Esat déploie ses activités de service. David Guillaume  travaille aux espaces verts. « Je me souviens quand on m’a donné rendez-vous pour mon projet personnalisé, je croyais que j’allais à l’abattoir tellement on m’avait toujours dit de me taire. Or cette fois c’était tout le contraire ».
 
Un distributeur de café
Le conseil de la vie sociale (CVS) se met en place, il devient aussitôt délégué des travailleurs, s’étonnant encore qu’on leur demande leur avis, « pour la première fois ». Pour préparer les réunions, il fait le tour des ateliers, note les demandes, puis les relaie auprès de la direction. « Par exemple, nous souhaitions une salle de pause, avec un distributeur de café et de chocolat. Nous les avons obtenus. Cette année certains ont demandé une piscine à la résidence… on a relayé mais on savait très bien que cela ne pourrait pas se faire ! ».
 
Formateur à l’IRTS

Depuis dix ans, David Guillaume intervient aussi en tant que formateur à l’Institut régional de travail social (IRTS) Normandie-Caen pour les futurs éducateurs spécialisés et moniteurs-éducateurs. « Je leur raconte souvent qu’un jour, un éducateur est venu chez moi un dimanche après-midi et m’a critiqué parce que j’étais en pyjama. Je lui ai dit que je faisais ce que je voulais dans mon appartement, que je payais mon loyer. Les éducateurs doivent faire attention à ne pas confondre vie privée et le reste. Aujourd’hui, ça va mieux ».

La parole libérée

Les violences du passé, il n’en dit toujours mot. Puis un jour, la parole se libère. C’était en 2015, quand des travailleurs de l’Esat et des élèves de la seconde « Accompagnement soins et services à la personne » du lycée professionnel Guibray préparent ensemble un colloque autour de l’histoire des 45 000 victimes civiles, handicapées mentales ou malades, de la seconde guerre mondiale. « Quand j’ai commencé à parler, tout le monde s’est tu. Les lycéens étaient choqués, figés. Pourquoi j’ai parlé tout à coup, je ne sais pas ».

Invité par l’Elysée

Ce travail est apprécié par l’Elysée, qui les invite à participer à la première cérémonie d’hommage aux victimes civiles le 10 décembre 2016, place du Trocadéro, où une stèle commémorative est inaugurée. Un moment solennel au cours duquel, avec une lycéenne, David Guillaume lit un discours devant 400 personnes… et devant François Hollande, alors Président de la République. « Il est sympathique. Il nous a dit que ce que nous avions fait était magnifique, qu’il fallait continuer ».

Message reçu : un an après, lycéens et travailleurs créent l’association « Ensemble pour l’inclusion », afin d’intervenir dans les écoles pour lutter contre les préjugés. David Guillaume est co-président : tous les postes ont été doublés par soucis d’équité dans la représentation.

Une vie riche

Aujourd’hui, à 47 ans, il prend un tournant professionnel. Après 27 ans aux espaces verts, il devient vendeur dans un magasin de produits locaux que l’Esat s’apprête à ouvrir. « Je suis très content, j’ai toujours voulu faire de la vente, être au contact des gens ». Il vit avec sa compagne dans un appartement, aime les voyages à l’étranger, les concerts, les matchs de foot au Stade Malherbe. Il n’est plus suivi par le service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) de l’association depuis plusieurs années.

"L'Esat, c'est mon employeur"

Le profil idéal pour rejoindre le milieu ordinaire ? Ce n’est pas son souhait. « L’Esat, c’est mon employeur. La différence avec un autre c’est que quand on a des soucis, on peut en parler ». Au-delà du filet de sécurité du dispositif, c’est aussi grâce à lui qu’il a pu « vivre des rêves ».

 

         Pourquoi cette série "A voix haute" ?

Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons, à travers notre série "En quête de sens", aux interrogations, découragements et enthousiasmes de travailleurs sociaux sur leurs métiers aujourd'hui chahutés. Il nous a paru logique de faire entendre, en regard, ceux qui expérimentent directement, du fait d'une situation de vulnérabilité provisoire ou permanente, des dispositifs sociaux ou médico-sociaux pensés pour eux... mais pas toujours avec eux.

Les temps changent toutefois : aujourd'hui, la parole des «usagers» de l'action sociale et médico-sociale est davantage et mieux prise en compte, voire encouragée. La loi 2002-2 et ses outils de participation sont passés par là. Les concepts d'empowerment et de pair-aidance infusent peu à peu. Beaucoup reste à faire, mais une idée s'est imposée : premières expertes de leur vécu, les personnes accompagnées ont des choses à dire. Et les professionnels et décideurs, beaucoup à gagner à les écouter.

 

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Laetitia Delhon
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