Notre série "A voix haute" donne la parole à ceux qui n'ont longtemps pas eu voix au chapitre : les "personnes accompagnées''. Malgré les effets secondaires puissants de son traitement (apathie, manque d'envie, etc.), Yohann Vanneste a tenu à témoigner de la bataille qu'il mène contre sa maladie, la schizophrénie, et à partager sa vision du système de soin en psychiatrie.
Yohann Vanneste commence par s'excuser : il est à nouveau sous traitement injectable et les effets secondaires sont puissants : apathie, manque d'envie, difficulté à prendre une décision. C'est pour cela qu'il a mis du temps à nous rappeler. Mais oui, il veut témoigner. Parler de la bataille qu'il mène contre sa maladie, la schizophrénie, mais aussi partager ses opinions sur le système de soin en psychiatrie et la nécessité d'une meilleure prise en compte de la voix des patients.
La schizophrénie s'est déclarée à ses vingt ans, juste après son baccalauréat ES. Yohann, étudiant, est très impliqué dans diverses associations militantes. "En juin 2005, j'ai fait une bouffée délirante aiguë, un délire à thème mystico-politique. J'ai passé quatre jours sans dormir. On m'a hospitalisé trois semaines, d'abord pour que je dorme, puis on m'a mis sous traitement."
"On ne se reconnaît plus"
La sortie d'hôpital est rude. Peu accompagné, Yohann tombe en dépression et consomme beaucoup de cannabis. "J'ai été traumatisé par cet épisode. On ne se reconnaît plus. On est amorphe, apathique, et on se retrouve à être schizophrène. " Hasard du calendrier, la schizophrénie est alors à la une des journaux. Quelques mois avant la première hospitalisation de Yohann, Romain Dupuy, un schizophrène, a tué une infirmière et une aide-soignante, dont l'une par décapitation. "Alors quand on te dit ''t'es schizo'', juste après ça, ça t'aide pas à être bien dans tes baskets."
L'opinion des patients n'est pas du tout prise en compte

"Voilà comment je suis entré dans la maladie. Depuis, tous les ans ou tous les deux ans, je suis hospitalisé quelques semaines". Entre ces phases d'hospitalisation, Yohann travaille ou s'implique bénévolement dans la vie associative. Animateur radio aux Z'entonnoirs, première radio française animée par les patients et infirmiers en psychiatrie, il n’hésite pas à questionner et critiquer le système de prise en charge psychiatrique sur les ondes. "L'opinion des patients n'est pas du tout prise en compte. Prenons le cas, par exemple, du rejet des traitements, qui est commun à une majorité de patients. Les soignants n'entendent pas les cris de ces patients. Les neuroleptiques ont un effet de camisole chimique. On a du mal à faire des choses, à passer de l'idée à l'action. Là, par exemple, je reprends un traitement injectable, et bien c'est le calme plat au niveau psychique. J'ai du mal à discuter, je n'ai plus de répartie... C'est pour ça que les schizophrènes peuvent avoir l'air fainéants, alors que c'est un effet du médicament."
Combattre l'idéologie du malade captif
Et le problème majeur, selon lui, c'est l'idéologie du traitement à vie. "Cette idéologie du malade captif est prônée par les laboratoires pharmaceutiques : évidemment, ils ont un intérêt à soigner quelqu'un à vie. Toute alternative au traitement à vie par neuroleptiques est étouffée." Cette pression des lobbies pharmaceutiques sur les soignants, maintes fois documentée, est un secret de polichinelle . Yohann a enquêté, visionné des documentaires, lu des articles. "Mais quand j'en parle, on me dit que les alternatives sont du charlatanisme, un mythe du ''sirop qui guérit tout''. Et on me renvoie à ma maladie, puisqu'un des symptômes de la schizophrénie est la paranoïa. Mais pour moi la paranoïa, c'est une prise de conscience."
Parler des alternatives au traitement à vie
Que faire alors pour se faire entendre ? Yohann aimerait organiser un colloque ou une journée de réflexion, comme il y en a souvent dans le secteur de la psychiatrie, consacrés aux alternatives au traitement à vie. Il imagine une plate-forme participative en ligne où professionnels, patients et familles pourraient s'exprimer sur le sujet. "C'est un travail que tous les acteurs doivent mener ensemble, et les patients doivent y être associés. "
« L'hôpital psychiatrique ressemble à une grande garderie »

Autre sujet majeur, les conditions de travail des soignants. Ils sont nombreux, les professionnels du "parent pauvre de la médecine", à alerter sur la dégradation du système de soin psychiatrique. Même constat chez Yohann : "Aujourd'hui, l'hôpital psychiatrique ressemble à une grande garderie, entre quatre murs, avec peu d'activités. Évidemment si les soignants sont trois pour un groupe de 25 ou 30 personnes, que voulez-vous qu'ils proposent ? J'ai vu, depuis ma première hospitalisation, la baisse des moyens et des effectifs. Le manque de disponibilité des soignants augmente l'agressivité des patients. Si le patient souffre, le soignant souffre. C'est perdant/perdant... "
Développer le soin ambulatoire
Alternative à l'enfermement, Yohann loue le soin ambulatoire, en centres médico-psychologiques ou à l'extérieur. L'enregistrement de l'émission des Z'entonnoirs, tous les lundis dans les locaux du lieu culturel La Condition Publique, à Roubaix, participe de ces activités hors les murs. C'est notamment pour exprimer son avis sur la psychiatrie, "pour lutter contre ces idéologies", que Yohann prend le micro. Sa parole est-elle entendue ? "Oui, il y a une écoute, je ne peux pas dire le contraire. J'ai interviewé Frédéric Mitterrand (à l'époque où il était ministre de la culture, ndlr), Daniel Lenoir (à l'époque où il était directeur de l'agence régionale de santé du Nord Pas de Calais, ndlr), notre cheffe de projet a été décorée chevalière des arts et des lettres pour les Z'entonnoirs. Mais dans les pratiques, il y a peu d'évolution."
« Ça m'intéresse de me battre pour ça. »
Alors Yohann continuera à s’impliquer. "Dans cette région sinistrée socialement, j'ai envie d'aider les gens." Allocataire de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), il n'a aujourd'hui que des activités bénévoles, à la radio et dans un groupe d'entraide mutuelle (GEM) : "Je préfère avoir un CV où j'ai été bénévole pour des activités que j'aime, qu'avoir un contrat pour avoir un contrat."
Se battre
Des contrats, Yohann en a précédemment obtenu. Il a été salarié de l'Education nationale, où il aidait à la scolarisation d'enfants handicapés, et d'une radio locale, Radio Boomerang, en tant qu'animateur. Mais il voudrait aujourd'hui reprendre ses études, interrompues brutalement par la maladie, il y a treize ans. Et travailler sur l'organisation de cette journée de réflexion sur les alternatives au traitement à vie, qui lui tient à cœur. "Ça m'intéresse de me battre pour ça."
Pourquoi cette série "A voix haute" ? |
Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons, à travers notre série "En quête de sens", aux interrogations, découragements et enthousiasmes de travailleurs sociaux sur leurs métiers aujourd'hui chahutés. Il nous a paru logique de faire entendre, en regard, ceux qui expérimentent directement, du fait d'une situation de vulnérabilité provisoire ou permanente, des dispositifs sociaux ou médico-sociaux pensés pour eux... mais pas toujours avec eux.
Les temps changent toutefois : aujourd'hui, la parole des «usagers» de l'action sociale et médico-sociale est davantage et mieux prise en compte, voire encouragée. La loi 2002-2 et ses outils de participation sont passés par là. Les concepts d'empowerment et de pair-aidance infusent peu à peu. Beaucoup reste à faire, mais une idée s'est imposée : premières expertes de leur vécu, les personnes accompagnées ont des choses à dire. Et les professionnels et décideurs, beaucoup à gagner à les écouter.
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