Accessibilité numérique : un plan de relance très décevant

Accessibilité numérique : un plan de relance très décevant

27.10.2017

Action sociale

Priorité absolue pour les personnes en situation de handicap, l’accessibilité du web reste le parent pauvre des politiques publiques. Les quelques mesures annoncées à l’issue du dernier comité interministériel du handicap se limitent aux grands services publics et souffrent d’un manque d’accompagnement. À quand une stratégie globale ?

On compte en France pas moins de 10 000 sites internet publics, si l’on intègre aux sites nationaux des ministères et des services publics, ceux des diverses institutions publiques et des collectivités territoriales. Mais sur ce nombre, combien sont réellement accessibles aux personnes en situation de handicap visuel, physique, auditif ou cognitif, que ce soit par une navigation facilitée ou par la possibilité d’associer aux sites des technologies d’assistance vocale ou de braille ? Sur le seul plan de la cécité, Olivier Ducruix, directeur du centre de compétences en accessibilité numérique chez Orange, et lui-même malvoyant, estime entre 5 et 10 % le pourcentage de sites accessibles, « c’est-à-dire sans point bloquant vis-à-vis d’un utilisateur de synthèse vocale. » Pour se rendre compte de ce que signifie un site non entièrement accessible, il invite à imaginer un non-voyant en train de remplir un formulaire web par l’intermédiaire de la synthèse vocale. Si, à un moment donné, le site affiche un choix entre deux liens intitulés sans plus de précision « cliquez ici », la voix synthétique ne fera que répéter deux fois « cliquez ici ». « L’utilisateur est alors placé face à un point bloquant ! »

L’observation vaut pour tous les handicaps. En 2015 – soit dix ans après la loi handicap de 2005 qui prévoyait l’accessibilité des services publics en ligne – l’association BrailleNet a audité plus de 600 sites internet publics français. Le résultat est affligeant. À peine 18 % d’entre eux déclaraient avoir planché sur leur accessibilité, mais pire, un seul site s’avérait réellement conforme au « référentiel d’accessibilité numérique des administrations », bible en théorie de toutes les solutions web publiques françaises.

Annonce d’une série de mesures

A l’issue du comité interministériel du handicap (CIH), qui s’est tenu le 20 septembre, le gouvernement a annoncé une série de mesures pour relancer le chantier de l’inclusion numérique des personnes en situation de handicap. Notamment, l’engagement a été pris de publier les décrets permettant d’appliquer la loi pour une République numérique, qui étend la notion d’accessibilité aux applications mobiles, et de « transposer en droit français la directive européenne relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public. » Intérêt de la mesure : avec l’introduction en France du référentiel d’accessibilité européen, c’est un ensemble de normes très complètes qui s’imposeront enfin aux sites publics, alors qu’aucun système de contrainte n’avait été mis en place pour accompagner l’obligation d’accessibilité numérique de la loi de 2005.

Parmi les autres objectifs à cinq ans : les 10 sites internet publics les plus utilisés (notamment, caf.fr, pole-emploi.fr, impots.gouv.fr, service-public.fr) seront mis en accessibilité totale. Les référents accessibilité numérique et qualité web des administrations sont à ce titre invités à se regrouper au sein d’une « communauté » chargée de suivre l’évolution de ce chantier. La politique n’est pas non plus oubliée avec la « dématérialisation de la propagande électorale », qui s’accompagnera d’une « obligation de compatibilité des professions de foi des candidats avec les logiciels de lecture d’écran. »

Enfin, un coup de pouce sera accordé à la promotion des solutions innovantes d’accessibilité numérique, notamment celles développées par des startups ou testées par des administrations en vue d’améliorer l’accès aux droits.

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De quoi lancer le mouvement ? Pour Sébastien Delorme, responsable de l’accessibilité numérique de Atalan, une société de conseil et d’ingénierie numérique, le simple respect des normes ne suffit pas : « on peut avoir le site le plus accessible possible, il restera toujours des difficultés d’accès pour certaines personnes si, derrière, les services ne sont pas adaptés », C’est le cas par exemple des services d’appel téléphonique proposés depuis un site internet, qui laissent sur la touche les personnes sourdes, illustre cet expert. « Très souvent, le fait de se pencher sur ces questions d’accessibilité va se traduire par une réflexion sur les outils. Des sociétés se sont par exemple spécialisées dans la visioconférence entre sourds pour répondre à une nouvelle demande ». Reste le problème du coût. Pour la plupart des acteurs, la réflexion sur l’accessibilité n’en est qu’à ses débuts, avec la conséquence de renchérir la facture de la mise en conformité de leur site à une réglementation exigeante. Pas certain donc que cette perspective suscite l’enthousiasme, en particulier du côté des collectivités territoriales pour qui internet représente déjà une dépense conséquente.

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A cela s’ajoute la limitation aux grands services publics et aux administrations des mesures annoncées lors du CIH. Or la directive européenne sur l’accessibilité web va beaucoup plus loin, puisqu’elle rajoute à la notion de service public celle de service d’utilité publique, qui peut aussi concerner des entreprises privées. À l’image de la politique suivie par l’Ocirp (Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance), union d’organismes de prévoyance tournée vers la protection des familles, qui s’est engagé coup sur coup dans l’accessibilité de son site institutionnel et de son site de communication aux familles.

« En tant qu’acteur du handicap et des personnes âgées, il nous fallait avoir une politique globale d’accessibilité si nous voulions être en cohérence avec nos objectifs », explique Jean-Manuel Kupiec, directeur-général adjoint. Sous-titrage des vidéos, adaptation de certaines rubriques en « facile à lire et à comprendre » : l’expérience de l’Ocirp montre que les solutions mises en œuvre nécessitent un investissement dans le temps, et par conséquent d’être véritablement priorisées par les entreprises et les services. Avec l’importance qu’a pris l’accès aux ressources internet, d’autres mesures plus incitatives en faveur de l’accessibilité numérique suivront-elles alors ? « Si nous voulons une accessibilité universelle de la société, telle que le stipule la loi de 2005, il faut déjà qu’on réponde à celle du web », rappelle Jean-Manuel Kupiec.

Le challenge est de taille : près de 3 millions de personnes sont reconnues en situation de handicap en France.

 

Retrouvez nos précédents articles sur "le travail social à l'heure du numérique" :

Tous les articles de cette série sont rassemblés ici (lien à retrouver sur le site de tsa, dans la colonne de droite, rubrique "Dossiers").

Michel Paquet
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