Lors d'une matinée organisée par Sextant expertise, vendredi 18 octobre à Paris, des délégués syndicaux, un expert et un avocat ont débattu du nouveau cadre d'accord collectif offert aux entreprises par les ordonnances Macron : l'accord de performance collective (APC), avec deux exemples opposés, l'accord de la CDC Habitat et celui de SFR Distribution. Explications.
Renégocier les parties fixes et variables des commerciaux : c'est ainsi que cette entreprise de moins de 300 salariés a présenté l'objet des discussions qu'elle souhaitait avoir avec les délégués syndicaux. Thierry Renaud, du syndicat national livre édition de la CFDT, a mis en garde sa déléguée : "Attention, ça ressemble fort au cadre de l'accord de performance collective (APC)".
De fait, si la négociation n'a pas été présentée comme telle, la référence à l'article du code du travail (L. 2254-2) instaurant ce nouveau type d'accord collectif a fini par être évoquée par la direction. "Et là, nous avons dit stop. Pas question de nous engager plus avant dans une négociation de ce genre au moment où nous préparons les élections professionnelles dans l'entreprise", rapporte Thierry Renaud. Une attitude approuvée par Christian Pellet, président du cabinet Sextant expertise : "Faites préciser à votre direction dans quel cadre juridique elle entend négocier un accord. Si vous n'avez pas ces précisions, refusez d'avancer dans la négociation".

Dans cette PME de la métallurgie de 190 personnes, ce sont des élus sans étiquette, priés soudain par la direction de négocier un APC qui comportait une baisse de 30% de la rémunération de certains cadres et une forte exigence de mobilité, qui ont eu le réflexe d'aller voir une union départementale syndicale, en l'occurrence l'UD CFE-CGC. "Un bon réflexe, se réjouit Olivier Clairefond, secrétaire général du syndicat métallurgie CFE-CGC d'Ile-de-France (Smidef). Nous les avons mandatés pour négocier au nom du syndicat. Et quand ils sont retournés voir la RH, curieusement, l'employeur a retiré son projet".
Ces exemples le montrent : le nouveau cadre de l'APC, par lequel un employeur peut, en cas d'accord majoritaire, revoir la rémunération, la mobilité ou encore la durée de travail en instaurant par exemple un forfait jour, suscite l'inquiétude dans les rangs syndicaux. Une inquiétude d'autant plus forte que la branche semble fragilisée du fait des ordonnances Macron. D'une part, le ministère du Travail fait une lecture restrictive du salaire minima que peut garantir une branche. D'autre part, les ordonnances prévoient qu'un accord d'entreprise, présentant des "garanties équivalentes", peut être négocié sur des matières en principe réservées à la branche.
Roger Koskas, du cabinet Koskas-Brihi, encourage donc élus et délégués à la plus grande prudence en matière d'APC. L'intérêt des employeurs à négocier dans le cadre de l'APC, souligne-t-il, est de pouvoir déroger au contrat de travail des salariés en imposant de nouvelles conditions de travail que le salarié ne peut refuser, sauf à être licencié sans bénéficier du cadre d'un PSE.

"Conçu ainsi, l'APC est une catastrophe car il peut provoquer des plans sociaux à bas coût", alerte l'avocat. D'autre part, "nul ne sait aujourd'hui ce qui se passerait si l'accord n'était plus applicable : quel mécanisme juridique adopterait-on ? Reviendrait-on aux anciennes conditions du contrat de travail ?" interroge-t-il. Bref, "si vous pourrissez la vie des gens en négociant un mauvais APC, vous risquez d'être cocus aux prochaines élections", a vertement lancé l'avocat.
Ce dernier a pris l'exemple de l'entité qui regroupe les boutiques SFR (SFR Distribution) et qui emploie 3 226 personnes. Les dernières élections professionnelles, au printemps 2019, ont vu l'effondrement du score des syndicats ayant signé, en octobre 2018, l'accord de performance collective (CFDT, CFE-CGC et CFTC). Dans le même temps, l'UNSA est passé de 3% à ...47% des voix !
Il faut dire que cet APC, selon les mots du préambule, a été conçu pour faciliter "l'évolution du réseau de distribution en tenant compte des nouveaux besoins de l'entreprise (..) en inscrivant la mobilité géographie comme un axe majeur et prioritaire de sa politique permettant la préservation de l'emploi" (lire en pièce jointe l'accord).

De facto, le texte entérine, en cas de fermeture d'une agence, une mobilité de 300 km pour les salariés et de 500 km pour les cadres : "Au-delà de cette limite, dit le texte, la mobilité est nécessairement à l'initiative du collaborateur". Le refus du salarié d'accepter une telle mobilité entraîne donc "un licenciement sui generis au plus tard dans les deux mois qui suivent le refus exprès du collaborateur" (soit un licenciement pour motif personnel non disciplinaire). Le salarié bénéficie alors d'un abondement de 100 heures (ou 3 000€) de son compte personnel de formation (CPF), mais il s'agit là d'une obligation légale. En outre, l'accord attribue au salarié licencié une indemnité égale à 3% (entre 1 et 9 ans d'ancienneté), 4% (entre 10 et 25 ans d'ancienneté) ou 5% (pour les salariés de 50 ans et plus) du salaire annuel brut par année d'ancienneté, plus une indemnité supplémentaire de 2 mois de salaire.
Une indemnité plus élevée que le minimum légal pour un licenciement pour motif personnel ou économique, qui n'impose qu'un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les 10 premières années et qu'un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté à partir de la 11e année. "Mais on est quand même très loin d'un accompagnement à la hauteur de ce qu'on peut voir pour un PSE", commente Roger Koskas, notamment pour les mesures d'accompagnement d'un licenciement économique (congé de reclassement, par exemple).
Chez Bridestone, a également rappelé Christian Pellet, le président de Sextant expertise, un APC signé par deux syndicats ne pesant que 35% a fait l'objet d'un référendum : 60% des salariés ont voté contre l'accord. "En tant que DS, tâtez le terrain pour savoir ce que les salariés souhaitent, ce qu'ils sont prêts ou pas à accepter. Mais si vous êtes minoritaires, n'allez pas demander un référendum !" en déduit le consultant.
Ce dernier a toutefois nuancé le discours de l'avocat. "Vous négociez déjà des PSE, il n'y a pas de honte à négocier des APC. Mais ne sous-estimez pas la valeur que représente pour l'employeur votre signature, la simplification et la baisse des coûts qu'elle peut représenter", suggère Christian Pellet. Comme contreparties, ce dernier a évoqué les garanties pouvant être données en matière d'emploi ou d'investissements dans l'entreprise. Rappelons ici que si le CSE n'est pas consulté sur l'accord de performance collective, il peut néanmoins lancer une expertise pour appuyer les organisations syndicales négociant l'accord, le CSE devant prendre en charge 20% du coût de cette expertise.
C'est un délégué syndical CGT qui a le mieux illustré ce conseil. Hervé Jaouen, délégué syndical CGT de la Caisse des dépôts (CDC), a donné une vision quasi-idyllique d'un APC signé en janvier 2019 par toutes les OS dans l'UES CDC Habitat (4 500 salariés dont 1 000 cadres). La forte union intersyndicale CGT, CFE-CGC et SNUP a tenu bon et a permis un tout autre accord que celui imaginé au départ par la direction, soutient Hervé Jaouen (lire le texte en pièce jointe, ci-dessous). D'autant, précise ce dernier, qu'était négocié parallèlement un accord sur les moyens du dialogue social, "ce qui a permis jouer de l'une à l'autre négociation pour faire pression sur l'employeur".
Ce dernier décrit l'accord APC comme opérant une harmonisation sociale par le haut, dans une UES en forte croissance, qui change constamment de périmètre du fait des acquisitions régulières dans le domaine du logement opérées par la CDC. De fait, le préambule de l'accord indique que le texte vise "à définir un socle de garanties sociales communes aux personnels de l'UES". Le texte, qui détaille les primes de vacance, de performance, le supplément familial ou encore le régime des congés et des astreintes, fait passer le temps de travail de 35 à 38 heures, mais avec 19 jours de réduction du temps de travail.

L'avocat Roger Koskas n'a pas manqué de s'étonner du cadre de l'APC utilisé comme s'il s'agissait d'un accord de substitution, c'est-à-dire d'un accord prévoyant, suite à la dénonciation d'un accord précédent, de nouvelles dispositions applicables. C'est pourtant ce qui se pratique déjà dans certains secteurs, comme la plasturgie (lire notre article). "Au fond, on peut se demander si, dans cet accord, le but réel n'était pas avant tout le départ des seniors, c'est une sorte de grande rupture conventionnelle aux frais de l'Unedic, un effet d'aubaine, quoi", analyse l'avocat. Un propos pas vraiment démenti par le DS CGT, qui croit savoir que la direction misait même sur 300 départs alors qu'il n'y a eu "que" 152, venant de salariés entre 56 et 62 ans qui vont pouvoir percevoir les indemnités chômage.
Sur ce point, un échange juridique intéressant a concerné la notification au salarié des changements sur son contrat de travail provoqué par l'APC : suffit-il, comme cela a été fait dans le cas de l'UES, que l'entreprise notifie l'accord de performance collective au salarié, ou faut-il lui notifier précisément les éléments de son contrat de travail ainsi modifié ? L'article du code du travail semble se borner à la première hypothèse : "Le salarié dispose d'un délai d'un mois pour faire connaître son refus par écrit à l'employeur à compter de la date à laquelle ce dernier a informé les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l'existence et du contenu de l'accord, ainsi que du droit de chacun d'eux d'accepter ou de refuser l'application à son contrat de travail de cet accord", dit la partie IV de l'art. L.2254-2. L'avocat penche lui plutôt pour la deuxième hypothèse et soutient qu'un juge pourrait trouver à redire à une notification imprécise quant aux conséquences de l'accord pour le salarié (*). Dans les faits, note Christian Pellet, la plupart des APC ne prévoient pas d'information très complexe : "On informe le salarié de l'existence de l'accord en lui précisant qu'il a un mois pour dire s'il s'y oppose".
Reste cette question posé par un délégué syndical : comment éviter un effet d'emballement et de dumping dans un secteur ? "La branche assurait en quelque sorte la police sociale d'un secteur. La vison libérale de Macron, que traduit cet APC, consiste à casser cet outil", répond Roger Koskas. "Le seul garde-fou que je vois, nuance pour sa part Christian Pellet, c'est que les accords ne sont pas publiés dans la base publique". Reste la vigilance des élus et délégués...
(*) Dans sa décision du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel a estimé que le fait que la loi ait réputé le licenciement (dans le cadre d'un accord APC) fondé sur une cause réelle et sérieuse n'interdit pas au salarié de contester ce licenciement devant le juge afin que ce dernier examine si les conditions prévues aux paragraphes III à V de l'article L.2254-2 du code du travail sont réunies". Ces paragraphes concernent la rémunération, la durée de travail et la mobilité professionnelle ou géographique (c'est-à-dire le champ de l'accord), le délai de réflexion (1 mois) dont dispose le salarié pour faire connaître son refus et le délai de 2 mois (à compter de la notification du refus du salarié) dont dispose l'employeur pour engager une procédure de licenciement.
Par ailleurs, une action en nullité contre un accord APC peut être engagée, dans un délai de 2 mois à compter de la notification de l'accord aux organisations syndicales (art. L.2262-14 du code du travail), par exemple par un syndicat non signataire.
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