Accueil kafkaïen en préfecture

Accueil kafkaïen en préfecture

30.03.2016

Action sociale

L'association La Cimade raconte, dans un document implacable, le parcours du combattant des étrangers pour leurs diverses démarches en préfecture pour l'obtention ou le renouvellement des titres de séjour. La tendance à la dématérialisation des documents complique, pour les populations les plus vulnérables, l'accès au service public.

Dans ce dossier de "l'accueil" des étrangers par les services préfectoraux, on pourrait penser que les textes juridiques conditionnent la pratique, mais dans les faits, il n'en est rien. En gros, les services étrangers des préfectures font à peu près ce qu'ils veulent, en fonction de leur capacité en personnel, des problématiques locales et sans doute (ce n'est pas dit dans le rapport) de la sensibilité du préfet.

"Conditions indignes"

Méthodiquement, à partir de ses 131 permanences d'accueil, l'organisation d'origine protestante raconte tous les obstacles qui se dressent dans le parcours de la personne qui souhaite régulariser les conditions de son séjour en France. Déjà en 2013, le parlementaire Mathias Fekl - entré au gouvernement depuis - dénonçait, dans un rapport officiel, les "conditions indignes" de l'accueil des personnes étrangères dans les préfectures. Diverses circulaires se sont succédé depuis pour tenter d'améliorer les pratiques. En vain, semble-t-il.

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Le parcours du demandeur commence par la case information. Sur le papier, tout doit être évident. La loi de 2000 relative aux relations entre les citoyens et l'administration prévoit "un accès simple aux règles de droit applicable". Pour la simplicité, on repassera car la plupart des préfectures ont supprimé tout accès à l'information par voie orale. Il faut se tourner vers l'interface internet mise en place en 2014. En soi, cette création est plutôt bien accueillie par la Cimade, sous réserve que deux conditions soient remplies. Il faut que des interlocuteurs physiques soient maintenus en préfecture pour permettre à ceux qui ont un accès difficile aux nouvelles technologies ne soient pas mis de côté. Et d'autre part, il serait bon que les informations contenues sur le site soient exactes et complètes, ce qui ne semble pas être toujours la règle. "Rien n'est dit sur les admissions exceptionnelles au séjour (travailleurs sans papier, jeunes majeurs, personnes vivant en France depuis 10 ans) alors qu'il s'agit d'un motif de demande extrêmement fréquent."

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"De longues heures dans la pluie et le froid"

Imaginons que la personne étrangère ait eu la bonne information pour constituer son dossier. Il lui faut maintenant le déposer en préfecture. La tâche est ardue. Deux options sont possibles. Soit, il faut arriver très tôt devant les bureaux de la préfecture et espérer avoir les tickets pour accéder aux services. "A Mayotte, Cayenne, Paris, Melun, Lyon, Grenoble, des dizaines voire des centaines de personnes passent de longues heures dans le froid ou sous la pluie à attendre", raconte l'association. Seconde voie choisie par d'autres départements : prendre rendez-vous sur internet. Là encore se pose la question de l'accessibilité. Les préfectures ne font guère d'efforts pour améliorer la situation, comptant sur les associations pour assurer l'accès des usagers aux services publics.

Interminables délais pour un rendez-vous

Malgré les déclarations sur l'amélioration de la situation, les délais pour obtenir un rendez-vous sont toujours aussi longs, bien souvent supérieurs aux trois mois annoncés. A Strasbourg, on attend souvent au moins 6 mois, 10 mois à la sous-préfecture d'Antony (92). Non seulement les délais sont longs, mais ils le sont encore davantage pour certaines catégories de personnes. Les jeunes majeurs doivent ainsi déposer leur demande de titre de séjour durant leur 18e année. Du fait des délais d'attente, ils ne peuvent pas toujours le faire, par exemple à Poitiers.

L'avis du Conseil d'Etat non respecté

Le dossier est constitué, le rendez-vous est obtenu en préfecture... reste à faire enregistrer la demande et obtenir le fameux récépissé. Une formalité ? Ce serait trop simple... "Bien que le Conseil d'Etat ait [précisé] que le passeport n'est pas exigible ni pour le dépôt de la demande ni pour la remise du titre, la quasi-totalité des préfectures refusent illégalement d'enregistrer des demandes sans présentation d'un passeport", dénonce la Cimade. Des complications sont parfois faites pour la présentation des justificatifs de domicile.

Pas toujours d'autorisation de travail

Une fois la demande enregistrée, il faut parfois revenir à la préfecture pour obtenir le précieux récépissé. Une pratique là encore illégale ! En outre, les documents ne sont pas toujours accompagnés de l'autorisation de travail. "Cette pratique illégale porte un préjudice grave aux intéressés, privés de l'accès à un emploi et, le cas échéant, à certaines prestations sociales, pendant toute l'instruction", explique le document.

Attendre encore pour avoir le sésame

Après toutes ces étapes, il ne reste plus qu'à attendre. Ou plutôt à s'armer de patience ! Là aussi, les pratiques varient énormément. La Cimade cite des délais pour le moins surprenants : à Colmar (68), 12 à 18 mois pour des demandes de parents d'enfant français ; 2 ans à Strasbourg pour la même démarche... A Lyon, c'est le bouquet : "les dossiers des personnes victimes de violences conjugales sont bloqués dans l'attente - illégale - de la production d'ordonnances de protection."

Conclu par une série de recommandations de la Cimade, ce document mériterait, pour le moins, une enquête des services du ministère de l'intérieur. Et si les faits sont avérés, un sérieux recadrage des pratiques des services préfectoraux afin que le droit s'y applique...

Noël Bouttier
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