Administrateurs salariés : "Encore un effort, messieurs les PDG !"

Administrateurs salariés : "Encore un effort, messieurs les PDG !"

30.03.2017

Représentants du personnel

Les entreprises se convertissent lentement à l'idée d'associer à leur gouvernance des représentants de salariés. La deuxième édition des assises des administrateurs salariés, tenue à Paris le mardi 28 mars, a permis de mesurer les progrès réalisés depuis l'entrée en vigueur des lois de 2013 et de 2015 sur la présence des représentants du personnel dans les conseils d'administration. Mais que de réticences à partager la gouvernance !

Des débats feutrés, bien en harmonie avec le somptueux cadre gothique du collège des Bernardins, dans le Ve arrondissement parisien, mais accompagnés de propos aigres doux reflétant bien la difficulté des entreprises françaises à faire réellement une place dans leur conseil d'administration aux administrateurs salariés : voilà ce qu'on peut retirer des deuxièmes assises des administrateurs salariés, organisées le mardi 28 mars par le collège des Bernardins avec le club Réalités du Dialogue social, l'institut français des administrateurs (IFA) et le cabinet d'avocat Descartes Legal.

Cette réticence à partager la stratégie, que l'on observe par ailleurs dans le peu d'enthousiasme des entreprises à informer la base de données économiques et sociales (BDES) du CE, plusieurs signes permettent de la percevoir. C'est par exemple l'avocat Christophe Clerc observant que certaines entreprises optent pour la structure juridique d'une SAS (société à action simplifi��e) afin de contourner l'obligation légale (depuis les lois de 2013 et 2015) d'avoir un ou deux administrateurs salariés dans le conseil d'administration (CA). C'est aussi la tendance, pas encore disparue visiblement, à organiser des pré-conseils où tout se décide à l'abri des oreilles des administrateurs salariés, avant un conseil d'administration officiel qui n'est qu'une chambre d'enregistrement. C'est encore les propos rapportés par les patrons convaincus du bien-fondé de la présence des salariés dans leur conseil sur les réticences de leurs confrères, qui ont dû mal à saisir qu'un administrateur salarié soit différent d'un délégué syndical revendicatif. Témoignent encore de cette vision assez paternaliste de la gouvernance d'entreprise les propos de certains dirigeants lors des tables rondes : c'est Thibault de Tersant, DG de Dassault Systemes, disant naturellement "avoir choisi" son administrateur salarié, c'est Xavier Huillard, PDG de Vinci, évoquant la nécessité de "faire mûrir" les compétences de ces débutants. Cette affirmation du besoin d'administrateurs compétents est légitime, sauf qu'elle peut tout aussi bien s'interpréter comme une volonté de couler dans le moule des habitudes d'un CA très financier les nouveaux venus que sont les représentants des salariés.

84 administrateurs salariés dans les 120 plus grandes entreprises
Du fait de l'obligation légale, les administrateurs salariés sont plus nombreux : on en compte 84 dans les 120 plus grandes sociétés françaises cotées, dont 60% sont des hommes. Leur profil est varié : ils sont chargés de mission (21%), responsables (18%), directeurs (13%), assistants (6%°, ingénieurs (5%), techniciens (5%), etc. Ils assistent non seulement au conseil d'administration mais la moitié d'entre eux participent à au moins un comité. Il s'agit souvent du comit�� des rémunérations (40%), du comité stratégie et développement (21%), du comité éthique, RSE (responsabilité sociale) et mécénat (13%), etc. Enfin, 44% de ces administrateurs salariés sont désignés par le CE (ou comité de groupe ou comité européen), 27% sont élus par les salariés et 11% désigné par le ou les syndicats.

 

"Faire prendre en compte la dimension sociale"

Les administrateurs salariés parviennent-ils à faire partager à leurs collègues administrateurs l'idée, exprimée par Hubert du Mesnil du collège des Bernardins, selon laquelle "l'entreprise ne peut pas être présentée comme une co-propriété d'actionnaires" excluant la communauté humaine ? Leur position n'est pas simple, écartelés qu'ils sont entre leur obligation de confidentialité sur les débats du conseil et les décisions avant leur annonce publique,  et leur loyauté à l'égard de leur organisation syndicale mais aussi des salariés. Ghislaine Coinaud, administratrice salariée élue avec l'étiquette CGT chez Orange, ironise d'ailleurs sur la loyauté demandée aux membres salariés d'un CA alors que curieusement des fuites se produisent dans la presse économique avant même qu'une décision soit rendue publique. Sur le fond, Ghislaine Coinaud fait la part des choses : "Je sais bien qu'un CA n'est pas le lieu d'une négociation salariale ! Mais je tiens ma nomination d'une élection des salariés. Je dois donc tenter dans le conseil de faire mieux prendre en compte la vision d'un meilleur partage des richesses dans l'entreprise. J'ai une expérience syndicale, la connaissance de l'entreprise, qui compte 150 000 personnes, et de ses métiers. Face à des administrateurs juristes ou énarques, j'apporte autre chose". Et l'administratrice d'ajouter : "Si l'on avait écouté à l'époque de la crise sociale les administrateurs salariés de France Telecom, on n'en serait pas arrivé à tous ces suicides".

Un syndicat a-t-il sa place dans un CA ?

La place d'un syndicat est-elle de siéger dans un conseil d'administration ? "Oui, il faut y aller", répond Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT en rappelant que l'enquête "Parlons Travail" de sa confédération a montré que 72% des salariés aspiraient à être davantage associés aux décisions de l'entreprise. Les représentants syndicaux y vont donc, parfois seuls, et dans un milieu qui peut être hostile. "Quand vous êtes accueilli au conseil par un : "Conformément à la loi..", vous sentez que vous étiez chaleureusement attendu", grince Antoine Santero, administrateur salarié FO du CA d'Air-France-KLM, lequel se désole de l'unique "prisme financier" de ce conseil. "L'administrateur salarié se sent isolé dans un CA dont il ne partage pas les habitudes : il n'a aucun cousin dans ce monde consanguin. Attention au syndrome de Stockholm : il ne doit pas se faire embarquer", taquine Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC. Pour tenter de cadrer les choses, les organisations syndicales ont rédigé des chartes pour leurs administrateurs salariés, dont elles perçoivent d'ailleurs souvent les jetons de présence, lancent des cercles pour favoriser les échanges (comme la CFE-CGC, l'UNSA et la CFDT), et forment ces personnels à des mandats exigeants dont les compétences ne sont pas encore reconnues à leur terme. "C'est un problème, mais chez nous, il est vrai que ce sont plutôt des salariés proches de la retraite qui deviennent administrateurs salariés", a indiqué Jospeh Thouvenel.

"Ils ont la préoccupation du long terme"

Qu'apportent les administrateurs salariés ? "99% de leurs questions tournent autour de la stratégie. Ils ont la préoccupation du long terme, de la pérennité de l'entreprise", se félicite Yves Gonnord, le président d'honneur de Fleury-Michon, une entreprise qui compte il est vrai un puissant actionnariat salarié. Une vision partageé par Thierry Martin, administrateur salarié UNSA au CA de SNCF Mobilités : "Nous diminuons le déficit d'information du conseil sur le management. Et en posant des questions, nous libérons aussi la parole des autres administrateurs indépendants". Un administrateur salarié a le recul et l'indépendance pour s'interroger sur les critères de décisions du conseil, estime pour sa part Gérard Mardiné, secrétaire national CFE-CGC et administrateur salarié de Safran. "Nous exprimons le besoin de visibilité d'une stratégie de long terme qui ne se limite pas à des opérations de fusion-acquisitions ou à des cessions. Dans un conseil d'administration, poursuit le syndicaliste, il arrive que les questions techniques sur les méthodes de croissance interne soient ignorées. Nous devons tenter de les faire partager, nous devons aussi défendre l'idée qu'il faut garder de l'argent pour investir, et mieux répartir le reste entre les actionnaires et les salariés". Et Gérard Mardiné de résumer le grand défi des administrateurs salariés, faire partager par le conseil d'adminisration que "l'intérêt social de l'entreprise, c'est un vrai sujet".

L'administrateur salarié, "cet équilibriste"
Pour Christrophe Clerc, avocat associé chez Descartes Legal, l'administrateur salarié est dans une position d'équilibriste sur une corde tirée d'un côté par l'entreprise, qui exige de lui une totale confidentialité et une autonomie qui va à l'encontre de son idée de la représentation des salariés, et de l'autre par son organisation syndicale, qui n'a de cesse de rappeler à l'administrateur l'origine de son mandat  : "Qui t'a fait roi ? Tu ne peux pas totalement t'autonomiser". Christophe Clerc estime que l'administrateur salarié aurait besoin d'un "peu de mou" de la part des deux parties, à la fois pour avoir des échanges avec les salariés qu'il représente, et aussi pour tenir sa place d'administrateur dans une plus grande liberté vis à vis de son syndicat. 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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