Peu douée en matière de prévention, la France va-t-elle s'améliorer grâce au CSE et à sa commission santé, sécurité et conditions de travail ? Une question plutôt audacieuse, alors que de nombreuses voix déplorent encore la disparition programmée du CHSCT. Echos d'un débat organisé à Paris par le cabinet Sextant.
Les capacités d'action du comité économique et social (CSE) et de sa commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) en matière de conditions de travail, d'analyse et de prévention des risques sont encore à appréhender pour nombre de représentants du personnel (lire notre article sur les premiers retours d'expérience des membres des CSSCT). Comment tenter de faire fonctionner au mieux ces nouvelles instances, qui comportent très souvent des moyens bien inférieurs à ceux des CHSCT, des CE et des DP séparés ?
Guillaume Mesmin, responsable du pôle santé et conditions de travail de Sextant, a souligné mardi 21 mai, lors d'une matinée organisée par ce cabinet d'expertise à Paris, l'importance de ces sujets : "La France est mal classée au plan international en matière de prévention des risques, notamment sur les postures et les risques chimiques. Selon Santé France, une pensée suicidaire sur 3 est liée au travail, et 500 000 salariés souffrent de pathologies mentales".

Pour tenter de jouer au mieux leur carte, les élus ont intérêt, a-t-il dit, à s'organiser afin d'exercer pleinement les prérogatives du CSE (lire notre encadré) : "Pour préparer vos réunions, vous pouvez par exemple examiner les remontées des représentants de proximité, s'il y en a dans votre entreprise, et les problématiser. Allez aussi sur le terrain, faites remonter vos observations en CSE ou CSSCT. Faites des inspections, et parlez-en. On s'en fait tout de monde, du mot inspection, mais vous pouvez très bien dire : chaque élu va aller au contact de 10 télétravailleurs pour discuter de leurs problèmes, et vous réunir ensuite pour dégager une synthèse qui sera présentée en réunion, en soulevant les problèmes rencontrés au travail par ces salariés. Ne vous cantonnez pas à des indicateurs chiffrés, le travail a par nature une dimension qualitative".
Les prérogatives du CSE en matière de santé au travail sont notamment définies par les articles L. 2312-12 et L. 2312-13 du code du travail : "Le comité social et économique formule, à son initiative, et examine, à la demande de l'employeur, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d'emploi et de formation professionnelle des salariés, leurs conditions de vie dans dans l'entreprise ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives (..)" "Le CSE procède, à intervalles réguliers, à des inspections en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail. Il réalise des enquêtes en matière d'accidents de travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel (..)". Le CSE peut aussi procéder à des expertises en cas de risque grave, d'introduction de nouvelles technologies ou de projet d'aménagement important, mais aussi à l'occasion de la consultation sur la politique sociale (lire notre infographie). |
Ces conseils visent à écarter l'hypothèse pessimiste formulée par Rémi Bourguignon, responsable du master RH et RSE à l'université de Paris Panthéon Sorbonne, à propos du CSE : "Il y a un risque de perte d'ancrage terrain des membres de la commission SSCT par rapport au CHSCT". Une lecture optimiste de l'instance unique consiste au contraire à parier sur "une meilleure convergence des sujets santé au travail et sujets économiques entre tous les élus, avec un débat enrichi".
Et Rémi Bourguignon d'ajouter que le CHSCT n'était pas exempt de défauts : "Les membres du CHSCT ont développé une culture d'expertise, mais dans l'instance, avec des salariés restants à l'extérieur, un peu passifs face à ces questions. Ouvrir des espaces de discussions avec les salariés sur l'organisation du travail, comme l'a expérimenté Yves Clot chez Renault, peut être une opportunité pour le CSE, afin d'amener un débat permettant d'améliorer la qualité du travail".

Catherine Pinchaut, secrétaire nationale CFDT en charge des conditions de travail, veut croire à cette approche volontariste. "J'ai vu des cas où le CE rendait un avis positif et le CHSCT un avis négatif sur le même dossier. Franchement, ça fait tâche ! En faisant se confronter les différentes compétences et expériences des élus, l'instance unique doit favoriser la création d'une intelligence collective. Le CSE doit être l'occasion de revoir nos pratiques syndicales, de refuser l'institutionnalisation du dialogue social, de retourner sur le terrain. Les élus doivent reprendre langue avec les salariés pour connaître les réalités de leur travail". Et la syndicaliste de défendre un droit d'expression des salariés sur leur travail "qui irait jusqu'à un droit d'implications des travailleurs".
Certes, certes, a glissé Gilles Lécuelle, secrétaire national de la CFE-CGC en charge du dialogue social, "mais le but du CSE étant quand même de flinguer le CHSCT, considéré comme une instance dangereuse (..) La direction a conservé des RH, des juristes, des spécialistes prévention, des stratèges financiers, et en face, on demande aux élus du CSE d'être généralistes !".

C'est vrai que les questions économiques étaient davantage valorisées par les OS, et que nous avons mis du temps à nous intéresser à la santé au travail, a complété Annick Fayard, secrétaire nationale de l'UNSA en charge de la qualité de vie au travail, "mais là, on nous demande de relever des défis colossaux avec moins de moyens". Alors même, a-t-elle souligné, qu'en France, "on laisse se mettre en place des organisations de production qui provoquent la pénibilité, au lieu de faire de la prévention intégrée".
Deux conditions doivent être réunies pour une autre approche, selon Gilles Lécuelle : d'abord, repenser la gouvernance de l'entreprise, "en arrêtant de voir le directeur financier piloter seul l'entreprise en fondant son approche sur des benchmarks ne tenant pas compte du travail réel des salariés"; ensuite, revaloriser l'investissement des salariés dans des mandats de représentants du personnel et des mandats syndicaux. "Un RH voit sa carrière évoluer. Mais son pendant salarié, le représentant du personnel ? S'il perd son mandat ou s'il arrive au but des trois mandats successifs, on va lui reproposer le poste qu'il avait au départ ?" questionne le secrétaire CFE-CGC. "L'investissement social doit être reconnu dans l'entreprise. Négociez la valorisation du parcours des élus dans l'accord CSE", a conseillé Catherine Pinchaut, de la CFDT.
Rémi Bourguignon a souligné la méconnaissance et le faible intérêt des étudiants en master RH pour les relations sociales, les IRP et les problèmatiques de prévention. "Les professionnels RH sont surtout mobilisés sur la performance et la flexibilité. Et ils sont souvent privés de marges de manoeuvre". A ce moment, une question s'est invitée dans le débat : celle de la place des juristes dans les relations entre l'employeur et les délégués syndicaux et les représentants du personnel.

Pour Catherine Pinchaut, de la CFDT, la place grandissante prise par les juristes dans les services RH entraîne une négociation moins ouverte : "Un juriste, c'est quelqu'un qui vous dit : ce n'est pas écrit donc ce n'est pas possible. Un syndicaliste, c'est au contraire quelqu'un qui veut sortir du cadre existant pour innover". Du coup, face à ce "formalisme" que Rémi Bourguigon explique par le souci des "RH d'éviter tout risque juridique", les délégués syndicaux n'arrivent pas à décrocher des dispositions innovantes ou expérimentales, "et on le voit bien en examinant les accords CSE", souligne Catherine Pinchaut. "Le formalisme, il en faut au moment de rédiger un accord, bien sûr, a abondé Gilles Lécuelle. Mais pas avant, quand il s'agit de négocier, de discuter de façon ouverte. Nous avons aussi besoin d'informel". Ce qui pose la question de la confiance et de la loyauté dans les négociations et les relations sociales, mais cela vaudrait un autre débat...
Quand les questions DP ne remontent plus...
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Le CSE change la donne dans les entreprises, au risque dans un premier temps de brouiller les cartes et les habitudes des élus, des salariés et des directions. Le débat en a donné une illustration avec le témoignage d'une élue de Mondadori, un éditeur de presse de 750 salariés (contre 1 400 salariés il y a 8 ans, c'est-à-dire avant 3 plans de départs volontaires), passé il y a 11 mois en CSE, avec un comité unique composé de 15 titulaires : "Avant, nous passions dans les services pour recueillir les questions DP des salariés, et ils savaient qu'ils auraient une réponse rapide. Là, depuis le CSE, nous n'avons eu que 3 questions relevant des ex-DP qui nous sont remontées en 11 mois". La proximité avec les salariés est décidément un défi à relever... |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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