Après le choc des ordonnances, la CFDT affiche son unité

Après le choc des ordonnances, la CFDT affiche son unité

08.06.2018

Représentants du personnel

Lors de son congrès à Rennes, la CFDT a affiché son unité en approuvant massivement son rapport d'activité, en dépit des critiques de certains militants sur le ton jugé trop conciliant du syndicat lors des ordonnances. Laurent Berger est reconduit à l'unanimité comme secrétaire général du syndicat et la CFDT se fixe un objectif de 10% d'adhérents de plus en 4 ans.

Fustigeant ici une "radicalité stérile" mêlant politique et syndicalisme sans pour autant apporter d'avancées concrètes aux salariés, une pique pour la CGT, critiquant plus loin la volonté du gouvernement de réformer sans les acteurs sociaux, une pierre dans la "verticalité" macronienne, Laurent Berger a réaffirmé cette semaine à Rennes le positionnement de la CFDT, celui d'un syndicat affichant ses valeurs ("solidarité", "défense des migrants"), celui d'un syndicat "toujours disponible" pour faire des propositions et "fier" de s'être "hissé au 1er rang dans le privé.

Face au gouvernement, la CFDT parie sur la durée

En dépit de plusieurs expressions critiques portant sur la stratégie de la CFDT durant la concertation sur les ordonnances Travail (lire notre encadré ci-dessous) les militants ont semble-t-il voulu faire corps face à l'adversité, qu'il s'agisse de la concurrence syndicale, de l'autisme du gouvernement et de l'absence d'ouverture du patronat. Les congressistes ont en effet approuvé massivement (83%) le rapport d'activité des quatre dernières années et ils n'ont, hier, que faiblement amendé le projet de résolution qui donne le cap des quatre prochaines années. 

Tout se passe comme si le syndicat dit "réformiste" pariait sur la durée pour retrouver une position d'acteur central dans le paysage social français, tout en musclant son discours pour répondre à l'attente de certains militants. "Le gouvernement ne pourra pas continuer quatre ans sur la même ligne. La méthode "vous discutez et je tranche", ça ne peut pas marcher longtemps (..) Il n'y aura pas de transformation en profondeur de la société contre ses acteurs (..) Il n'y aura pas de transformation en profondeur de la société si les changements ne sont pas négociés", a souligné Laurent Berger. Le syndicat espère peut-être aussi une certaine reprise de la négociation interprofessionnelle, une fois passée l'épisode de l'élection du nouveau président du Medef.

La question des retraites à l'horizon

Signe que les ponts ne sont pas rompus avec l'Exécutif :  un amendement au projet de résolution visant à écarter les comptes "notionnels" au sujet de la réforme des retraites, dont la concertation s'ouvre en ce moment, a été repoussé hier par 63% des militants. Le syndicat métaux de Caen soutenait qu'approuver un tel concept "notionnel" dans un projet de résolution revenait à signer un chèque en blanc au gouvernement et à courir le risque de se voir associé demain à une réforme potentielle dangereuse pour les ouvriers notamment. Frédéric Sève, en charge des retraites, a repoussé l'argument. La CFDT ne doit pas s'empêcher, a-t-il dit, de défendre son idée de "retraite à la carte" au sein d'un régime par répartition, sans rien sacrifier aux valeurs de solidarité et d'équité. La CFDT cherchera à faire prendre en compte la pénibilité "pour obtenir de nouveaux droits pour les salariés", a-t-il promis. "C'est sur la base d'un socle revendicatif clair que nous pourrons discuter avec le gouvernement", ajoute Yvan Ricordeau.

Il nous faut être 20% d'adhérents de plus d'ici 4 ans. Plus nous serons nombreux, plus nous compterons 

 

 

Reste que la question de l'influence de la CFDT est posée. Autrement dit, comment peser ? En augmentant le nombre de nos adhérents de 20% dans les 4 ans, a répondu jeudi matin, dans la présentation du rapport d'orientation, Marylise Léon, nouvelle secrétaire générale adjointe à la place de Véronique Descacq. "Plus nous serons nombreux, plus nous pèserons face à nos interlocuteurs, plus nous aurons de ressources militantes et financières, plus les travailleurs seront certains que leurs intérêts communs sont bien défendus", a-t-elle lancé. L'électrochoc des 20% a toutefois fait peur aux militants. Ils ont voté hier soir un amendement ramenant cette ambition à 10%. "C'est déjà très bien. Il va falloir maintenant que les syndicats s'emparent de cet objectif", a réagi Marylise Léon.

Cet objectif suppose de s'intéresser aux "freelance" (travailleurs indépendants) et de faire évoluer le fonctionnement de la CFDT, précise Yvan Ricordeau, secrétaire national : "Nous devons décloisonner nos modes de fonctionnement, mutualiser nos ressources et nos compétences, mettre en réseau nos militants et nos responsables". Cela signifie à ses yeux faire "davantage circuler l'information entre nous, créer davantage d'espaces de débats" et "nous donner la souplesse nécessaire pour expérimenter des modes d'organisation adaptés à de nouveaux publics, tisser plus étroitement notre maillage territorial", tout en apportant davantage d'appui aux sections confrontées aux échéances électorales du CSE (voir sur ce point notre article sur les propos de Laurent Berger). Est-il possible de mener de front ce défi de syndicalisation avec le défi électoral de la représentativité ? "Oui, répond Marylise Léon, il faut lancer le chantier maintenant pour toucher les freelances, les jeunes, les cadres".

"Il nous faut expérimenter d'autres formes d'action"

En attendant, la CFDT, comme d'ailleurs le reste du monde syndical, peine à trouver la parade à une forme certaine d'impuissance syndicale, alors même que la fusion des instances représentatives va affaiblir les organisations syndicales en réduisant le nombre de mandats, et qu'il n'est guère simple de négocier des moyens plus importants que ce que prévoit le code du travail.

"Il faut certainement expérimenter d'autres moyens, d'autres formes d'action pour exprimer nos désaccords, nous portons collectivement la responsabilité de les inventer. Le futur bureau national y réfléchira", a ajouté le secrétaire général sans citer d'exemples ou d'idées novatrices. "On a testé dernièrement les flashmob (Ndlr : rassemblement public), il y a les réseaux sociaux, il faut s'inspirer de ce qui se fait ailleurs en Europe, il nous faut trouver des solutions innovantes", nous précise Yvan Ricordeau.

La résolution sur les orientations insiste aussi sur la généralisation des espaces d'expression des salariés dans l'entreprise, sur un renforcement de la présence des représentants des salariés dans les conseils d'administration (question qui devrait être abordée par le projet de loi Pacte dans quelques semaines) et "un renforcement de la qualité du dialogue social dans les instances représentatives et le poids des avis rendus pour une meilleure prise en compte du travail dans le fonctionnement de l'entreprise".

Dans un des rares amendements voté hier (un autre concerne le développement des soins palliatifs et la liberté de choix pour la personne en fin de vie), la CFDT réclame également la conditionnalité des aides aux entreprises, celles-ci devant s'engager sur le maintien de l'emploi sur le territoire et rendre compte du suivi de leurs engagements dans le cadre du rapport sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE). 

Le nouveau bureau

La journée a été marquée en soirée par l'élection du nouveau bureau -dans lequel Laurent Berger, 49 ans, a été réélu avec 94% des voix- lequel a désigné dans la foulée la nouvelle commission exécutive. Les trois dirigeants de la commission, Laurent Berger, secrétaire général, Marylise Léon, secrétaire générale adjointe, et Thierry Cadart, trésorier, ont tous été élus à l'unanimité.

Véronique Descacq, en partance pour la Caisse des dépôts, Hervé Garnier et Marie-Andrée Seguin quittent donc la commission exécutive de la CFDT, où entrent en revanche Philippe Portier, Catherine Pinchaut et Béatrice Lestic (*), les autres membres étant Jocelyne Cabanal (fonction publique), Inès Minin (jeunes et petites entreprises), Yvan Ricordeau (formation)  et Frédéric Sève (retraites).

 

(*) Agé de 54 ans, Philippe Portier, scientifique dans les matériaux, est secrétaire général de la fédération métallurgie de la CFDT (FGMM) depuis 2014; il a été secrétaire de CE jusqu'en 2002 en Haute-Savoie, avant de devenir délégué syndical, conseiller prud'homme puis secrétaire national de la FGMM en 2007. Au sein de la commission exécutive, il est chargé du dialogue social, des IRP (et donc du dossier CSE) et de la lutte contre les discriminations syndicales.

Catherine Pinchaut, 44 ans, consultante en organisation, est depuis 2015 secrétaire fédérale à la fédération chimie énergie en charge du dialogue social, du travail et de l'emploi. Elle est chargée de la politique de la politique de formation syndicale et du dossier de l'organisation du travail et du temps de travail.

Béatrice Lestic, 52 ans, cadre commercial, est secrétaire générale du syndicat CFDT d'Air France depuis 2015, élue CE et représentante syndical au CCE de la compagnie. Elle prend en charge la politique de développement syndical et la politique d'accompagnement des militants. 

 

Ordonnances Macron : pour certains militants, la CFDT aurait dû "hausser le ton"
C'est un paradoxe : les journées de lundi et mardi ont vu l'expression de plusieurs critiques fortes de militants CFDT contre l'attitude de la direction confédérale durant la concertation sur les ordonnances et, pourtant, le rapport d'activité de l'équipe sortante a été plébiscité. Les militants semblent avoir voulu saluer la modernisation du syndicat opéré ces dernières années, avec notamment une amélioration des outils internes et l'accent mis au soutien des équipes, ainsi que "le travail accompli par l'équipe confédérale", pour reprendre les mots d'une militante. Ils ont sans doute aussi voulu offrir au monde extérieur, à commencer par le gouvernement, l'image d'un syndicat uni, contrairement à l'image donnée par le dernier congrès de FO. Mais certains militants n'en démordent pas : "Le ton de la CFDT n'était pas assez ferme lors des ordonnances. Le CSE, ça va faire très mal. De nombreux employeurs refusent toute négociation avant le protocole d'accord électoral et la mise en place du CSE", dit Olivier Kassous, DS en Vendée. Son voisin de Loire-Atlantique, Aurélien Chauvet-Guérin, secrétaire adjoint du syndical communication, conseil et culture, renchérit : "Il y a eu un décalage entre la réalité que vont vivre les militants dans les entreprises du fait des ordonnances et l'expression publique du syndicat l'an dernier. C'était trop mou". Et les deux militants de converger ainsi : "Nous savons bien que la solution n'était peut être pas de manifester, quoiqu'il ne faille peut-être pas rejeter par principe, surtout quand nous sommes le 1er syndicat, la possibilité de manifester...Mais il fallait au moins hausser le ton. Dans l'entreprise, quand l'employeur refuse tout, nous claquons la porte, quitte à revenir ensuite".  Et l'un d'eux d'ajouter au passage : "Maintenant que nous sommes le premier syndicat dans le privé, il faudrait peut-être arrêter de se positionner constamment par rapport aux autres".

 

A lire lundi dans actuEL-CE : "Les élus CFDT face à la mise en oeuvre des ordonnances Travail dans les entreprises". 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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