ASE et handicap : se centrer sur l’intérêt de l’enfant pour surmonter les rivalités

ASE et handicap : se centrer sur l’intérêt de l’enfant pour surmonter les rivalités

19.11.2018

Action sociale

Doublement pénalisés, les enfants relevant du handicap et de l’aide sociale à l’enfance (ASE) font toujours les frais de cloisonnements institutionnels. Les professionnels des services de soins spécialisés et d’éducation à domicile (Sessad) se sont interrogés lors de leurs journées nationales sur les moyens d’éviter que ces jeunes ne demeurent d’éternelles « patates chaudes ».

En 2015, un rapport du Défenseur des droits se saisissait d’un sujet méconnu : celui des enfants relevant à la fois de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et d’une situation de handicap. Près de 70 000 mineurs décrits comme « invisibles » et « doublement vulnérables » seraient concernés. Une problématique considérable, donc, sur laquelle les acteurs des services de soins spécialisés et d’éducation à domicile (Sessad) ont choisi de revenir lors de leurs journées nationales organisées les 12, 13 et 14 novembre derniers à Nantes.

Logiques en tuyaux d’orgue

Durant un atelier consacré à ce sujet, Patricia Fiacre – membre du Centre régional d’études, d’actions et d’informations (Creai) de Nouvelle Aquitaine – a rappelé les grandes lignes de ce rapport, à commencer par les réels obstacles à quantifier et à qualifier ce phénomène, du fait de l’hétérogénéité des handicaps, de leur intensité et des troubles associés. D’autant que c’est parfois le fait d’être en situation de handicap qui a fragilisé la situation familiale et parfois l’inverse, des enfants en contexte très perturbé pouvant être atteints dans leur développement.

Les effets de cette double peine, eux, sont aisément repérables : « Il y a une forme de déni des droits de ces enfants tant en terme de santé, que de scolarité ou de vie familiale, a résumé Patricia Fiacre. Ils sont victimes de l’incapacité des institutions à dépasser des logiques en tuyaux d’orgue ». D’où un morcellement des parcours et des prises en charge, dont témoigne parfois la juxtaposition pour un même enfant de six outils de projets différents !

Face à ces constats, le rapport préconisait entre autres la systématisation des liens entre l’ASE et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), la réalisation de diagnostics de territoire partagés pour mettre en rapport les besoins des enfants et l’offre existante, la sensibilisation au handicap des acteurs de la protection de l’enfance et de l’Education nationale, l’évaluation du handicap dès la phase de traitement de l’information préoccupante, ou encore la création de places en établissements spécialisés et d’équipe mobiles en appui des structures non étiquetées handicap.

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

Découvrir tous les contenus liés
Une tendance à se renvoyer la balle entre les soins, le médico-social et l’ASE

Où en est-on trois ans plus tard ? À entendre les échos du sujet dans la salle, beaucoup de désarroi demeure face à ces enfants, avec une tendance à se renvoyer la balle entre les soins, le médico-social et l’ASE. « L’insupportable que ces jeunes vivent rejaillit sur les professionnels qui du coup ont tendance à rejeter la faute sur l’autre institution. La difficulté de ces prises en charge renforce les clivages », expliquait ainsi Cindy Rouvrais, chef de service au Sessad Itep Henri Wallon (85).

Les représentations d’un secteur à l’autre n’aident pas. Ancien professionnel du secteur de l’ASE, Julien Joufflineau a pu en faire l’expérience. Au Sessad Geist (53) où il est aujourd’hui chef de service, un quart des enfants bénéficient d’une mesure éducative. Et aux récriminations qu’il entendait dans son précédent poste vis-à-vis du secteur du handicap (« On n’a pas les mêmes moyens ! », « ils ont beaucoup plus de temps que nous ! », « Soutenir une demande de Sessad ? Il y a tellement d’attente alors que c’est maintenant qu’il faudrait intervenir »…) s’en sont substituées d’autres, au sujet de l’ASE cette fois : « ils ne voient pas assez les familles, donc à quoi ça va servir de faire appel à eux ? », « le handicap n’est pas leur priorité », « ils ne nous mettent pas toujours au courant des changements importants pour l’enfant »…

Pour sortir de ces blocages, le chef de service a fait le choix, avec l’accord des parents concernés, d’entrer rapidement en contact avec les partenaires de la protection de l’enfance, pour identifier les objectifs d’intervention de chacun, organiser des rendez-vous conjoints, lancer des invitations aux réunions du Sessad et participer aux réunions externes. « On forme parfois aussi des professionnels sur des questions qui ont trait au handicap », précise-t-il.

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

Je télécharge gratuitement
Protocoliser les coopérations

La preuve que tout n’est pas bloqué. Pour autant, les professionnels des Sessad présents dans l’atelier ont exprimé le sentiment que la qualité de leurs relations avec l’ASE dépendait souvent de bonnes volontés individuelles, et souligné que cela reste trop peu institutionnalisé. D’aucuns décrivent de mauvaises expériences : « des informations partagées avec des professionnels de l’aide sociale à l’enfance se sont retrouvées dans les rapports envoyés au juge, sans que nous en soyons informés. Cela nous a mis en porte-à-faux avec les parents. Maintenant, notre hiérarchie nous demande de ne plus rien transmettre », a témoigné une participante. À l'inverse, Julien Joufflineau a évoqué des situations où malgré des réunions partenariales, les connaissances apportées par un Sessad très investi auprès d'un jeune n'étaient jamais relayées auprès du juge des enfants.

« Il faudrait se servir de situations qui fonctionnent bien pour initier des échanges, favoriser le lien, mais aussi protocoliser des coopérations, pour éviter qu’elles ne fonctionnent que grâce à tel travailleur social qu’on connaît bien », a-t-il ainsi proposé.

Faire appel à des tiers

Le recours à un tiers peut aussi aider. L'« équipe mobile ressources » Jeunesse et Avenir, en Loire-Atlantique (44) a été créée par deux associations de protection de l’enfance et deux du médico-social, suite à un appel à projet. Une co-construction déjà symbolique. Le dispositif ne s’adresse volontairement pas aux enfants, mais aux équipes, pour favoriser les décloisonnements institutionnels, être un pôle ressources, éviter les orientations inadéquates en sécurisant chacun. « Notre position tierce aide chacun à remettre sa pensée en mouvement, à redéfinir quel sens son action est censée avoir auprès de l’enfant et à réfléchir aux moyens de se coordonner pour éviter que tout se délite, explique le responsable de l’équipe mobile ressources, Mathieu Mousset. Parfois, il y a pour chacun des pas de côté à faire dans l’intérêt de l’enfant, qui relève de l’ensemble de nos structures ».

Remettre du sens pour chacun

C’est d’ailleurs cette notion d’intérêt de l’enfant qui peut permettre de sortir des rivalités pour se centrer sur l’essentiel et remettre du sens pour chacun. « Il est ainsi très utile d’évaluer conjointement les besoins de l’enfant, tels que chaque partenaire les a identifiés. Pour sortir de notions simplistes telles que : « il a besoin d’un IME », et objectiver quelle nature d’accompagnement serait vraiment nécessaire », a ainsi renchéri Patricia Fiacre, s’appuyant sur les enseignements du rapport de 2015. L’équipe mobile encourage les partenaires à s’autoriser parfois à définir dans une situation donnée, que l’un d’eux va chapeauter l’action et les rencontres autour d’un enfant. « Mais, encore faut-il avoir le temps pour penser et se dire ces choses ».

D’où l’utilité de tout ce qui peut institutionnaliser la mise en lien des partenaires sur un territoire, et ce le plus en amont possible. Dans la salle, plusieurs intervenants ont mentionné la création de services portés par des acteurs des deux champs, comme ce dispositif vendéen d’hébergement accueillant des situations complexes sans solutions en familles d’accueil, et qui a associé le médico-social, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et la pédopsychiatrie. Patricia Fiacre a par ailleurs évoqué le développement par les Creai de formations interinstitutionnelles entre professionnels du handicap et de l’ASE. Des stages croisés de 35 heures ont été proposés dans le Pas-de-Calais et ont été plébiscités. Un travail serait par ailleurs en cours pour favoriser l’évaluation conjointe des enfants par l’ASE et les MDPH, au moment d’une information préoccupante. À suivre.

 

Sur la problématique des signalements abusifs de parents d'enfants autistes à la protection de l'enfance, relire aussi : À qui peuvent se vouer les familles d'enfants autistes ?, article paru dans TSA magazine de septembre 2016.

Laetitia Darmon
Vous aimerez aussi

Nos engagements