Rendre les habitants plus accueillants avec les étrangers : telle est la mission de Christine Sauvé, aux Etats-Unis. Cette professionnelle nous explique son "macro travail social", mené dans la région de Détroit, afin de favoriser la cohésion sociale au pays de Donald Trump.
Accompagner des migrants, afin de faciliter leur installation, puis leur intégration ? La mission est plutôt classique pour les travailleurs sociaux. Au Nord des Etats-Unis, Christine Sauvé se tourne, elle, vers les habitants du Michigan, pour tenter de les rendre plus ouverts aux nouveaux-venus. Salariée pour le projet associatif Welcoming Michigan, elle exerce dans la région de Détroit, qui est la mégapole la plus pauvre des Etats-Unis. A vrai dire, pas plus de 6 % des habitants de la ville, intra-muros, sont nés à l’étranger – en Amérique latine, mais aussi au Bangladesh, dans les Caraïbes, en Afrique de l’Ouest ou au Laos. Mais dès qu’ils en ont les moyens, les migrants tendent à s’installer dans les immenses banlieues pavillonnaires, où Christine Sauvé intervient également. Elle nous dévoile son travail « d’organisatrice multiculturelle » dans le contexte des Etats-Unis (1).
En tant que travailleuse sociale, comment parvenez-vous à promouvoir la tolérance parmi les habitants du sud-est du Michigan ?
Nous menons trois types d’actions. Notre premier travail consiste à sensibiliser les leaders locaux. Nous renforçons leur capacité à soutenir l’immigration, et à transmettre, à leur tour, le message que les immigrants devraient être bien intégrés dans notre communauté. Nous visons par exemple des élus, des pasteurs, des prêtres, des responsables d’association, ou d’école… Quand on les rencontre, ils ne sont pas toujours convaincus. Ils peuvent même avoir de nombreux stéréotypes : nous leur proposons alors des formations, pour leur apporter des vérités et des faits précis sur la question.
De plus nous créons des opportunités de rencontres entre les immigrants et les natifs des Etats-Unis. Par exemple nous organisons des cours de cuisine, donnés par des chefs volontaires d’origine étrangère, afin qu’ils partagent leurs recettes, et surtout, racontent leur histoire. C’est une méthode puissante pour faire reculer les préjugés. Réunir ces gens leur permet de se construire une relation, de se comprendre, de se respecter. La chercheuse Rachel Godsil, par exemple, l’a bien montré.
Enfin la communication est notre troisième champ d’intervention. Sur Fox news et bien d’autres médias, les messages négatifs dominent en matière d’immigration. Pour les contrecarrer, nous utilisons donc les réseaux sociaux, mais aussi des affichages publics, pour souligner par exemple que « quand le Michigan fait bon accueil aux immigrants, le Michigan prospère »…
Ces actions paraissent-elles efficaces ?
Cela améliore le climat général. Comme nous l’avons mesuré, nous avons déjà atteint 8 000 habitants en trois ans. Nous menons également des enquêtes pour inviter les gens à évaluer leur changement d’attitude, sur une échelle de 1 à 5 : ils progressent, même s’il reste beaucoup à faire. Avec d’autres organisations, nous avons aussi obtenu que dix collectivités territoriales du Michigan améliorent leur accès linguistique, au profit des migrants et réfugiés qui ne parlent pas l’anglais.
Avez-vous eu des déceptions ?
Malgré trois années de travail dans une ville de la banlieue de Détroit, nous y avons vu des riverains se mobiliser contre un projet de mosquée, et hurler des choses horribles contre les musulmans. La situation était complexe : beaucoup de ces manifestants étaient eux-mêmes des immigrants, venus d’Irak ; ils étaient chrétiens chaldéens. En tant que travailleurs sociaux nous comprenons le traumatisme qu’ils ont pu vivre là-bas. Mais aux Etats-Unis nous respectons toutes les religions, et les musulmans ne doivent pas être confondus avec Daech ! Manifestement nous ne parvenons pas à atteindre tout le monde…
Le travail social que vous exercez se fait-il donc toujours à l’échelle de ce territoire ?
Oui ! Aux Etats-Unis nous distinguons deux types de travail social. Le « clinique » vise davantage la thérapie et la relation individuelle - par exemple à travers la gestion de cas, le conseil – mais aussi les actions de groupe. Pour ma part, je suis diplômée en « macro travail social ». Cela revient alors à travailler comme « organisateur de communauté », ou à gérer une association, ou encore à développer de la collecte de fonds…
Ici en réalité, nous n’avons pas de financements publics et nous manquons de personnel : je fais donc un peu de tout ! Mais notre projet relève bien de « l’organisation communautaire ». Cette approche a pour modèle traditionnel l’action de Saul Alinsky. Sa démarche était politique : il s’agissait de développer le pouvoir des communautés, face aux pouvoirs traditionnels. Cette logique, très populaire dans les années 60 et 70, pouvait mener à de la confrontation, dans une logique parfois marxiste. Mais aujourd’hui des innovations sont apportées à ce modèle, notamment avec « l’organisation multiculturelle ». Et c’est ce que nous mettons en œuvre ici.
(1) L’interview a été réalisée en anglais en septembre 2015.