Béatrice Bursztein, avocate : "Il faut associer les élus de la CSSCT et du CSE tout au long du processus de reprise du travail"

Béatrice Bursztein, avocate : "Il faut associer les élus de la CSSCT et du CSE tout au long du processus de reprise du travail"

28.04.2020

Représentants du personnel

Comment les élus du personnel peuvent-ils agir pour s'assurer que les salariés vont reprendre en toute sécurité le chemin du bureau, de l'atelier ou de l'usine ? Quelle peut-être l'action du CSE ? A quoi faut-il s'attendre de la part des employeurs dans les semaines et mois à venir ? Béatrice Bursztein , avocate associée chez LBBa, cabinet spécialisée dans la défense des CSE, syndicats et salariés, nous répond.

Quels effets va produire l'arrêt de la disposition suspendant les délais normaux pour les PSE ou les ruptures conventionnelles ?

Le premier décret que vous évoquez annule la suspension des délais qui sont pour l'essentiel des délais administratifs relatifs notamment à l'homologation et à la validation des PSE (plan de sauvegarde de l'emploi) et à l'homologation des ruptures conventionnelles. Les délais normaux sont donc rétablis. S'il devait y avoir des PSE mis en oeuvre à la reprise d'activité, dès la sortie du confinement, l'administration sera saisie à la fin des consultations sans attente supplémentaire. La Direccte dispose, rappelons-le, de 15 jours pour valider ou non un accord collectif sur un PSE et de 21 jours pour homologuer ou refuser un PSE unilatéral.

Comment ce texte va-t-il s'articuler avec les nouveaux délais de consultation réduits du CSE ?

Nous attendons le décret qui réduira, en application de l'ordonnance du 22 avril 2020, les délais de consultation du CSE pour les sujets liés au Covid-19, sachant que certaines fuites font état d'un délai de 8 jours (lire notre article).

 Le texte de l'ordonnance est très flou

 

Le problème est que la formule utilisée par l'ordonnance est très floue : tous les sujets en lien avec le Covid-19 pourraient être concernés par la réduction de ces délais. Je pense néanmoins que cela ne visera pas les délais de consultation du CSE en cas de PSE. Ces délais ne sont pas calendaires mais dépendent du nombre d'emplois mis en cause par le PSE : le CSE est informé et consulté dans des délais qui vont de 2 mois pour 10 à 99 licenciements, 3 mois pour 100 à 249 licenciements et 4 mois à partir de 250 licenciements.

Que pensez-vous de cette réduction des délais de consultation du CSE ?

S'il s'agit de raccourcir les délais pour la seule reprise d'activité, cela peut s'entendre eu égard à l'urgence. Mais c'est à mon sens une mauvaise façon d'aborder les choses. Pour une reprise d'activité, ce qui compte, ce n'est pas simplement d'avoir été consultés avant la reprise mais de suivre ensuite concrètement, une fois que les choses se mettent en place, quelles améliorations il faut apporter pour garantir la sécurité des salariés et des conditions de travail satisfaisantes. Ce n'est pas en consultant simplement le CSE "à froid", sans avoir bénéficié, comme l'a exprimé la cour d'appel de Versailles au sujet d'Amazon, "des apports essentiels des retours d'expérience", que l'avis de l'instance va être très nourri, cela risque d'être très formel.

Que préconisez-vous ?

Il faut associer les élus de la commission santé, sécurité, conditions de travail (CSSCT) et du CSE lui-même tout au long du processus de reprise du travail. Car la reprise sera sûrement très progressive dans les entreprises. Chaque arrivée d'une nouvelle catégorie de personnel sur les lieux de travail doit donner lieu à une évaluation de la situation. En outre, les conditions de travail vont être affectées en raison des gestes barrière à respecter mais aussi de la charge de travail à effectuer, le gouvernement ayant ouvert la voie à une durée du travail plus élevée dans certains secteurs.

Cette situation nécessite des retours d'expérience et une expertise faite dans les conditions réelles

 

Tout cela nécessite qu'il y ait, à chaque fois, des retours d'expérience. Se pose en outre la question de l'expertise liée à une modification importante des conditions de travail. Un expert ne va pas pouvoir analyser clairement les situations de travail avant la reprise, et a fortiori dans un délai très court puisque le décret annoncé sur le CSE traitera aussi des conditions de déroulement des expertises. Je défends l'idée d'une consultation/accompagnement du CSE sur plusieurs mois, tout au long de la reprise de l'activité et du travail sur place, afin que les choses puissent être ajustées à la demande des salariés et de leurs représentants.

A la lumière de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles sur Amazon, qu'est-ce que doit faire l'employeur pour garantir la sécurité de ses salariés lors de la reprise du travail dans l'entreprise ?

L'un des gros apports de l'arrêt est le rappel de la nécessaire actualisation du document unique d'évaluation des risques (DUER). Mais l'arrêt rappelle aussi l'obligation faite aux entreprises de mettre en place des "gestes barrière", comme la fourniture de masques, de savons, de gels hydroalcoolique, mais aussi de respecter les distances physiques entre les personnes, ce qui en fonction des métiers n'est pas toujours évident, pensez à une ligne de production par exemple. A ce sujet, l'arrêt dit clairement que l'entreprise doit pouvoir bénéficier de "l'apport essentiel des retours d'expériences" notamment de la part des salariés. Pour moi, il s'agit encore une fois d'un principe qui s'applique tout au long de la reprise d'activité. 

Avec cette difficulté pour les élus de CSE de pouvoir aller sur le terrain au contact des salariés...

Nous sommes dans des circonstances exceptionnelles. Ne peut-on pas dire, à l'occasion de cette consultation sur les conditions de reprise de l'activité, que les suppléants du CSE, mais aussi les représentants de proximité lorsqu'ils existtent, ont un rôle à part entière à jouer ? Tout dépend bien sûr de la taille de l'entreprise et de l'accord éventuellement en vigueur mais la situation me paraît appeler des moyens exceptionnels pour le CSE.

Le droit de retrait risque de retrouver toute son actualité !

 

Je suis persuadée que c'est aussi l'intérêt de l'entreprise. Au moment de l'arrivée du coronavirus, on disait que le droit de retrait était très discutable dès lors que l'employeur avait mis en oeuvre l'ensemble des dispositifs de protection. Il en ira différemment demain s'il est impossible aux élus qui constatent des problèmes lors de la reprise de faire part à l'employeur de ces retours d'expérience : là, le droit de retrait risque de retrouver toute son actualité !

Conseillez-vous la négociation d'un accord de reprise d'activité ?

Oui, et cet accord devrait aussi, précisément, porter sur les conditions de l'association des élus de la CSSCT et du CSE à la réflexion sur les conditions de reprise. Peuvent être négociées les modalités de consultation du CSE sur l'aménagement des délais d'expertise tout au long du processus. Pourquoi ? Pour permettre l'examen concret des différentes situations de travail après la reprise, via des réunions avec compte-rendu systématique, ou des points réguliers assez souples avec au moins un rendez-vous par semaine par exemple, etc. Un accord aura l'intérêt de remettre tout à plat.

La construction d'un plan d'action adapté ne peut pas se faire de façon purement verticale

 

Mais, la construction de plans d’actions adaptés et efficaces ne peut pas se faire dans une démarche seulement verticale. Il pourrait donc être préconisé de mettre en place des espaces de dialogue social au plus près du terrain pour identifier les problèmes et faire remonter les solutions qui marchent, au niveau de chaque service, chaque atelier, chaque ligne de production...Quand ils ont été créés et en fonction de la mission dont ils sont chargés, les représentants de proximité pourraient être mis à contribution. Mais, même dans les entreprises qui n’en sont pas dotés, le dialogue doit être recherché au plus proche des salariés afin qu’émergent des solutions, coconstruites avec le CSE et/ou la CSSCT, adaptées aux besoins réels. Pour qu’un telle démarche fonctionne, il faut que l’entreprise accorde le temps nécessaire aux salariés et à leurs représentants et que s’exerce un droit à l’expression directe et collective rénové.

Il appartient à l'employeur de veiller à la santé et à la sécurité des salariés...
Oui, mais chaque salarié doit aussi veiller à sa propre sécurité et s'assurer que ses propres actes ne portent pas atteinte à la sécurité des autres. Cela étant dit, j'ai été très étonnée par les multiples déclarations de la ministre du Travail disant que l'obligation de sécurité pour l'employeur était une "obligation de moyen". Comme si elle voulait absolument exonérer de toute responsabilité future les directions en disant : "Dès lors que vous avez consulté une première fois votre comité, donné des masques, du savon et du gel, et dit qu'il fallait respecter les gestes barrières, vous êtes tranquilles". Je pense que c'est un peu réducteur...
Comment les élus du CSE peuvent-ils s'assurer que les salariés peuvent reprendre l'activité dans les lieux de travail en toute sécurité ?

Première chose, vérifier si l'employeur a bien prévu les gestes barrière, et s'assurer ensuite qu'ils sont bien appliqués. Il se peut que de belles consignes sur le papier ne soient pas suivies d'effet, parce que les masques ne sont pas arrivés, par exemple, ou simplement parce que la reprise est prioritaire sur tout le reste. Les élus ne doivent pas non plus hésiter à alerter l'inspection du travail. Même si on a, en général, du mal à la joindre, sur ces questions de santé et sécurité au travail, elle peut être très présente et réactive. Il ne faut pas se bercer d'illusions : il y aura des problèmes. Tout le monde va apprendre en marchant, mais il ne faut pas que la santé et la sécurité des salariés en pâtisse.

Pensez-vous que la situation dans quelques mois sera, dans les entreprises, radicalement différente de ce qu'elle était avant la crise sanitaire ?

Je ne sais pas. Les entreprises qui refusaient à leurs salariés des demandes de télétravail occasionnel vont avoir du mal à continuer à pouvoir tenir ce discours. Certaines pratiques vont devoir changer : je pense à une entreprise qui autorisait le télétravail mais en faisant signer un chèque de caution au salarié en échange de la fourniture d'un ordinateur !

 Il pourrait y avoir davantage d'accords de performance collective

 

D'autre part, la question du maintien de l'organisation en open space du travail dans le tertiaire peut aussi se poser. Après, il y aura sûrement une volonté des directions de rattraper le chiffre d'affaires perdu, voire de reprendre de façon plus sévère les projets de réorganisation qu'elles envisageaient avant la crise, et certaines pourront être tentées de faire baisser les rémunérations. Je m'attends à une recrudescence des accords de performance collective. Il va être très compliqué d'avoir à la fois une charge de travail qui augmente et des effectifs en diminution. Il va y avoir des secousses.

Au sujet de l'activité partielle, le dernier texte publié par le gouvernement autorise-t-il un employeur à placer un élu en activité partielle à titre individuel ?

Jusqu'il y a peu, on considérait qu'il fallait l'accord d'un salarié protégé pour qu'un employeur puisse le placer en chômage partiel, mais le gouvernement a fait évoluer les textes à la faveur de cette crise sanitaire. Dès lors que le critère de choix de l'employeur n'est pas le mandat de représentation du salarié, mais se rapporte au métier ou au service auquel appartient le salarié protégé, et dès lors qu'il s'agit de critères objectifs, je pense que le fait d'avoir un mandat ne protège pas le salarié de cette mesure de chômage partiel.

Tout ces textes touchant au droit du travail, présentés comme provisoires, vont-ils effectivement s'éteindre après la fin de la crise sanitaire ?

Pour l'instant, leur durée est limitée. J'espère que la remise en cause du caractère préalable de la consultation du CSE à l'occasion de la demande d'activité partielle ne va pas donner des idées autres, même si certains textes européens nous protègent à cet égard. Il ne faudrait pas transformer le CSE en chambre d'enregistrement.

 

► Retrouvez dans notre dossier spécial Covid-19 nos articles sur :

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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