Bérenger Cernon, des voies de la SNCF aux voix de l'Assemblée

Bérenger Cernon, des voies de la SNCF aux voix de l'Assemblée

14.07.2024

Représentants du personnel

A 36 ans, le cheminot Bérenger Cernon, qui conduit les trains des lignes D et R en région parisienne, a été élu député (LFI, Nouveau Front populaire) de l'Essonne en battant Nicolas Dupont-Aignant. Quel est le parcours de ce responsable syndical CGT qui dit aimer le contact avec les gens ? Comment voit-il son mandat et la situation politique ? Ses réponses.

En 2022, les législatives avaient propulsé à l'Assemblée nationale quelques profils d'employés et d’élus du personnel, tels les anciens secrétaires de CHSCT Ségolène Amiot et Andy Kerbrat (lire notre article). Deux ans plus tard, la dissolution apporte à son tour un certain renouvellement, avec notamment six ouvriers qui vont siéger au palais Bourbon.

Trois portent les couleurs du Rassemblement national, trois autres celles de LFI et du Nouveau Front populaire.

Une donne qui n'étonne pas Bérenger Cernon, qui conduit des trains en région parisienne pour la SNCF : "Nous allons vivre la législature la plus importante de la Ve République. Le vote RN est celui qui a le plus progressé, notamment chez les ouvriers. La gauche a déçu. Les électeurs lui donnent une dernière chance. Mais maintenant, il faut du concret. Si on veut affaiblir le RN qui aime bien se victimiser en se présentant comme en dehors du système, il faut proposer des mesures sociales, sur le Smic, sur les salaires...C'est seulement avec ça qu'on pourra combattre le discours d’extrême droite".

 Dimanche, j'avais le choix entre aller à la pêche et aller à l'Assemblée

 

 

Derrière ce propos très politique, le nouveau député, déjà remarqué pour sa boucle d'oreille et une expression très directe, ne manque pas d'humour quand on l'invite à se présenter : "Je suis quelqu'un de super simple. J'avais le choix entre aller à la pêche et aller à l'Assemblée un dimanche, j'ai choisi l'Assemblée". Bérenger Cernon aime effectivement pêcher, et jouer au tennis de table, et il espère bien continuer de le faire si son mandat de député et son fils de 6 ans lui laissent un peu de temps. Il dit surtout aimer nouer des liens avec les gens, ce qui l'a amené au syndicalisme puis à la politique.

Chez moi, on a toujours parlé politique et syndicalisme 

 

 

Après une année à la fac qui ne lui "botte pas plus que ça", Bérenger Cernon poinçonne son billet d'entrée à la SNCF en 2007, l'année de l'arrivée à l'Elysée de Nicolas Sarkozy. Pas vraiment un hasard : "Mon grand père avait été cheminot, j’avais quelques connaissances à la SNCF".

Il devient conducteur de train, se familiarise avec une entreprise dont les agents ont alors, ce qui l'impressionne, le service public chevillé au corps. Il rejoint ensuite presque naturellement la CGT. Parce que chez lui, on a toujours parlé syndicalisme et politique. Et parce que le syndicat sait être souvent au contact des agents, notamment après leur formation initiale. De fil en aiguille, il devient secrétaire général CGT à la gare de Lyon, avant de rejoindre la région sud-est de Paris où il prend en charge les questions de formation.

Les mandats syndicaux montrent l'envers du décor

Ces mandats syndicaux, nous raconte-t-il, lui montrent l’envers du décor : "Il y a d’un côté le discours de la direction et ce qui se passe sur le terrain. Il y a aussi l’arrière-salle, avec les discussions avec les syndicats où l’on voit ce qui est réellement porté par l’entreprise. Et ces mandats permettent de rencontrer des dirigeants auxquels je n’aurais pas eu accès en restant simplement conducteur". Et Bérenger Cernon de souligner l’attitude différente, à l’égard des agents et des représentants syndicaux, des PDG Guillaume Pépy et Jean-Pierre Farandou : "Avec Farandou, on a subi le changement de statut, mais il y avait moins de paillettes et moins de bashing anti-cheminots".

Financièrement, la SNCF se porte bien. Mais pas ses agents ni son service aux usagers

 

 

Sur le sujet de la SNCF, Bérenger Cernon est volubile. "L’entreprise a dégagé plus d’un milliard de bénéfices l’an dernier. Donc financièrement, on se porte bien. Par contre, socialement parlant en interne, et au niveau de la réponse apportée aux usagers, on n’est pas vraiment très bien", pointe le nouveau député. Qui énumère : la perte du lien qui attachaient les salariés à l'entreprise et qui entraîne des démissions nombreuses, des agents ne reconnaissant plus l’entreprise de service public, etc.

De plus en plus morcelée, l'organisation dégrade à ses yeux la qualité du travail mais aussi les conditions de travail. Celles-ci lui semblent bien moins suivies depuis que les CSE et leurs CSSCT (commission hygiène, sécurité et conditions de travail) ont remplacé des CHSCT autrefois beaucoup plus nombreux sur le territoire.

 Avec les DP et les CHSCT, nous avions avec les syndicats des instances fortes, un vrai contre-pouvoir

 

 

"En délégué du personnel et en CHSCT, nous pouvions jouer un vrai contre-pouvoir, nous étions respectés. La direction craignait ces instances et les syndicats. Aujourd’hui, les CSE sont devenus des chambres d’écoute et les CSSCT n'ont plus la proximité avec le terrain qu’avaient les CHSCT. Sur mon périmètre, nous avions un CHSCT pour le matériel, un pour les agents commerciaux, un pour la traction, chaque métier et domaine était traité", compare-t-il.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Cette évolution de l’entreprise a-t-elle un rapport avec le choix du syndicaliste de s’engager en politique dans un mandat législatif ? Bien sûr, répond Bérenger Cerdon, qui met en avant deux évolutions à la source de son engagement : "La suppression du statut de cheminot et la réforme des retraites ! "

A ses yeux, les arguments développés par les politiques pour justifier ces deux réformes dénotaient une méconnaissance de la SNCF et des métiers de ses agents : "Les cheminots, c’est tout sauf des fainéants et des irresponsables. Dans nos métiers, la moindre boulette peut provoquer un accident grave".

La sortie de Bruno Le Maire contre l'accord des fins de carrière à la SNCF, c'était inacceptable 

 

 

Et ce n’est pas la remise en cause, par Bruno Le Maire, du récent accord entre les quatre syndicats représentatifs et la direction de la SNCF au sujet des temps partiels et des fins de carrière, qui l’a rassuré : "Nous négocions pendant des mois, le cabinet du Premier ministre est dans la boucle, on arrache cet accord, et on nous fait ensuite une sortie comme quoi c’est inacceptable ! Alors que tout le monde sait que travailler dans les mêmes postes jusqu’à 64 ans avec nos horaires, la pénibilité et nos conditions de travail, c’est impossible".

Autre élément qui a joué dans son choix de prolonger son mandat syndical sur le terrain politique : la perspective de mise en concurrence de la SNCF, qu’il souhaite combattre, y compris en revenant sur la nouvelle organisation juridique de la SNCF.

 La SNCF devrait redevenir un Epic

 

 

"Nous sommes devenus une SA, une société anonyme (*). Pourquoi ? Pour préparer l’ouverture à la concurrence de nos activités. Je pense que nous devrions revenir à un statut d’entreprise publique, à un Epic (établissement public, industriel et commercial), avec une entreprise unique et un monopole public. C’est pour ça que j’ai parlé de renationaliser la SNCF", argumente-t-il.

Et le militant syndical de prendre son propre exemple : "Je suis conducteur sur les lignes D et R et la ligne R doit s’ouvrir dès 2027 à la concurrence. Nous sommes en juillet 2024 et nous ne savons toujours pas ce qui va se passer et à quelle sauce nous allons être mangés. Va-t-on être transférés chez Transdev ou Keolis ?! C’est vachement stressant".  

Le député veut contribuer à réhabiliter la politique

Comment le cheminot voit-il son mandat de député ? Sur le fond, Bérenger Cernon entend participer à une certaine réhabilitation de la politique, qu’il voit très décriée autour de lui. "Montrer qu’on peut gagner sans avoir fait de grandes études, qu’on est fier d’être un cheminot à l’assemblée. Si on peut donner envie aux autres de militer et s’investir…"

Mais sa feuille de route, c’est plutôt ses camarades et ses collègues qui la lui ont dressée, en l’abreuvant dès son élection de nombreux messages, du genre : "Faut que tu fasses quelque chose pour le fret, hein !" Son objectif premier est donc "d’arrêter le plan de discontinuités de la SNCF", c’est-à-dire le transfert au privé de marchés du fret ferroviaire, l’Etat ayant été accusé de trop subventionner l’entreprise publique.

Je sais que ça ne va pas être simple ! 

 

 

Pour le reste, le député novice ignore le quotidien qui l’attend : "Je sais ce que ça ne va pas être simple, surtout dans ma circonscription (Ndlr : il a battu Nicolas Dupont-Aignan dans la 8e circonscription de l'Essonne) où toutes les villes sont détenues par la droite. Mais j’ai un avantage : j’ai toujours milité, je sais ce qu’est un travail de terrain, d’aller voir les gens, de prendre le temps de discuter". Et au sein de l’assemblée ?  Pour l’heure, le syndicaliste ne sait pas encore dans quelle commission il siègera. A son groupe (LFI, la France insoumise), il a indiqué trois préférences : le développement durable, les affaires économiques, les affaires sociales.

Comment le nouveau député voit-il la situation politique actuelle ? Il tient le président de la République pour responsable de la confusion du moment : "Après avoir provoqué ces élections, il refuse de nommer un Premier ministre du Nouveau Front populaire alors que c’est la première force politique du pays. C’est quand même un peu fort de café, et c’est bien que les organisations syndicales l’aient dit aussi !"

En revanche, Bérenger Cernon se montre patient quant au choix d’un nom que sa coalition pourrait proposer comme Premier ministre : "LFI est agitée comme un épouvantail mais je ne me fais pas de bile. On a réussi à se mettre d’accord en quelques jours sur un programme, alors on va bien pouvoir s’entendre sur un gouvernement. La rentrée parlementaire, c’est le 18 juillet. D’ici là, on verra si on a la fumée blanche".

 

(*) Une réforme conduite en 2018 lorsque Edouard Philippe était Premier ministre, et critiquée par les syndicats (interrogés par la CGT lors d'un référendum, les agents de la SNCF s'étaient largement montré hostile à la réforme ferroviaire) et par certains experts, lire notre article 

Bernard Domergue
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