Président de Sowo, un club de dirigeants du travail social du Nord-Pas de Calais, Christophe Itier explique pourquoi les associations doivent faire leur mue pour être mieux considérées par les financeurs. Il revient également sur la situation dans le Nord : d'accord pour faire des économies à condition de s'appuyer sur l'expertise et la capacité d'innovation des associations.
Le Nord est sans doute l'un des départements, avec la Seine-Saint-Denis, les plus fragilisés par l'effet de ciseaux observé avec l'envolée des allocations individuelles, notamment du RSA, et la baisse des dotations (lire notre dossier). Prenant le taureau par les cornes, le nouveau président (divers droite) Jean-René Lecerf a lancé un vaste mouvement de réduction des dépenses qui doit toucher les établissements médico-sociaux dans le domaine des personnes âgées et du handicap, les allocataires du RSA qui sont appelés à s'inscrire dans une logique d'insertion professionnelle (sous peine de réduction, voire de suppression, de leur revenu) et surtout le champ de la protection de l'enfance. Le conseil départemental entend réorienter la politique en la matière qui a historiquement privilégié le placement des enfants par rapport aux solutions éducatives. Directeur général de la Sauvegarde du Nord (1 500 salariés) et responsable du club de dirigeants Sowo, Christophe Itier explique la méthode alternative qu'il propose au département et plus généralement, les évolutions de fond qu'il préconise pour le secteur associatif.
tsa : Commençons par le commencement. Sowo, c'est quoi exactement ?
Christophe Itier : Ce n'est pas un acronyme (il y en a tellement dans notre secteur), mais simplement une marque qui claque. Comment est né notre club ? A l'été 2014, nos associations gestionnaires étaient confrontées à des retards de plus en plus importants de paiement par le conseil général. Le retard atteignait les 90, voire les 120 jours, ce qui plaçait nos structures dans de sérieuses difficultés. J'ai pris l'initiative de réunir d'autres directeurs de structures pour envisager une réaction commune. Ce problème de trésorerie a débouché sur la constitution de ce club de dirigeants.
Avec quels objectifs ?
Sowo entend remplir plusieurs missions. D'une part, nous permettons à des professionnels (nous sommes une trentaine, responsables en tout de 10 000 à 15 000 salariés) de se rencontrer et d'échanger sur leurs bonnes pratiques, leurs difficultés. D'autre part, nous organisons des débats ouverts à tous, par exemple sur les fonds européens ou la protection de l'enfance (avec la venue le 16 juin d'Emmanuelle Bercot, réalisatrice de "La tête haute"). Enfin, nous souhaitons nous faire entendre auprès des pouvoirs publics pour qu'ils comprennent que nous dirigeons des entreprises dont les impératifs de gestion sont les mêmes que n'importe quelle autre entreprise.
Mais vous travaillez dans le secteur associatif...
Tout à fait, mais nous sommes confrontés à des obligations, notamment vis-à-vis de nos salariés, comparables à celles de toute structure privée. Nous devons sortir d'une ambiguïté propre au monde associatif qui souhaite se définir comme une 3e voie entre l'entreprise et le service public. Or, du point de vue de la gestion, rien ne nous distingue d'une entreprise. Et puis, nous devenons de plus en plus des prestataires de la puissance publique.
En quoi cette ambiguïté est-elle fâcheuse ?
De fait, nos contraintes sont souvent oubliées par les financeurs. Prenez l'obligation d'attribuer une complémentaire santé à chaque salarié. Le coût pour les 1 500 collaborateurs de la Sauvegarde du Nord représente 300 000 euros l'an qui n'ont pas été budgétés par le département. On pourrait parler également du CICE qui ne bénéficie pas au secteur associatif et qui crée une distorsion de concurrence avec le secteur lucratif. Idem pour la loi Fioraso sur les stages qui n'a pas pris en compte les spécificités de notre secteur.
Votre position entrepreneuriale assumée ne choque-t-elle pas dans le secteur ?
Cela pouvait être le cas voici quelques années, mais c'est moins vrai aujourd'hui. La sécurisation de notre statut d'entreprise doit permettre de mieux assurer nos obligations en direction des salariés. Vous savez, quand on se retrouve aux prud'hommes, les juges ne font pas de différence en fonction du statut de l'employeur.
Venons-en à la situation dans le Nord. Comment appréciez-vous le serrage de vis du département ?
Nous ne contestons absolument pas la nécessité pour le département de faire des économies. Par ailleurs, nous critiquons depuis longtemps la tendance historique à prononcer beaucoup plus de mesures de placement ici qu'ailleurs. Donc nous ne nous opposons pas à la volonté du conseil départemental de développer les mesures éducatives. D'ailleurs, les structures associatives défendent des alternatives allant dans ce sens. Notre position est la suivante : il faut réduire le nombre de placements et redistribuer les moyens dégagés sur les territoires qui sont sous-dotés.
C'est à peu près ce que propose le département ?
Non pas vraiment. Nous avons deux reproches à formuler. D'une part, nous entendons parler de beaucoup de mesures d'économies, mais pas de redéploiement des moyens. Que vont devenir les enfants qui ont besoin d'être accompagnés si les 700 places d'hébergement qui doivent être supprimées sur trois ans ne sont pas remplacées par d'autres dispositifs ? D'autre part, nous n'avons aucune visibilité sur ce qui va se passer dans les prochains mois, sur les services que le département compte fermer. Cette situation d'incertitude contribue à détériorer le climat social et à inquiéter les salariés. En tout cas, vu le calendrier, les économies visées par le conseil départemental ne pourront pas être réalisées en 2016.
Que préconisez-vous ?
Il faut davantage faire confiance aux associations qui sont la solution et non le problème. Nous avons des projets pour amorcer le virage voulu par le département. Il faut absolument décider très rapidement le redéploiement des moyens humains pour éviter la casse sociale. N'oublions pas que 80 % de nos coûts sont liés à des dépenses de personnel. Il serait paradoxal que le département qui veut s'attaquer au grave problème d'emploi dans la région commence par mettre au chômage un certain nombre de travailleurs sociaux...