Colères du médico-social

Colères du médico-social

02.04.2019

Action sociale

Le chercheur Michel Chauvière et l'ancienne travailleuse sociale Christiane Henry expliquent les motivations de la pétition nationale "Urgence handicap : danger !", lancée voici quelques semaines. Ils estiment que la désinstitutionnalisation proposée est une solution dangereuse qui ne règlerait pas les problèmes des personnes handicapées, mais aggraverait la situation.

Sur l’initiative de deux collectifs : le collectif « D’une maison à l’autre » et le collectif « SOS médicosocial », une pétition nationale intitulée Urgence handicap : danger !, lancée le 1er février 2019, a déjà recueilli près de 12 000 signatures. Celles-ci émanent de parents, de professionnels et de citoyens concernés de tous les départements, y compris en outre-mer, et sont très souvent assorties de commentaires témoignant d’une grande inquiétude quant à l’avenir des actuelles institutions médico-sociales.

La pétition est destinée au Premier ministre, à la ministre de la santé et des solidarités et à la secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargé des personnes handicapées.

Il manquerait 45 000 places...

En effet, ces derniers temps, différents rapports sont en train de bouleverser le paysage général du secteur médico-social. On pense notamment au rapport de Denis Piveteau qui claironne « zéro sans solution » pour les personnes handicapées, alors même que depuis plusieurs années, les pouvoirs publics font savoir qu’il n’est plus question d’ouvrir de nouvelles places en établissements et, pire, qu’il faudrait progressivement fermer ceux qui existent. C’est d’ailleurs à cette fin que différents outils ont été imposés aux institutions : les Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (Cpom), les fiches d’activités sous prétexte de performance, les Réponses acompagnées pour tous (RAPT), la nouvelle tarification à l’activité dite Seraphin-PH, dont on connaît depuis longtemps les effets délétères dans les secteurs hospitalier et psychiatrique, etc. Ils appellent tout cela la désinstitutionnalisation, conformément du reste aux recommandations du Conseil de l’Europe de février 2010. Et pourtant, une union nationale de parents comme l’Unapei chiffrait, il y a peu, le manque de places à 45 000 !

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Les très vagues plateformes de services et de prestations

En guise de remplacement des institutions, que familles, professionnels et citoyens concernés ont eu tant de mal à concevoir, imposer, faire financer, la solution serait des plateformes de services et de prestations, sans d’ailleurs qu’on comprenne de quels services et de quelles prestations il s’agit. Et encore moins comment le raisonnement en termes de parcours pourrait se concevoir sans le support d’une place en établissement ! En tout cas, nous courons le risque de voir se développer un commerce « juteux » au lieu d’un accompagnement des soins, de l’éducation, de la scolarité mais aussi de l’habitat, de l’emploi, des loisirs… Ce qui invite déjà divers professionnels à s’installer en auto-entreprise, hors du cadre public ou associatif. Et certains dans les administrations vont même jusqu’à imaginer que ces plateformes soient entièrement dématérialisées, sans craindre ni l’inaccessibilité pour certains ni la déshumanisation pour tous.

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Intérêt des personnes ou optimisation économique ?

Tout cela au nom du droit commun, de l’inclusion et de la préservation des liens avec les familles ! S’il existe effectivement des formes d’inclusion scolaire plus ou moins réussies et suffisamment durables, toute généralisation ne peut être que dogmatique. Quant à l’inclusion par le logement dans la cité et par l’emploi dans le monde du travail, dont on a déjà largement éprouvé les limites au travers de quelques initiatives, elle exige dans tous les cas un support institutionnel pérenne et professionnel. Ce qui s’impose à l’action publique devrait donc être avant tout l’intérêt des personnes handicapées, entre institutions et familles, et non l’optimisation économique de la gestion de leurs soi-disant besoins et parcours individuels.

La charge de la représentante de l'ONU

De nouvelles charges portées contre le secteur médico-social ont été rendues publiques en février dernier. Elles émanent de la rapporteure spéciale de l’ONU sur les droits des personnes handicapées, Madame Catalina Devandas-Aguilar. Celle-ci ne craint pas d’affirmer violemment qu’« il n’existe pas de bons établissements d’accueil », que « le placement en institution d’une personne handicapée est une forme courante de privation de liberté » avant d’exiger de la France rien moins que « la fermeture de tous les établissements médico-sociaux » !

Pareilles orientations outrancières ne peuvent qu’impacter frontalement non seulement les personnes en situation de handicap, les établissements et leurs personnels spécialisés, mais surtout les familles qui ont vite compris que la totalité de la charge du handicap de leur enfant ou de leur enfant devenu adulte allait leur revenir, qu’elle soit ou non financée au titre d’« aidants ». Pour tous, c’est une régression inacceptable.

Consolider les institutions existantes

C’est pourquoi la pétition s’oppose à toute politique de désinstitutionnalisation quand elle entraîne la fermeture d’établissements et de places ainsi que le renforcement de la responsabilité des parents. De même, elle dénonce la fausse promesse de l’inclusion, quand on connaît l’état de l’école, l’absence de politique en faveur des jeunes, le fonctionnement du marché du travail et les difficultés de l’accès au logement pour les adultes. Il faut donc préserver et consolider plus que jamais les institutions existantes, protéger les places et les accompagnements de vie qu’elles offrent et même en créer autant que de besoin.

 

Pour accéder à la pétition, cliquez sur ce lien  Urgence handicap : danger !

 

Précision : le texte de cette chronique, comme à chaque fois, n'engage pas la rédaction de tsa.

Michel chauvière Co-auteur : Christiane Henry
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