Pour la dernière conférence nationale du handicap de son mandat, François Hollande a réaffirmé que l'Etat gardait le cap sur la construction d'une société inclusive. A côté de mesures sur la titularisation des AVS et la reconnaissance de l'emploi accompagné, le Président a annoncé une stratégie d'évolution de l'offre médico-sociale, dotée de 180 M€ sur cinq ans.
La conférence nationale du handicap, c'est un peu comme une grande réunion de famille. Même si on se doute qu'on va s'y ennuyer par moment, difficile de manquer ce rendez-vous quasiment annuel (la précédente édition a eu lieu fin 2014). On a beau s'être disputé, avoir défendu des visions différentes des politiques du handicap ; il serait inconvenant de "sécher" ce moment où l'on fait le bilan de l'action écoulée (en insistant davantage sur les réussites que sur les échecs) et on trace quelques perspectives. Et puis à la CNH, on attend que le pater familias, en l'occurrence le Président de la République, sorte de son chapeau quelques nouvelles mesures, en prenant soin de n'oublier aucun secteur.
"Changement de posture"
Cette demi-journée de CNH obéit à un rituel. Cela se passe dans la prestigieuse salle des fêtes de l'Elysée, avec huissiers et tout le tintouin. Marisol Touraine et Ségolène Neuville donnent le ton en ouverture. La secrétaire d'Etat campe l'ambition des politiques du handicap : "L'efficacité de notre système, c'est-à-dire de nos institutions, des établissements et services est jugée à sa capacité à ne laisser personne au bord du chemin", assure Ségolène Neuville. On en vient tout naturellement à parler du dispositif "Une réponse accompagnée pour tous", principale nouveauté de l'année 2015. En charge de ce projet, Marie-Sophie Desaulle se félicite d'un "changement de posture" et de la mobilisation de 24 départements pour déployer ce programme. "On recherche une solution pour chaque personne en travaillant avec les autres partenaires." Elle réaffirme, à l'instar de la secrétaire d'Etat, l'importance de la participation des personnes handicapées.
"Accepter ses limites"
Justement, les trois tables-rondes qui suivent (sur le logement, l'emploi accompagné et l'éducation) associent à chaque fois une personne directement concernée. Sophie de Coatpont, atteinte de troubles bipolaires graves, raconte ainsi comment elle a pu se reconstruire professionnellement en s'appuyant sur un Clubhouse. "De petit pas en petit pas, je suis entrée en emploi, explique cette femme très volontaire. Et pour réussir à me maintenir en emploi, j'ai négocié avec mon employeur un passage à 4/5 de temps. Pour y arriver, il faut sortir de la logique de comparaison avec les autres et accepter ses limites."
Même si l'ordonnancement des débats est bien huilé, illustrant le "ça va mieux" présidentiel, quelques voix dissidentes se font entendre. Arnaud de Broca (Fnath) explique ainsi que les entreprises sont plus souvent "excluantes" que "inclusives". "L'emploi accompagné est l'arbre qui cache la forêt de la réalité de l'emploi pour les travailleurs handicapés", estime-t-il.
"Pourquoi tant de talents gâchés ?"
La réunion de famille se poursuit gentiment sans grand éclat. Tout juste est-elle troublée par les impertinences de Josef Schovanec, autiste Asperger à qui Ségolène Neuville vient de confier une mission sur l'insertion professionnelle des personnes vivant avec les troubles du spectre de l'autisme. "J'ai été gâté par la vie, dit-il loin de tout misérabilisme. Je suis un saltimbanque dans le monde de l'autisme." Mais sa situation plutôt enviable (il est l'auteur de quatre livres dont le premier "Je suis à l'Est !" a rencontré un franc succès) est plutôt une exception dans le monde des autistes."Comment se fait-il que les entreprises ne veulent pas de gens si compétents [les autistes Asperger] ? Pourquoi tant de talents gâchés ?", s'exclame-t-il devant François Hollande.
Le Président de la République rebondit sur le propos de Schovanec : "Les entreprises investissent dans l'intelligence artificielle. Pourquoi ne le font-elles pas dans l'intelligence humaine ?" Dans son discours d'une quinzaine de minutes, il rappelle le changement de perspective dans la politique du handicap. "Longtemps, elle a cherché à protéger les personnes handicapées. Aujourd'hui, elle vise à émanciper et à développer l'autonomie."
Reconnaissance de l'emploi accompagné
Après les propos généraux (et généreux), place aux annonces concrètes ! En cette fin de quinquennat, elles sont finalement assez maigres. On en retiendra quatre, d'importance très inégale. L'effort autour de l'autisme va se prolonger avec un 4e plan qui devrait être défini courant 2016 pour démarrer l'année d'après. Laconique, le président a simplement dit qu'il entendait "rassembler" autour de ce plan et donc faire taire les dissensions qui ont parasité la montée en puissance du 3e plan autisme.
Sur le front de l'emploi, en pleine journée de mobilisation sociale, François Hollande a rappelé que le projet de loi Travail reconnaît officiellement la notion d'emploi accompagné. Pour plus de lisibilité, les diverses missions de placement et de maintien dans l'emploi devraient être regroupées au sein d'un même opérateur (cela pourrait être le réseau Cap emploi).
32 000 nouveaux emplois d'AESH
En matière d'éducation, le Président n'a pas manqué de rappeler la montée en puissance de la scolarisation en milieu ordinaire : 280 000 enfants handicapés, soit un tiers de plus qu'à la rentrée 2011. Sur le dossier des auxiliaires de vie scolaire (AVS), la professionnalisation se poursuit. Après une première vague à la rentrée 2014 qui a déjà concerné 28 000 agents, 56 000 contrats aidés devraient être transformés dans les cinq ans à venir en 32 000 emplois (1) d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH).
180 M€ pour transformer l'offre médico-sociale
Mais la vraie nouveauté concerne le champ médico-social. A un an de la présidentielle, l'Etat semble décidé à investir (sans garantie que les engagements seront tenus par les nouveaux gouvernants en 2017). Les Esat qui tiraient régulièrement la sonnette d'alarme devraient bénéficier d'un plan d'aide à l'investissement à hauteur de 60 millions d'euros. Pour faire évoluer l'offre médico-sociale - dans une logique de parcours et de réponse individualisée -, une stratégie devrait être définie. Avec quelles orientations ? Le récapitulatif des annonces distribué lors de la CNH donne quelques indications : "Moyens renforcés pour répondre aux situations les plus complexes, développement des services d'accompagnement à l'appui d'un parcours scolaire, d'une vie professionnelle en milieu ordinaire, d'un logement autonome". L'Etat promet de mettre sur la table 180 millions d'euros (sur 5 ans) pour transformer l'offre actuelle (comme le soulignait dernièrement la directrice de la CNSA) et créer de nouveaux dispositifs. Enfin, un coup de pouce devrait être donné aux MDPH pour qu'elles modernisent leur système d'information qui reste largement déficient (15 M€ sont promis aux départements qui s'engageront sur cette voie).
(1) Les deux chiffres ne correspondent pas car la durée de travail d'un contrait aidé (20 h) est différente de celle d'un AESH (35 heures).