Le Parlement devrait très rapidement permettre au gouvernement de légiférer par ordonnance. Ces textes, qui pourraient être publiés dans les prochains jours, concerneront le droit du travail et le droit de la sécurité sociale. Au menu : un renforcement du pouvoir unilatéral de l'employeur sur les congés, un élargissement du dispositif du chômage partiel, de nouvelles modalités de consultation pour le CSE via la visioconférence, etc.
Hier et aujourd'hui, le Sénat et l'Assemblée examinent deux projets de loi adoptés mercredi 18 mars en conseil des ministres : un projet de loi organique et un projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19.
Le premier texte concerne la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette procédure permet à un justiciable de mettre en cause la constitutionnalité d'une disposition législative, la QPC pouvant être posée au cours de tout litige, sachant qu'il appartient au juge de transmettre cette question au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Ce sont ces juridictions qui filtrent la question et décident éventuellement de la transmettre au Conseil constitutionnel, qui tranche. Devant la crainte que les juridictions du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation ne puissent se réunir collégialement dans les délais normaux du fait de l'épidémie de Covid-19, le projet de loi prévoit la suspension du délai de 3 mois de transmission des QPC par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, ainsi que la suspension du délai d'examen également de 3 mois, dont dispose le Conseil constitutionnel. Et ce jusqu'au 30 juin 2020.
Le deuxième texte contient de nombreuses dispositions. Elles concernent d'abord le report du deuxième tour des municipales, sachant que le Conseil d'Etat estime que si ce report n'a pas lieu avant l'été, il faudra refaire toute l'élection de conseils municipaux incomplets, premier tour compris donc. Elles concernent ensuite l'urgence sanitaire à proprement parler. Il s'agit, indique l'étude d'impact, "de penser un cadre juridique à la lumière" de la crise sanitaire du Covid-19 "d'une ampleur jamais imaginée" et "qui peut se reproduire". Cet état d'urgence sanitaire, qui pourra être déclaré par décret en conseil des ministres, est valable pour 12 jours et ne peut être ensuite prolongé que par le vote d'une loi. Il donne au Premier ministre la possibilité de prendre par décret "les mesures générales limitant la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre et la liberté de réunion" et de faire procéder à réquisition "de tous biens et services nécessaires afin de lutter contre la catastrophe sanitaire", le refus de ces dispositions pouvant valoir une amende de 1 500 euros, et le refus d'une réquisition étant puni de 6 mois de prison et 10 000 euros d'amende. Le ministre de la Santé pourra pour sa part prendre toute mesure par arrêté motivé. Dans son avis sur le projet, le Conseil d'Etat demande plusieurs modifications mais ne formule pas d'objections. Enfin, le projet de loi comprend tout un volet sur la situation économique, que nous détaillons.
Dans cette partie (art. 17), le projet de loi ne fait que donner de grandes lignes de ce qui pourrait être décidé par le gouvernement. En effet, le texte habilite l'exécutif à légiférer par voie d'ordonnances, dans un délai de 3 mois (mais les textes devraient être prêts très rapidement), sur plusieurs points touchant au droit du travail et au droit de la sécurité sociale. Le sens général est de permettre l'adoption de mesures rapides destinées à atténuer les effets de la baisse d'activité et de limiter les ruptures de contrats de travail, via le recours élargi et facilité à l'activité partielle notamment. Le projet vise aussi à donner plus de pouvoir aux employeurs quant à la prise de congés des salariés. Le CSE est donc concerné directement, d'autant que ses modalités d'information et de consultation devraient être revues. Nous vous proposons sur ce sujet un tableau avec les dispositions envisagées dans le projet de loi, les éventuelles précisions de l'étude d'impact, les quelques commentaires du Conseil d'Etat ainsi que les critiques de FO, qui a passé en revue l'ensemble du projet de loi, ces commentaires montrant comment réagissent les organisations syndicales face à ce contexte et à ces projets d'adaptation.
Les principales dispositions qui feront l'objet d'ordonnances
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Disposition envisagée par ordonnance |
Précisions données par l'étude d'impact | Avis du Conseil d'Etat | Analyse de FO |
Mesures de soutien, directe ou indirecte, à la trésorerie des entreprises, de la part de l'Etat et des collectivités locales. |
"La solidarité nationale doit jouer à tous les niveaux pour limiter les conséquences de l'épidémie tant pour les entreprises que pour les salariés et permettre à l'économie française de surmonter ce moment difficile" "Il s'agit d'éviter les faillites d'entreprises saines qui n'auraient pas eu lien en l'absence de ce choc exogène"
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Ces aides sont autorisées par le traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dans la mesure où elle remédient "aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d'autres événements extraordinaires" | |
Faciliter le recours à l'activité partielle ou chômage partiel (art. L. 5122-1 du code du travail) en la rendant accessible à de nouveaux bénéficiaires (particuliers employeurs, indépendants), en augmentant le volume horaire pouvant être indemnisé et en réduisant le reste à charge versé par l'employeur. Favoriser une meilleure articulation de l'activité partielle avec la formation professionnelle et une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel. |
"Le gouvernement prendra par ordonnance toute mesure pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, pour notamment limiter les fermetures d'entreprises et les licenciements en particulier". |
"Il est prévu non pas d'interdire les licenciements mais de limiter de tels licenciements en facilitant le recours à l'activité partielle". "Il devrait être clairement stipulé que l'employeur ne peut recourir à l'activité partielle que s'il a au préalable tenté de mettre en place du télétravail" "Nous demandons la suspension de toutes les procédures en cours, a fortiori l'interdiction de licenciements dans les cas où l'activité partielle est prise en charge par l'Etat" |
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Adapter les modalités d'attribution de l'indemnité complémentaire (art. L. 1226-1 du code du travail) pour tenir compte de l'épidémie, le gouvernement ayant décidé d'ouvrir les indemnités journalières aux salariés ne pouvant télétravailler et devant garder leurs enfants à domicile. Rappel : actuellement, tout salarié (sauf les salariés travaillant à domicile, les saisonniers, les intermittents et les intérimaires) ayant un an d'ancienneté bénéficie, en cas d'arrêt de travail, d'une indemnité complémentaire à l'allocation journalière. |
"La question porte sur la diminution de l'ancienneté du salarié requise (1 an actuellement) et sur l'application aux salariés travaillant à domicile, aux saisonnier aux intermittents et aux salariés temporaires. Le fait de prévoir une modification des règles dès lors qu'il est prévu d'élargir l'indemnité complémentaire ne peut qu'être encouragé". | ||
Modifier les conditions d'acquisition des congés payés et permettre à tout employeur d'imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d'une partie des congés payés, des jours de réduction du temps de travail et des jours de repos affectés sur le compte-épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d'utilisation habituelles définies par le code du travail, conventions et accords collectifs. Rappel : actuellement, un employeur peut demander à un salarié n'ayant pas posé ses congés de les prendre, mais le salarié peut refuser. L'employeur doit définir en effet après avis du CSE la période des congés et en informer les salariés deux mois avant le début. Par contre, pour le congés déjà posés, l'employeur peut déplacer les dates unilatéralement en cas de "circonstances exceptionnelles", la situation de crise sanitaire pouvant être rattachée à ce motif, même si l'on ne dispose d'aucune jurisprudence sur le sujet (lire notre article).
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"Les impératifs d'intérêt général en lien avec la crise sanitaire actuelle sont susceptibles de justifier ces mesures (..), de sorte que la conformité à la Constitution de ces dispositions d'habilitation ne peut être mise en cause". Mais le gouvernement devra veiller, dans son ordonnance, "à ce qu'une atteinte excessive ne soit pas portée aux contrats en cours". |
"Ces mesures sont difficilement justifiables. En quoi permettre aux salariés d'acquérir des CP qui seront pris pour une période ultérieure au confinement est gênant ? (...) Les CP sont un droit à congés repos. Ces derniers sont protégés par le droit communautaire, ces périodes doivent permettre aux salariés de se reposer et pratiquer des loisirs. Imposer des congés payés dans une période où le salarié n'est pas totalement libre de ses mouvements nous paraît contraire aux droits de l'Union européenne. Le droit de l'UE ne prévoit pour l'instant aucune exception à ce principe même en cas de crise sanitaire grave". "FO, et toutes les organisations syndicales, ont protesté contre l'idée d'imposer systématiquement la prise de congés, alors que ces questions en réalité se règlent souvent aisément au sein des entreprises par le dialogue social". |
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Permettre aux entreprises de secteurs "particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d'ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical". | "Le gouvernement devra veiller à ce que les dérogations envisagées à la durée du travail respectent les dispositions de la directive 2003:88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail". |
"Là encore, il faudra rester dans les clous du droit de l'Union européenne. Quid, par ailleurs, des contreparties salariales pour les salariés mobilisés ? " "A tout le moins devrait être indiquée une limite à cette dérogation de droit, en heure et durée, pouvant être dépassée éventuellement si accord de l'administration et faire en sorte que le repos compensateur soit accordé immédiatement après la période de travail dans un souci de préservation de la santé et sécurité des salariés". "FO met en garde contre le risque d'ajouter des dangers sur la santé et la sécurité au travail du fait d'intensités et durée du travail plus longues". |
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Modifier à titre exceptionnel les dates limites et les modalités de versement des sommes de l'intéressement (art. L. 3314-9) et de la participation (art. L. 3324-12). Rappel : les textes actuels prévoient en effet des intérêts de retard lorsque les sommes de l'intéressement sont versées après le cinquième mois suivant la clôture de l'exercice. |
"Les délais légaux devraient être assouplis afin de permettre aux établissements teneurs de compte de l'épargne de ne pas être pénalisés par les mesures prises dans le cadre de l'épidémie de Covid-19". | ||
Modifier les modalités de l'élection dans les très petites entreprises (art. L. 2122-10-1) et la durée des mandats des conseillers prud'hommes et des membres des commission paritaires régionales interprofessionnelles. Rappel : l'élection dans les TPE est prévue en fin d'année (lire notre article) |
"Aucun détail n'est donné. Impossible de savoir s'il s'agit de modifier la date du scrutin TPE ou bien de repousser les échéances de dépôt des candidatures et des propagandes". | ||
Aménager les modalités d'exercice des missions des services de santé au travail, notamment pour le suivi de la santé des travailleurs (NDLR : dans l'urgence, la DGT a déjà adressé une première instruction à ses services, voir notre article paru hier). |
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Modifier les modalités d'information et de consultation des instances représentatives du personnel pour leur permettre "d'émettre les avis nécessaires dans les délais impartis". NDLR : pour les PSE, il semble que certaines Direccte donnent pour consigne à leurs services de demander de suspendre la procédure de négociation, d'information et de consultation le temps de la crise sanitaire. Si l'entreprise s'y refuse, l'administration lui conseille alors d'envisager la visioconférence pour les réunions du CSE ainsi que pour les négociations avec les DS. Mais si les conditions techniques et de sécurité sanitaire de ces réunions par visioconférence ne sont pas remplies, prévient l'administration, alors le PSE ne pourra pas être homologué ou validé. |
"Le recours massif au télétravail ou au travail à distance associé à un fort taux d'absentéisme induit par la crise sanitaire peut rendre difficile l'application des procédures d'information-consultation du CSE. Le recours à la visioconférence pour réunir le CSE pourrait être autorisé par accord entre l'employeur et les membres élus de la délégation du personnel du comité. En l'absence d'accord, ce recours est limité à 3 réunions par an. Ces dispositions visent à assurer le secret du vote". | "Pour FO, il s'agit de pouvoir réunir plus fréquemment et autant que nécessaire les CSE et CSSCT pour faire face aux problématiques induites par la crise sanitaire, en privilégiant la conférence téléphonique, la visioconférence, etc. Il serait bon que soit envisagée une suspension des délais de consultation afin d'éviter la prise de décisions arbitraires d'employeurs sans que le CSE ait été mis en mesure de rendre son avis dans dans des conditions garantissant tant leur santé que leur pleine et complète information". | |
Adapter les dispositions de la formation professionnelle et de l'apprentissage, notamment les conditions de prise en charge des coûts de formation, des rémunérations et cotisations sociales de la formation professionnelle. | |||
Modifier le droit des procédures collectives et des entreprises en difficulté afin de faciliter le traitement préventif des conséquences de la crise sanitaire.
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Simplifier et adapter les conditions de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales de droit privé, ainsi que les règles d'établissement, d'arrêté, d'audit, d'approbation et de publications des comptes et les règles relatives à l'affectation des bénéfices et au paiement des dividendes. | "Sécuriser les entreprises et leurs commissaires aux comptes qui pourraient être en risques juridiques en raison de l'incapacité dans laquelle elles se trouvent de respecter certains délais légaux" |
Il est également prévu d'autres dispositions. Par exemple : une ordonnance devrait adapter le fonctionnement du monde judiciaire à la situation épidémique afin d'éviter le contact physique entre les personnes (recours à la visioconférence, modalités de saisine, organisation du contradictoire, etc.), et une autre devrait augmenter "à titre exceptionnel et temporaire" le nombre d'enfants qu'un assistant maternel pourra accueillir simultanément, "afin de permettre aux parents de pouvoir faire garder leurs jeunes enfants".
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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