Contre l'adversité, la CFE-CGC affiche son unité

Contre l'adversité, la CFE-CGC affiche son unité

11.10.2019

Représentants du personnel

Les thèmes du déclassement des cadres, de la charge de travail et de "l'impasse de gestion par les coûts" ont été évoqués lors du congrès de la CFE-CGC à Deauville, un congrès très calme qui a vu la réélection, sur fond d'unité retrouvée, de François Hommeril à la présidence.

Le syndicat des cadres, pour son 37e congrès, a retrouvé les 9 et 10 octobre le calme de la station balnéaire de Deauville (Calvados), théâtre de son université d'automne en 2018. Un syndicat qui revendique de bons résultats aux élections CSE (lire notre article), et de bons indicateurs : 158 500 adhérents (deux-tiers d'hommes) dont 50% d'ingénieurs et cadres (et 85 000 adhérents "dématérialisés"), une comptabilité en voie d'harmonisation dans les unions territoriales et un résultat d'exploitation multiplié par 4 de 2013 à 2019, selon le trésorier sortant Franck Zid, sans oublier une "unité rétablie" selon François Hommeril, président depuis 2016.

Le bilan largement approuvé

Âgé de 58 ans, ce dernier, qui appartient à la fédération de la chimie et qui avait été élu il y a trois ans après la tentative avortée de Carole Couvert de changer le nom du syndicat en 2014, a été réélu haut la main le 9 octobre à la présidence du syndicat. Son équipe sera composée de Gérard Mardiné, 60 ans (métallurgie), au poste de secrétaire général, qui succède à Alain Giffard, et Jean-Philippe Tanghe (banques) au poste de trésorier confédéral, tous élus avec 436 voix pour, et 39 votes blanc pour 475 votants, soit 100% des voix ou 92% en tenant compte du vote blanc, un meilleur score que lors du congrès de Lyon.  De même, le rapport d'activité et le rapport financier ont été votés à 96,8%et 99,3%, le signe pour l'équipe sortante d'une reconnaissance du travail effectué par la confédération.

Oubliées, les dissensions passées !

Serait-ce l'effet de la douceur normande ? Tout s'est passé comme si le syndicat des cadres voulait, à Deauville, oublier les dissensions et querelles du passé (le projet de rapprochement avec l'Unsa, les divisions internes liées aux successions) pour faire bloc, contre l'adversité politique, contre la remise en cause des corps intermédiaires par l'exécutif et contre la concurrence syndicale.

Les militants interrogés dans les allées du salon savent gré à leur dirigeant d'avoir porté haut dans les médias la parole de la CFE-CGC : "Notre président est très présent, avec des positions fortes", se félicite ainsi le trésorier du CSE central de la Société Générale, Jean-François Thollet, préoccupé par l'avenir des emplois dans son secteur.

Que signifie être cadre dans un espace en flex office ?

 

Le discours confédéral radical tenu par François Hommeril, à l'opposé de la politique conduite par Emmanuel Macron, n'est-il cependant pas en décalage avec la population et les valeurs des cadres ? Pas pour cette militante de Natixis, qui interroge d'ailleurs la gestion des entreprises et le statut de l'encadrement : "Quand on travaille dans un flex-office, qu'est-ce que cela signifie aujourd'hui être cadre ?" L'affirmation de valeurs au sommet serait-elle donc au diapason d'une "base" également critique, en dépit de son statut cadre, à l'égard des politiques menées par les entreprises ? Philippe Petitcolin l'espère, lui qui, en tant que DS et secrétaire du CSE de GE Energy Product à Belfort, se bat contre la vision strictement financière de General Electric : "J'adhère complètement à ce discours sur la logique financière absurde des entreprises, d'autant que le cadre, hier proche de la direction et protégé, est aujourd'hui un salarié comme les autres, dont l'emploi peut être délocalisé ou supprimé" (*).

Un décalage entre la base et le sommet ?

Reste qu'il existe un décalage certain entre le discours confédéral dénonçant la gestion par les coûts dans les entreprises et la réalité des textes signés par les syndicats dans les entreprises, avec des accords pas toujours mieux-disant que le supplétif, notamment sur le CSE.

Même si le chat est parfois maigre, je fais confiance à la négociation 

 

Sur ce point, François Hommeril répond que cet écart existe aussi dans les autres confédérations, et qu'il faut respecter "la réalité du terrain" : "Je fais confiance à la négociation d'entreprise même si le chat est maigre dans certains cas. A nous de faire avancer les choses au niveau confédéral". 

Des propos qui font écho au discours du nouveau secrétaire général, Gérard Mardiné, qui a dénoncé l'attitude déloyale du Medef dans la négociation sur l'encadrement, comme si le patronat ne considérait comme cadres "qu'une poignée de dirigeants prenant toutes les décisions dans l'entreprise".

Un vent de résignation souffle. Il faut relever la tête pour construire une société plus humaine, c'est le sens de l'engagement syndical 

 

Le discours de François Hommeril, très applaudi, a également pris pour cible une conception jugée éculée de la gouvernance et de l'exercice du pouvoir dans les entreprises, sans oublier "une mondialisation sans contraintes qui dévore les acteurs de la croissance", et une gestion obnubilée par les indicateurs "qui oublie l'objet même du travail". Le président de la CFE-CGC s'est même félicité des difficultés de recrutement que rencontrent les entreprises, car, estime-t-il, cela devrait les amener à prendre davantage en considération les attentes des jeunes quant au respect des valeurs éthiques et environnementales, voire de partage du pouvoir. "Un vent de résignation souffle sur notre pays. Il faut relever la tête pour construire une société plus durable et plus humaine, c'est le sens de l'engagement syndical", a lancé François Hommeril après avoir étrillé les ordonnances réformant le droit du travail et les IRP.

Femmes et minorités visibles : une esquisse de débat

Quelques militants ont apporté une timide critique sur la faible représentation des femmes au sommet de la confédération, et sur "l'absence de blacks, de maghrébins, d'asiatiques". Les portes de la confédération sont ouvertes, a répondu François Hommeril avant de concéder, devant la presse, que si l'évolution ne va pas assez vite, il faudrait peut-être un jour, à l'occasion d'un congrès, imposer des listes mixtes F/H", d'autant que l'exigence de parité F/H aux élections professionnelles produit indéniablement un rééquilibrage (**).

La question des réorganisations territoriales du syndicat n'a pas vraiment été abordée en séance, bien que l'inquiétude semble réelle chez les militants, dont témoignent peut-être les votes blanc, et plus sûrement les discussions dans les allées. Cette adhérente, cadre au sein de la Brioche Dorée et présidente de l'union départementale de l'Eure, s'interroge : "Quid de l'appui politique aux territoires ?

UD, UL et régions : une réforme début 2020

Les UD ne vont-elles pas disparaître au profit des régions ?" demande Virginie Bertheol. "Je comprends ces craintes. Mais nous souhaitons une refonte des statuts afin de procéder à une décentralisation et une autonomie des unions régionales, afin que certaines décisions, comme les représentations dans les organismes paritaires, ne remontent plus au niveau confédéral. Il faut remettre en responsabilité les responsables d'unions régionales", plaide le président de la CFE-CGC. En fait, ces évolutions statutaires seront à l'ordre du jour d'une assemblée extraordinaire début 2020. Les UD et UL ne disparaîtront pas mais n'auront plus la personnalité morale, les unions régionales étant appelées à piloter l'action et les moyens dans les territoires. Chaque région aura également des référents (emploi, dialogue social, QVT, etc.) mis à disposition par les fédérations (métallurgie, banques, etc.). Reste à savoir comment réagiront les militants.

L'appui aux sections syndicales

En attendant, la confédération veut mettre l'accent sur l'appui à ses sections syndicales, au moment où le passage en CSE limite les moyens dont disposent les sections, et au développement syndical, notamment via l'exploitation d'une base de données "permettant de voir là où nous sommes ou non présent", nous explique Gilles Lecuelle, chargé du dialogue social à la confédération. Un domaine dans lequel un ancien dirigeant de fédération, croisé au congrès, juge que beaucoup reste à faire : "Avec la représentativité de 2008 et les ordonnances de 2017, le coeur du réacteur est désormais dans les entreprises. Il faut appuyer les sections et les délégués syndicaux, faire des adhésions". Des fédérations toujours dominées par la métallurgie et la banque (40% des adhérents à elles-deux).

Les 82 000 voix supplémentaires gagnées sur le dernier cycle électoral, François Hommeril aimerait les reproduire lors du présent cycle des élections CSE, même s'il se garde d'en faire un objectif chiffré : "Nous mettons tous les moyens pour avoir de bons résultats, mais nous n'avons pas d'outils et d'éléments pour nous fixer un objectif". 

La CFE-CGC entend également lancer une plateforme pour permettre des échanges entre adhérents dans différentes communautés. Un pas prudent dans l'univers des réseaux sociaux, où les échanges directs ne ressemblent guère au fonctionnement syndical classique, et un pas plus assuré vers la presse régionale "afin de gagner en visibilité", notamment auprès des décideurs locaux. En clôture du congrès, jeudi soir, François Hommeril n'a pas craint de lancer à ses adhérents : "Nous écrivons l'hsitoire d'une troisième voie syndicale. Il y a plus d'intelligence dans notre assemblée que dans tous les comités exécutifs et dans tous les gouvernements" (sic).

 

(*) La CFE-CGC et SUD ont attaqué l'Etat devant le tribunal administratif de Paris afin qu'il fasse respecter le contrat signé avec GE lors de la reprise des activités de Belfort. "Nous demandons 50 millions d'euros de dédommagement. Nous utilisons ce levier car nous estimons que l'Etat savait dès le départ que l'accord ne serait pas respecté. Si GE renonce à son projet de supprimer 700 emplois à Belfort et s'il se conforme à l'accord de 2004, nous retirerons notre saisie", nous explique Philippe Petitcolin (lire notre article).

(**) Sur les 8 secrétaires nationaux élus par le congrés, 4 sont des femmes (il n'y en avait qu'une auparavant) : Raphaëlle Bertholon (banques), Anne-Catherine Cudennec (métallurgie), Mireille Dispot (santé-social), Madelleine Gilbert (énergies), les 4 autres étant Jean-François Foucard (métallurgie) Gilles Lecuellle (chimie), Simon-Pierre Policciardi (services publics) et Pierre Roger (banques). Pour les 20 délégués nationaux (qui constituent, avec le trio de dirigeants et les secrétaires nationaux, le bureau élargi), on compte seulement 4 femmes, alors qu'il y avait 8 sur 19 dans l'équipe sortante.  

 

Des résolutions pour conjurer
l'impression de déclassement ressentie par les cadres...

C'était une petite innovation de ce congrès : des résolutions ont été votées (avec de très larges majorités), mais assez peu débattues hormis quelques amendements, sur des sujets non statutaires, liés au travail des cadres.

"Un sentiment de démotivation, voire de déclassement social a pris place au sein des populations d'encadrement", expose la résolution intitulée "Que signifie être membre de l'encadrement aujourd'hui ?" Sur ce sujet, les adhérents souhaitent que soit valorisée, notamment sur le plan financier, la prise de responsabilité grâce à "une confiance a priori" donnée à l'encadrement. Ils veulent voir également promu "le rôle de la hiérarchie intermédiaire, liant incontournable entre la direction et les équipes, échelon le plus à même de diffuser du sens, de motiver, de faire comprendre les enjeux, d'accompagner et de faire émerger les compétences", un texte qui évoque également "le courage managérial qui inspire et fédère tous les salariés". Un autre texte évoque la nécessité "de professionnaliser le management pour en faire une fonction reconnue en tant que telle et non plus une tâche en plus d'une fonction d'expertise".

Sur le thème intitulé "comment recréer l'attachement à l'entreprise", les résolutions plaident pour un travail entre employeurs et représentants des salariés sur l'organisation du travail, avec une diffusion des connaissances en matière de qualité de vie au travail, sans oublier "une revendication des moyens de réappropriation, par les salariés, de la maîtrise de leur temps de travail en veillant à ce que la charge de travail soit raisonnable (..) et en développant des mesures favorisant une meilleure conciliation des temps de vie personnelle et professionnelle". 

 Les projets d'intelligence artificielle devraient être étudiés dès le début du projet avec les représentants du personnel

 

A ce sujet, a été voté un amendement demandant "à rendre effectif le droit à la déconnexion" en "fixant les règles et plages d'activité habituelles, ce qui permettra de dégager les responsabilités des salariés hors de ces périodes". Un autre texte suggère que les projets d'intelligence artificielle soient étudiés avec les représentants du personnel dès le début du projet, ce qui permettrait "d'élaborer un plan de prévention des dangers issus des évolutions radicales des métiers et de l'organisation du travail". 

Enfin, sur le thème "sortir de l'impasse de la gestion par les coûts", la CFE-CGC "exige" que chaque entreprise se dote d'une "raison d'être précise, non uniquement financière ou actionnariale, ainsi que des moyens de veiller à son respect strict", cette raison d'être devant comporter une référence "à la dimension d'intérêt collectif et/ou de bien commun que représente l'entreprise". Outre un "conseil des parties prenantes" comme celui mis en oeuvre chez Danone, le texte demande également "l'extension de la prise en compte des éléments extra-financiers dans les normes comptables".

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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